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07/11/2023 | FRANCE | N°23BX00729

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 07 novembre 2023, 23BX00729


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 18 août 2022 de la préfète de la Haute-Vienne en ce qu'elle lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2201320 du 31 octobre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté s

a demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête enregis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 18 août 2022 de la préfète de la Haute-Vienne en ce qu'elle lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2201320 du 31 octobre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête enregistrée le 15 mars 2023, M. C... B..., représenté par Me Astié, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges du 31 octobre 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 18 août 2022 de la préfète de la Haute-Vienne ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Haute-Vienne de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jour de retard, ou à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans le même délai et sous la même astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la décision lui retirant son attestation de demande d'asile :

- la préfète s'est crue à tort en situation de compétence liée pour lui retirer son attestation de demande d'asile.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- cette décision est entachée d'incompétence de son auteur ;

- elle est insuffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard aux risques qu'il encourt en cas de retour au Nigéria du fait de son orientation sexuelle.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'incompétence de son auteur ;

- elle est insuffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 septembre 2023, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.

Par une décision du 12 janvier 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a admis M. C... B... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy ;

- et les observations de Me Ghettas, représentant M. C... B...

Considérant ce qui suit :

1. M. C... B..., ressortissant nigérian, est entré en France le 29 février 2020 selon ses déclarations. Il a présenté une demande d'asile, qui a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 9 décembre 2021, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 15 juillet 2022. Par un arrêté du 18 août 2022, la préfète de la Haute-Vienne lui a retiré son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. C... B... relève appel du jugement du 31 octobre 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la décision de retrait de l'attestation de demande d'asile :

2. Aux termes de l'article L. 542-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque le droit au maintien sur le territoire français a pris fin dans les conditions prévues aux articles L. 542-1 ou L. 542-2, l'attestation de demande d'asile peut être refusée, retirée ou son renouvellement refusé (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier, notamment des termes mêmes de l'arrêté litigieux, que la préfète de la Haute-Vienne a effectivement procédé à un examen de la situation personnelle de M. C... B... avant de retirer l'attestation de demande d'asile dont il bénéficiait. Le moyen tiré de ce que la préfète se serait crue à tort en situation de compétence liée ne peut donc qu'être écarté, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions, nouvelles en appel, dirigées contre cette décision.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

4. M. C... B... reprend en appel les moyens, déjà soulevés en première instance, tirés de l'incompétence de l'auteur de la décision portant obligation de quitter le territoire et de l'insuffisante motivation de cette décision, sans se prévaloir d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée en première instance et sans critiquer utilement les réponses apportées par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges. Par suite, il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinemment retenus par le premier juge.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

5. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".

6. M. C... B... fait valoir que, du fait de son orientation sexuelle, il encourt le risque de subir des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour au Nigéria. Il établit, par les pièces produites, qu'il est accompagné, depuis son arrivée en France, par des associations de soutien aux personnes de la communauté LGBTQ+. Le requérant indique qu'alors qu'il participait, le 14 février 2019, à une soirée gay dans un hôtel nigérian, il a subi de graves violences lors d'une attaque armée perpétrée par les membres d'un groupe " vigilantiste ". Il produit un certificat médico-légal établi le 30 mars 2022 dont il ressort qu'il présente de nombreuses cicatrices sur l'ensemble du corps, compatibles avec son récit relatant cette agression physique. Il ressort en outre d'un certificat médical établi le 1er mars 2022 par un psychiatre qu'il bénéficie d'un suivi pour un syndrome post-traumatique caractérisé par de graves troubles du sommeil, en particulier des insomnies et des cauchemars, associés à un état dépressif. Au regard de l'ensemble de ces circonstances, les allégations de l'intéressé concernant son orientation sexuelle doivent être tenues pour établies. Eu égard au rejet profond dont font l'objet les personnes homosexuelles au Nigéria, pays dont la législation en vigueur réprime l'homosexualité, M. C... B... établit qu'en désignant le Nigéria comme le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné d'office, la préfète de la Haute-Vienne a méconnu les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il y a donc lieu d'annuler la décision fixant le Nigéria comme pays de renvoi.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an :

7. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. C... B... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français qui la fonde.

8. En deuxième lieu, M. C... B... reprend ses moyens tirés de ce que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée et est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation. S'il fait nouvellement valoir qu'il s'est inscrit à des cours de français qui débuteront en mars 2023 et qu'il est membre de deux associations qui l'accompagnent dans ses démarches et attestent de sa volonté d'intégration, ces éléments, dont il n'est au demeurant pas établi qu'ils aient été portés à la connaissance de la préfète, sont sans incidence sur l'appréciation du caractère suffisant de la motivation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français. Dès lors, il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs pertinemment retenus par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges.

9. En dernier lieu, à l'appui du moyen repris en appel, tiré de ce que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français serait entachée d'une erreur d'appréciation de sa situation personnelle, M. C... B... ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée en première instance et ne critique pas utilement la réponse apportée par le premier juge. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinemment retenus par le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 août 2022 fixant le pays de renvoi.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Le présent arrêt, qui annule la seule décision de l'arrêté litigieux désignant le pays de renvoi, n'implique pas qu'il soit enjoint au préfet de de la Haute-Vienne de délivrer un titre de séjour au requérant ou de réexaminer sa situation. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. C... B... ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. M. C... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans la présente instance. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me Astié, conseil de M. C... B..., sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2201320 du 31 octobre 2022 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges est annulé en tant qu'il rejette la demande de M. C... B... tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi contenue dans l'arrêté de la préfète de la Haute-Vienne du 18 août 2022.

Article 2 : La décision fixant le pays de renvoi contenue dans l'arrêté de la préfète de la Haute-Vienne du 18 août 2022 est annulée.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 200 euros à Me Astié au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Haute-Vienne et à Me Astié.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président de la cour,

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2023.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve Dupuy

Le président,

Luc Derepas

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

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N° 23BX00729


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00729
Date de la décision : 07/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : SCP ASTIE-BARAKE-POULET-MEYNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-11-07;23bx00729 ?
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