Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... et Mme C... B... épouse D... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, d'annuler l'arrêté du 24 avril 2019 par lequel la préfète de la Gironde a déclaré cessibles au profit de la commune de Lormont les lots de copropriété nos 2 et 8 des parcelles cadastrées section AZ nos 636 et 807 situées 10 quai Numa Sensine à Lormont et, d'autre part, d'enjoindre au maire de Lormont, sur le fondement des dispositions des articles
L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, de cesser toute action en appropriation unilatérale des lots de copropriété nos 2 et 8.
Par un jugement n° 1903857 du 22 avril 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de M. et Mme D....
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 juin 2021, M. et Mme D..., représentés par Me Ducourau, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 avril 2021 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 24 avril 2019 par lequel la préfète de la Gironde a déclaré cessibles au profit de la commune de Lormont les lots de copropriété nos 2 et 8, des parcelles cadastrées section AZ nos 636 et 807 situées 10 quai Numa Sensine à Lormont ;
3°) d'enjoindre au maire de Lormont, sur le fondement des dispositions des articles
L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, de cesser toute action en appropriation unilatérale des lots de copropriété nos 2 et 8 ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Lormont la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- c'est à bon droit que le tribunal a admis qu'ils sont recevables à exciper de l'illégalité de la délibération du conseil municipal de la commune de Lormont du 17 mars 2016 qui a arrêté le programme des travaux à réaliser, mais c'est à tort qu'il n'a pas retenu les illégalités invoquées ;
En ce qui concerne l'exception d'illégalité de la délibération du 17 mars 2016 :
- le lot n° 2 n'avait pas perdu son usage d'habitation ; comme le montre l'attestation d'EDF du 8 juillet 2016, il s'agissait bien d'un logement occupé jusqu'au 8 juillet 2011, et non d'un " local vacant dégradé sans aucun élément de confort d'environ 19 m2 " comme l'indique le programme des travaux ; ce logement a une superficie de 29 m2 et comporte un séjour, une cuisine (désormais chambre), une salle de bains, des radiateurs et deux fenêtres ;
- ils n'ont nullement " transformé " ce local en logement, mais se sont bornés à restaurer le logement existant tel qu'il figurait dans leur titre de propriété de 1989 ; la circonstance que les mentions cadastrales identifient le lot n° 2 comme " dépendance " est sans incidence, l'article R. 151-29 du code de l'urbanisme posant le principe selon lequel les locaux accessoires sont réputés avoir la même destination que le local principal, à savoir en l'espèce, un usage d'habitation ; c'est ainsi en se fondant sur des faits inexacts et sur une qualification juridique erronée que la délibération a proscrit toute transformation des locaux du rez-de-chaussée en logement ;
- les dispositions de l'article R. 313-24 du code de l'urbanisme ne permettent pas d'imposer, dans le cadre d'une opération de restauration immobilière (ORI), la suppression d'équipements en parfait état pour leur en substituer d'autres ; la délibération est donc entachée d'illégalité en ce qu'elle approuve un programme de travaux excédant l'objectif de " rendre habitable le lot n° 2 " ; le " remplacement des menuiseries extérieures conformément aux prescriptions de l'ABF " ne pouvait légalement leur être imposé, alors qu'ils avaient posé de nouvelles menuiseries PVC en 2005, antérieurement à la création de la ZPPAUP en 2013 ;
En ce qui concerne le détournement de pouvoir :
- l'arrêté préfectoral vise à les sanctionner pour s'être opposés à l'abus de pouvoir consistant à leur imposer de changer les deux fenêtres en PVC du lot n° 2 installées en 2005.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2021, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. et Mme D... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code du patrimoine ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Ducourau, représentant M. et Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. En 2011, en raison de la déqualification d'une partie du parc de logements privés dans son centre ancien, la commune de Lormont a lancé une étude en vue d'une opération programmée d'amélioration de l'habitat et de renouvellement urbain (OPAH-RU). Par une délibération du 15 juin 2012, le conseil municipal a approuvé une opération de restauration immobilière (ORI). Après enquête publique, le préfet de la Gironde a, par arrêté du
22 février 2016, déclaré d'utilité publique, au profit de la commune de Lormont, les travaux de restauration immobilière de 13 immeubles et 44 logements situés dans les quartiers du Vieux Bourg, de Lissandre et des Quais, et a autorisé la commune à arrêter le programme des travaux à réaliser, ainsi qu'à procéder aux acquisitions des immeubles pour lesquels les travaux n'auraient pas été exécutés par les propriétaires dans le délai prescrit. Par délibération du 17 mars 2016, le conseil municipal de Lormont a arrêté le programme de travaux pour chaque immeuble à restaurer et a fixé à 24 mois le délai de réalisation des travaux à partir de la date de notification du programme de travaux obligatoires et de l'ouverture de l'enquête parcellaire. Par arrêté du 24 août 2016, le préfet a prescrit l'ouverture de cette enquête, qui s'est déroulée du 10 octobre au 26 octobre 2016. Enfin, par arrêté du 24 avril 2019, la préfète de la Gironde a déclaré cessibles au profit de la commune de Lormont les lots de copropriété nos 2 et 8 de l'immeuble sis 10 quai Numa Sensine à Lormont, sur les parcelles cadastrées section AZ nos 636 et 807. M. et Mme D..., propriétaires de cet immeuble, relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 22 avril 2021, qui a rejeté leur demande tendant à l'annulation de ce dernier arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de cessibilité du 24 avril 2019 :
En ce qui concerne l'exception d'illégalité de la délibération du 17 mars 2016 arrêtant le programme des travaux :
2. Aux termes de l'article L. 313-4 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors applicable : " Les opérations de restauration immobilière consistent en des travaux de remise en état, de modernisation ou de démolition ayant pour objet ou pour effet la transformation des conditions d'habitabilité d'un immeuble ou d'un ensemble d'immeubles. Elles sont engagées à l'initiative (...) des collectivités publiques, (...), et sont menées dans les conditions définies par la section 3 du présent chapitre. / Lorsqu'elles ne sont pas prévues par un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé, elles doivent être déclarées d'utilité publique. ". Aux termes de l'article L. 313-4-1 du même code : " Lorsque l'opération nécessite une déclaration d'utilité publique, celle-ci est prise, dans les conditions fixées par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, à l'initiative de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale compétent pour réaliser les opérations de restauration immobilière, ou de l'État avec l'accord de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme. ". Aux termes de l'article L. 313-4-2 du même code : " Après le prononcé de la déclaration d'utilité publique, la personne qui en a pris l'initiative arrête, pour chaque immeuble à restaurer, le programme des travaux à réaliser dans un délai qu'elle fixe. Lors de l'enquête parcellaire, elle notifie à chaque propriétaire le programme des travaux qui lui incombent. Si un propriétaire ou copropriétaire fait connaître son intention de réaliser les travaux dont le détail lui a été notifié pour information, ou d'en confier la réalisation à l'organisme chargé de la restauration, son immeuble n'est pas compris dans l'arrêté de cessibilité. ". Il résulte ainsi des articles L. 313-4, L. 313-4-1 et L. 313-4-2 du code de l'urbanisme qu'une opération de restauration immobilière a pour objet la transformation des conditions d'habitabilité d'un immeuble ou d'un ensemble d'immeubles.
3. Il est constant que M. et Mme D... sont propriétaires de l'ensemble de l'immeuble sis au 10, quai Numa Sensine à Lormont. La délibération du 17 mars 2016 par laquelle le conseil municipal de Lormont a arrêté le programme des travaux à réaliser au titre de l'ORI comporte en annexe une fiche détaillant ce programme pour chaque immeuble concerné. Le lot n° 2 du 10, quai Numa Sensine, occupant le rez-de-chaussée droit, y est décrit comme un local vacant, dégradé, sans aucun élément de confort, pour lequel il faudra procéder à une mise aux normes de l'ensemble des réseaux, ainsi qu'à une amélioration énergétique et acoustique avec une isolation des murs, le remplacement des menuiseries extérieures PVC " conformément aux prescriptions de l'ABF ", et l'installation d'un mode de chauffage économe en énergie.
4. En premier lieu, les requérants se prévalent de l'état descriptif de division de l'immeuble et du règlement de copropriété établi par un cabinet de géomètres le 9 mai 2016, selon lesquels le lot n° 2, d'une superficie de 29 m², correspond à " un appartement en rez-de-chaussée, constitué d'un séjour, d'une cuisine et d'une salle de bains avec WC ". Ils font valoir que ce logement, en bon état, était mentionné comme loué par l'acte d'achat de l'immeuble du 17 avril 1989, et qu'il a été occupé jusqu'au 8 juillet 2011, date de résiliation du contrat d'électricité. Il ressort toutefois du compte-rendu des deux visites des lieux effectuées par la société InCité missionnée par la commune, en présence d'un représentant du service d'hygiène et de santé de la commune le 5 janvier 2016 et d'un huissier mandaté par M. et Mme D... le 2 février suivant, ainsi que de l'état des lieux annexé à ce compte-rendu, illustré de photographies, que le local du rez-de-chaussée droit a été cloisonné, ce qui laisse une seule pièce de 19 m² et une partie arrière inaccessible. Cette pièce, éclairée par deux fenêtres donnant sur le quai Numa Sensine, est dépourvue de confort, dans un mauvais état d'entretien, présente des problèmes de sécurité et de salubrité du fait notamment d'une humidité importante, et sert désormais de débarras. L'huissier mandaté par M. et Mme D... la qualifie d'ailleurs de " local à usage de réserve " dans son constat du 2 février 2016. Le programme des travaux prévoit d'aménager cette pièce de 19 m² avec des sanitaires, et de créer, sur l'emprise inutilisée située de l'autre côté de la cloison, un local à poubelles clos et un local à vélos. Ni le courrier de " réclamation " des époux D... à la société InCité du 21 février 2016, ni aucune des pièces qu'ils produisent, ne comporte aucun élément de nature à remettre en cause les constatations faites lors des visites des 5 janvier et 2 février 2016. Par suite, les moyens tirés de ce que la commune de Lormont aurait arrêté le programme des travaux du lot n° 2 en se fondant sur une description erronée de son état et en se méprenant sur son usage doivent être écartés.
5. En second lieu, aux termes de l'article R. 313-27 du code de l'urbanisme : " L'autorité expropriante qui a pris l'initiative de la déclaration d'utilité publique de l'opération notifie à chaque propriétaire, ou copropriétaire, le programme détaillé des travaux à réaliser sur le bâtiment et son terrain d'assiette. La notification prévue à l'alinéa précédent est effectuée à l'occasion de la notification individuelle du dépôt en mairie du dossier de l'enquête parcellaire prévue par l'article R. 131-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Elle comporte l'indication du délai dans lequel doivent être réalisés les travaux. ". Aux termes de l'article L. 642-1 du code du patrimoine : " Sur proposition du conseil municipal des communes intéressées ou de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme, des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager peuvent être instituées autour des monuments historiques et dans les quartiers, sites et espaces à protéger ou à mettre en valeur pour des motifs d'ordre esthétique, historique ou culturel. ". Aux termes de l'article L. 642-2 du même code : " Des prescriptions particulières en matière d'architecture et de paysages sont instituées à l'intérieur de ces zones ou parties de zone pour les travaux mentionnés à l'article L. 642-3. (...) ".
6. Les requérants font grief à la délibération d'approuver un programme de travaux excédant l'objectif de " rendre habitable le lot n° 2 ", en ce qu'elle prescrit " le remplacement des menuiseries extérieures PVC conformément aux prescriptions de l'ABF ". Cependant, le programme des travaux a pour finalité de répondre aux objectifs de la déclaration d'utilité publique, parmi lesquels figure celui de répondre aux exigences du règlement de la zone de protection patrimoniale, architecturale et paysagère (ZPPAUP) alors en vigueur, lequel n'autorise pas les menuiseries en PVC. La mise en conformité avec ce règlement des immeubles remis en état dans le cadre de l'ORI pouvait être légalement prévue par le programme des travaux, et la circonstance que les huisseries en PVC ont été posées antérieurement à la création de la ZPPAUP ne saurait faire regarder la prescription de les changer comme excédant les objectifs de l'ORI.
En ce qui concerne le détournement de pouvoir :
7. Aux termes de l'article L. 132-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " L'autorité compétente déclare cessibles les parcelles ou les droits réels immobiliers dont l'expropriation est nécessaire à la réalisation de l'opération d'utilité publique. Elle en établit la liste, si celle-ci ne résulte pas de la déclaration d'utilité publique. ".
8. Alors que le délai de réalisation des travaux de 24 mois fixé par la commune de Lormont expirait fin septembre 2018, M. et Mme D... ont exprimé, par lettre au maire du 26 septembre 2018, leur refus de respecter le programme des travaux du lot n° 2, en alléguant notamment avoir aménagé des locaux à poubelles et à vélos dans les parties communes, et n'ont pas donné suite à la proposition par la commune de trois dates en décembre 2018 en vue du contrôle des travaux qu'ils affirmaient avoir réalisés, prétextant " des activités professionnelles chargées pour une durée allant jusqu'à plusieurs mois ". En conséquence, la commune a sollicité un arrêté de cessibilité, comme elle en avait la possibilité en l'absence de réalisation des travaux dans le délai imparti, et il a été fait droit à sa demande par l'arrêté contesté du 24 avril 2019 de la préfète de la Gironde. Eu égard à ce qui a été exposé précédemment, le détournement de pouvoir allégué, tiré de ce que cet arrêté aurait pour objet de sanctionner M. et Mme D... pour avoir refusé de changer les deux fenêtres en PVC du lot n° 2, ne peut être regardé comme établi.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Le présent arrêt rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. et Mme D.... Par suite, leurs conclusions à fin d'injonction ne peuvent être accueillies.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par M. et Mme D... soit mise à la charge de la commune de Lormont, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et Mme C... B... épouse D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, et à la commune de Lormont. Copie en sera communiquée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Anne Meyer, présidente,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 novembre 2023.
La rapporteure,
Florence E...
La présidente,
Anne MeyerLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21BX02681