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16/11/2023 | FRANCE | N°23BX01524

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 16 novembre 2023, 23BX01524


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 9 novembre 2022 par lequel la préfète de la Gironde a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre sous astreinte à la préfète de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 2300071 du 16 mars 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure deva

nt la cour :

Par une requête enregistrée le 5 juin 2023, M. D..., représenté par Me Haas, d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 9 novembre 2022 par lequel la préfète de la Gironde a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre sous astreinte à la préfète de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 2300071 du 16 mars 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 juin 2023, M. D..., représenté par Me Haas, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif du 16 mars 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 9 novembre 2022 de la préfète de la Gironde ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jours de retard, ou à défaut de procéder au réexamen de sa situation dans le même délai et sous la même astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, au profit de son conseil, le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi

du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour

- cette décision méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il renverse, par les pièces produites, l'appréciation portée par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) sur la disponibilité du traitement et l'accès au suivi médical nécessaire à sa survie dans son pays d'origine ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que sa situation médicale extrêmement complexe nécessite une prise en charge médicale en France et qu'il est parfaitement intégré dans la société française ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français

- cette décision est privée de base légale en raison de l'illégalité du refus de titre

de séjour ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il a démontré ne pas pouvoir bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation pour les mêmes motifs.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi

- cette décision est privée de base légale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- compte-tenu de son état de santé, elle constitue un traitement inhumain et dégradant au sens des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 août 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête. Il s'en rapporte à ses écritures de première instance, qu'il produit.

Par une décision n° 2023/004718 du 25 avril 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a admis M. D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les observations de Me Haas, représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant géorgien né le 23 février 1987, est entré sur le territoire français le 8 juillet 2019. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français des réfugiés et des apatrides le 22 octobre 2019, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 17 janvier 2020. Le 23 mars 2020, il s'est vu délivrer une carte de séjour temporaire en raison de son état de santé, renouvelée jusqu'au 4 février 2022. Par un arrêté du 9 novembre 2022, la préfète de la Gironde a refusé de renouveler ce titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. D... relève appel du jugement du 16 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...) / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé ".

3. Il résulte des dispositions précitées qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), que cette décision ne peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque ce défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'intéressé fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou en l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine dans des conditions permettant d'y avoir accès, sans qu'il y ait lieu de rechercher si les soins dans le pays d'origine sont équivalents à ceux offerts en France.

4. Par un avis du 21 septembre 2022, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a estimé que si l'état de santé de M. D... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il peut bénéficier effectivement d'un traitement approprié en Géorgie, et qu'à la date de cet avis, il peut voyager sans risque vers ce pays. Il ressort des pièces du dossier, notamment des certificats médicaux établis le 13 janvier 2021 par le docteur B..., praticien hospitalier du service d'hématologie biologique du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, que M. D... souffre d'une hémophilie sévère de type A, ayant entraîné une arthropathie hémophilique avec destruction des articulations des épaules, des coudes, des genoux et des chevilles, et qu'il bénéficie en France de deux injections par semaine de facteur VIII ayant permis d'éviter de nouvelles complications hémorragiques. M. D... produit deux autres certificats médicaux établis le 29 novembre 2022 et le 5 juin 2023 par le même médecin, postérieurs à l'arrêté attaqué mais révélant une situation antérieure à celui-ci, dont il ressort que l'hémophilie A sévère, pathologie congénitale caractérisée par l'absence de facteur VIII, se complique, en l'absence de traitement adéquat de prévention des risques hémorragiques, d'hémarthrose, d'hématomes musculaires, d'hématurie, et d'hémorragies digestives et cérébrales, que la faible quantité de facteur VIII disponible en Géorgie, quelle que soit son origine, conduit à réserver ce produit à la prise en charge d'évènements hémorragiques, sans qu'il soit possible de l'utiliser comme traitement de prophylaxie, et que M. D..., qui n'a reçu de facteur VIII en Géorgie qu'après la survenue d'un saignement, présentait à son arrivée en France, à l'âge de 32 ans, une destruction majeure des articulations des genoux et des chevilles, nécessitant son déplacement en fauteuil roulant. Cette indisponibilité d'un traitement continu permettant de prévenir les complications graves de l'hémophilie de type A est corroborée par une attestation de l'association de l'hémophilie et de la donation en Géorgie du 24 novembre 2022, selon laquelle les traitements de prévention anti-hémophiliques ne sont pas encore disponibles en Géorgie parce qu'il n'y a " pas assez de facteurs concentrés ", et par un certificat médical du médecin hématologue qui a suivi M. D... depuis son enfance, indiquant que ce dernier a présenté une arthropathie hémophilique en raison d'hémarthroses répétitives, et que le traitement de prévention dont il a besoin n'est pas accessible en Géorgie du fait de l'insuffisante quantité disponible de facteurs concentrés anti-hémophiliques. Ces éléments concordants, qui remettent en cause l'appréciation des médecins de l'OFII selon laquelle un traitement approprié serait disponible en Géorgie, ne sont pas utilement contredits par le préfet de la Gironde, lequel se borne à affirmer que les acteurs du système médical en Géorgie détiennent les molécules permettant de traiter " 90 % des pathologiques les plus communes ". Ainsi, contrairement à ce qu'ont estimé les médecins de l'OFII, le requérant ne pourrait effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Dans ces circonstances, M. D... est fondé à soutenir que le refus de renouvellement de son titre de séjour méconnaît les dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de la décision de refus de titre de séjour du 9 novembre 2022 et, par voie de conséquence, des décisions du même jour portant obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour, prises sur son fondement. Par suite, l'arrêté du 9 novembre 2022 doit être annulé.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

6. Eu égard au motif retenu, l'annulation de l'arrêté du 9 novembre 2022 implique nécessairement la délivrance d'un titre de séjour à l'intéressé. Il y a lieu, en l'absence de changement de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à M. D... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me Haas, conseil de M. D... sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi

du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du 9 novembre 2022 de la préfète de la Gironde et le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2300071 du 16 mars 2023 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Haas une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi

du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Gironde et à Me Haas.

Délibéré après l'audience du 24 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Anne Meyer, présidente,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 novembre 2023.

La première assesseure,

Florence Rey-Gabriac

La présidente, rapporteure,

Anne A...La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX01524


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX01524
Date de la décision : 16/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MEYER
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : HAAS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-11-16;23bx01524 ?
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