Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 13 septembre 2021 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de quarante-cinq jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2101247 du 16 mars 2023, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 mai 2023 et le 15 septembre 2023, Mme A..., représentée par Me Bâ, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions ;
2°) d'annuler l'arrêté du 13 septembre 2021 du préfet de la Guadeloupe ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et après consultation de la commission du titre de séjour en lui délivrant, dans l'attente, un récépissé de demande de carte de séjour l'autorisant à travailler et, à titre infiniment subsidiaire, de lui délivrer un titre de séjour en qualité de parent d'étranger mineur malade ;
4°) d'ordonner l'effacement de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen ;
5°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision de refus de séjour est insuffisamment motivée et entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation, en particulier s'agissant de sa durée de présence en France et de l'état de santé de sa mère ;
- elle remplit les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au vu de sa durée de séjour en France ; la commission du titre de séjour devait être consultée préalablement à l'édiction de l'arrêté attaqué conformément à ces mêmes dispositions ;
- l'arrêté méconnaît le premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant car son fils nécessite des soins qui ne sont pas disponibles en Haïti et qu'il bénéficie en France d'un suivi complet et adapté à sa situation ;
- l'arrêté méconnaît également les articles L. 425-9 et L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, son fils ne pouvant bénéficier d'une prise en charge médicale adaptée à son état de santé dans son pays d'origine ;
- il est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et celle de sa mère en situation de handicap ;
- le père de ses enfants a été porté disparu le 15 août 2018, elle ne peut ainsi justifier ni de sa participation à l'entretien et à l'éducation de ses enfants, ni de la réalité de leur vie commune ;
- l'arrêté méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision d'éloignement est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de séjour.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 octobre 2023, le préfet de la Guadeloupe conclut au rejet de la requête et à l'annulation du jugement du 16 mars 2023 en tant qu'il a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que la décision d'interdiction de retour sur le territoire français était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration :
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Kolia Gallier a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante haïtienne née le 2 octobre 1988, indique être entrée en France le 6 février 2013. Le 8 décembre 2020, elle a sollicité auprès des services de la préfecture de la Guadeloupe, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 13 septembre 2021, le préfet de la Guadeloupe a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de quarante-cinq jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme A... a demandé l'annulation de cet arrêté au tribunal administratif de la Guadeloupe qui, par un jugement du 16 mars 2023, a seulement annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme A... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande et le préfet de la Guadeloupe demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement en tant qu'il y a partiellement fait droit.
Sur les décisions de refus de séjour, d'éloignement et fixant le pays de destination :
2. En premier lieu, la décision de refus de séjour attaquée mentionne les textes dont elle fait application, notamment l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont elle reproduit les termes, et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle comporte également les considérations de faits qui en constituent le fondement. Par suite, cette décision est suffisamment motivée nonobstant la circonstance que ses motifs ne reprennent pas l'ensemble des éléments caractérisant la situation de l'intéressée, notamment les éléments relatifs à l'état de santé de sa mère. Cette motivation révèle qu'il a été procédé à un examen particulier de la situation de la requérante contrairement à ce qu'elle soutient.
3. En deuxième lieu, il ressort des termes non contestés sur ce point de l'arrêté attaqué que Mme A... a formé une demande de titre de séjour sur le seul fondement des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par ailleurs, les termes de la décision de refus de séjour révèlent que le préfet de la Guadeloupe n'a pas spontanément examiné la possibilité de délivrer un titre de séjour à Mme A... sur le fondement des dispositions des articles L. 425-9, L. 425-10 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, les moyens tirés de ce que la décision de refus de séjour méconnaitrait ces dispositions ou aurait été édictée en méconnaissance de la procédure qu'elles prévoient ne peuvent qu'être écartés comme inopérant.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". L'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. "
5. Pour soutenir que le refus de séjour qui lui a été opposé méconnaitrait les stipulations et dispositions précitées, Mme A... se prévaut de l'ancienneté de sa présence en France, de l'état de santé de sa mère et de son fils ainsi que de ses attaches familiales en France. Il ressort, en effet, des pièces du dossier que Mme A... est présente en France depuis 2013 et qu'elle vit avec sa mère et ses trois enfants. S'agissant de sa mère, l'intéressée justifie par les pièces qu'elle produit qu'elle souffre notamment d'une épilepsie sur séquelle de pachy-méningite tuberculeuse qui nécessite un traitement ne pouvant être interrompu et qu'elle bénéficie depuis 2009 de titres de séjour régulièrement renouvelés pour raisons de santé. Si Mme B... indique que la présence de sa fille à ses côtés lui est nécessaire et que Mme A... produit un certificat médical daté du 29 septembre 2021 en ce sens, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'aide devant être apportée à Mme B... ne pourrait l'être que par sa fille. Mme A... justifie par ailleurs que l'un de ses trois enfants souffre de troubles du développement associant un retard cognitif, un retard d'apprentissage, une instabilité psychomotrice et des troubles de l'attention. Elle produit plusieurs certificats médicaux relevant la nécessité de poursuivre la prise en charge engagée au centre médico-psychologique de Sainte-Anne. Si l'un des certificats mentionne qu'une telle prise en charge est inenvisageable dans le pays d'origine, cette affirmation n'est assortie d'aucune précision et la requérante ne fournit par ailleurs aucun élément permettant de démontrer l'impossibilité d'accéder à de tels soins en Haïti. Enfin, Mme A..., qui précise que son compagnon a disparu en 2018, ne se prévaut, s'agissant de sa vie privée et familiale en France, d'aucun autre élément que la présence de sa mère et de ses enfants. Au vu de ces éléments, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Guadeloupe aurait porté au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels l'arrêté attaqué a été pris. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés. Pour les mêmes motifs, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Guadeloupe aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de l'arrêté du 13 septembre 2021 sur la situation de Mme A..., de sa mère ou de ses enfants.
6. En quatrième lieu, aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ".
7. Pour les raisons exposées au point 5 ci-dessus et alors qu'il ne ressort des pièces du dossier aucun obstacle à ce que les enfants de Mme A... poursuivent leur scolarité en Haïti, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit également être écarté.
8. Tous les moyens dirigés contre la décision de refus de séjour ayant été écartés, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français serait dépourvue de base légale en raison de son illégalité.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté le surplus de ses conclusions.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
10. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".
11. Il ressort des pièces du dossier que Mme A..., qui n'avait jamais fait l'objet d'une mesure d'éloignement avant l'édiction de l'arrêté litigieux, vivait en France depuis plus de huit années à la date de la décision litigieuse et que sa mère bénéficie, pour y être soignée, de titres de séjours régulièrement renouvelés depuis 2009. Dans ces conditions, alors par ailleurs que le préfet n'établit ni même n'allègue que la présence de Mme A... en France constituerait une menace pour l'ordre public, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
12. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Guadeloupe n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé la décision du 13 septembre 2021 portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité, les conclusions présentées par le préfet par la voie de l'appel incident ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Aux termes de l'article L. 613-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mentionne que : " L'étranger auquel est notifiée une interdiction de retour sur le territoire français est informé qu'il fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, conformément à l'article 24 du règlement (UE) n° 2018/1861 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen (SIS) dans le domaine des vérifications aux frontières, modifiant la convention d'application de l'accord de Schengen (...). ".
14. Il résulte des dispositions précitées que l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français implique nécessairement l'effacement du signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen résultant de cette décision. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Guadeloupe de faire procéder à cet effacement dans délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
15. Le présent arrêt n'impliquant aucune autre mesure d'exécution, le surplus des conclusions à fin d'injonction présentées par Mme A... doit être rejeté.
Sur les frais liés au litige :
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme A... sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Il est enjoint au préfet de la Guadeloupe de faire procéder à l'effacement du signalement de Mme A... aux fins de non admission dans le système d'information Schengen dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2024.
La rapporteure,
Kolia GallierLe président,
Jean-Claude Pauziès
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23BX01221 2