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07/11/2023 | FRANCE | N°23BX00420

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 07 novembre 2023, 23BX00420


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy

a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant camerou...

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant camerounais né le 10 mai 1984, est entré en France le 25 juin 2018 selon ses déclarations et a présenté une demande d'asile le 13 juillet 2018. Par un arrêté du 15 octobre 2018, le préfet de la Gironde a décidé son transfert vers l'Espagne, Etat responsable de l'examen de sa demande d'asile. Par un jugement du 2 novembre 2018, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de cet arrêté. A l'issue du délai de transfert, porté à 18 mois, la France est devenue responsable de l'examen de la demande d'asile de l'intéressé. Cette demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 31 janvier 2022, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 12 juillet 2022. Par un arrêté du 22 juillet 2022, la préfète de la Gironde a refusé de délivrer un titre de séjour à M. A..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. M. A... relève appel du jugement du 31 octobre 2022 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne l'arrêté pris dans son ensemble :

2. Par un arrêté du 21 juin 2022 publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de la Gironde n° 2022-104 du même jour, la préfète de la Gironde a donné délégation à Mme C... E..., adjointe au chef du bureau de l'asile et du guichet unique, à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement de Mme D... B..., cheffe du bureau de l'asile et du guichet unique, toutes les décisions prises en application des livres IV, V, VI et VII (partie législative et réglementaire) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. A... n'établit pas ni même n'allègue que Mme D... B... n'aurait pas été absente ou empêchée le 22 juillet 2022, date d'édiction de l'arrêté en litige. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de Mme C... E..., signataire de l'arrêté, doit être écarté.

En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...) /La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé ".

4. Il ressort des éléments médicaux du dossier que M. A... souffre d'une hépatite B chronique associée à une hépatite D, d'une gastrite chronique et d'un syndrome post-traumatique se manifestant par des troubles anxieux et du sommeil, pathologies pour lesquelles il bénéficie en France d'un suivi médical régulier et d'un traitement médicamenteux. Cependant, d'une part, il ne produit aucun élément de nature à démontrer que les médicaments qui lui sont prescrits ne seraient pas accessibles au Cameroun ou qu'il ne pourrait pas y bénéficier d'une surveillance médicale adaptée. D'autre part, si le requérant fait valoir que le lien entre son syndrome post-traumatique et les événements traumatisants vécus au Cameroun ne permet pas d'envisager un traitement effectivement approprié dans ce pays, il ne ressort d'aucune pièce qu'un défaut de prise en charge de ce syndrome pourrait entraîner pour l'intéressé des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Dans ces conditions, en refusant de lui délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade, la préfète de la Gironde n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L.412-1. (...) ".

6. M. A..., présent sur le territoire français depuis quatre ans à la date de l'arrêté en litige, est célibataire et sans charge de famille, et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait développé des liens d'une particulière intensité en France. Par ailleurs, si le requérant indique avoir quitté le Cameroun depuis une vingtaine d'années et vécu dans différents pays, en particulier au Maroc, avant d'entrer sur le territoire français, il ne produit aucun commencement de preuve à l'appui de cette affirmation. Dans ces conditions, et alors même que sa mère est décédée et qu'il a rompu tout contact avec son père en raison des violences subies, M. A..., âgé de 34 ans à la date de son arrivée en France, ne démontre pas être dépourvu de toute attache personnelle dans son pays d'origine. Dans ces circonstances, et malgré les efforts d'insertion déployés en France, le refus de titre de séjour n'a pas porté au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au sens des dispositions et stipulations citées au point précédent.

7. En troisième lieu, M. A... reprend en appel le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il n'apporte en appel aucun élément de droit ou de fait nouveau par rapport à son argumentation de première instance, à laquelle la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a suffisamment et pertinemment répondu. Par suite, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par celle-ci.

8. Enfin, eu égard à ce qui été dit ci-dessus, le refus de titre de séjour en litige ne repose pas sur une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle et médicale de M. A....

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

9. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...). Il résulte de ces dispositions que, dès lors qu'elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir qu'un étranger, résidant habituellement en France, présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie qu'elle prévoit des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, l'autorité préfectorale doit, lorsqu'elle envisage de prendre une telle mesure à son égard, et alors même que l'intéressé n'a pas sollicité le bénéfice d'une prise en charge médicale en France, recueillir préalablement l'avis du médecin de l'agence régionale de santé

10. En premier lieu, le requérant, qui n'établit pas avoir transmis des pièces médicales à l'administration avant l'édiction de l'arrêté en litige, ne saurait être regardé comme ayant porté à la connaissance de la préfète de la Gironde des éléments d'information suffisamment précis et circonstanciés qui auraient dû conduire cette autorité à solliciter l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Par suite, le moyen tiré du vice de procédure dont serait entachée à cet égard l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.

11. En deuxième lieu, eu égard à ce qui a été dit au point 4, M. A... n'est pas fondé à se prévaloir pas de ce qu'il aurait pu prétendre à la délivrance d'un titre de séjour de plein droit sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il n'est donc pas fondé à soutenir que la décision en litige a été prise en méconnaissance des dispositions citées au point 9.

12. Enfin, eu égard à la situation personnelle et médicale de M. A... telle que décrite ci-dessus, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.

En ce qui concerne la décision portant fixation du pays de renvoi :

13. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

14. M. A..., dont la demande d'asile a au demeurant été rejetée par les instances compétentes, fait valoir que, durant son adolescence, il a subi de la part de son père des violences sexuelles répétées. Toutefois, le requérant, qui indique avoir rompu tout contact avec son père et ignorer si ce dernier est toujours en vie, n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il encourrait des risques actuels et personnels en cas de retour au Cameroun. Par ailleurs, il ne démontre pas l'impossibilité d'y bénéficier d'un traitement médical approprié à son état de santé. Dès lors, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi aurait été prise en méconnaissance des dispositions et stipulations précitées doit être écarté.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :

15. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".

16. Ainsi qu'il a été dit, M. A..., arrivé récemment en France, ne justifie pas y avoir noué des liens d'une particulière intensité. De plus, le requérant a déjà fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement à laquelle il n'a pas déféré. Dans ces conditions, et alors même que sa présence sur le territoire français ne représente pas une menace pour l'ordre public, la préfète de la Gironde n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées au point 15 en lui interdisant de revenir sur le territoire français pour une durée de deux ans.

17. Enfin, compte tenu de la situation personnelle et médicale de M. A... telle qu'analysée ci-dessus, cette décision n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ne repose pas davantage sur une erreur manifeste d'appréciation.

18. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction et présentées au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, être accueillies.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président de la cour,

M. Laurent Pouget, président de chambre,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2023.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve-Dupuy

Le président,

Luc Derepas La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23BX00420


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00420
Date de la décision : 07/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : CESSO

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-11-07;23bx00420 ?
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