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12/10/2023 | FRANCE | N°23BX00142

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 12 octobre 2023, 23BX00142


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exercice libéral par actions simplifiées (SELAS) Pharmacie MSR Terreville a demandé au tribunal administratif de la Martinique, sous le n° 2100701, d'annuler l'arrêté du 18 septembre 2019 par lequel le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) de la Martinique a accordé une licence à M. A... pour le transfert de son officine vers le centre médical Village Santé situé 1, résidence Grand Village, Terreville, commune de Schœlcher, et sous le n° 2100594, d'annuler l'arrêt

du 14 septembre 2021 par lequel le directeur général de l'ARS a prolongé d'une dur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exercice libéral par actions simplifiées (SELAS) Pharmacie MSR Terreville a demandé au tribunal administratif de la Martinique, sous le n° 2100701, d'annuler l'arrêté du 18 septembre 2019 par lequel le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) de la Martinique a accordé une licence à M. A... pour le transfert de son officine vers le centre médical Village Santé situé 1, résidence Grand Village, Terreville, commune de Schœlcher, et sous le n° 2100594, d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2021 par lequel le directeur général de l'ARS a prolongé d'une durée d'un an le délai de transfert.

Par un jugement nos 2100594, 2100701 du 22 décembre 2022, le tribunal administratif de la Martinique, après avoir joint ces deux demandes, a annulé l'arrêté du 14 septembre 2021 par lequel le directeur général de l'ARS de la Martinique a prolongé d'une durée d'un an le délai accordé par la licence de transfert de l'officine de M. A..., en tant qu'il a accordé un délai supplémentaire supérieur à six mois et demi, et a rejeté le surplus des conclusions de la SELAS Pharmacie MSR Terreville.

Procédure devant la cour :

I.- Par une requête, enregistrée le 13 janvier 2023 sous le n° 23BX00142, et un mémoire, enregistré le 28 avril 2023, la SELARL Pharmacie A..., représentée par Me Daver et Me Fontaine, demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 22 décembre 2022 en tant qu'il a partiellement annulé l'arrêté du 14 septembre 2021 accordant un délai supplémentaire d'un an pour le transfert de l'officine de M. A... ;

2°) à titre subsidiaire, de réformer ce jugement en ce qu'il n'a pas retenu une modulation des effets de sa décision et, statuant à nouveau, de " prononcer la modulation des effets dans le temps de l'arrêt à intervenir à un délai de huit mois, soit au plus tôt au

22 août 2023 " ;

3°) de mettre à la charge de la SELAS Pharmacie MSR Terreville une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de la SELAS Pharmacie MSR Terreville devant le tribunal administratif était irrecevable pour défaut d'intérêt à agir à l'encontre des effets de la seule décision de prolongation du délai de transfert ; les premiers juges ont omis de statuer sur son intérêt à agir au regard de cette décision ;

- le tribunal administratif a également omis de statuer sur le moyen subsidiaire, présenté à l'audience et réitéré dans la note en délibéré, tenant à une demande de modulation dans le temps des effets de l'annulation ;

- l'article L. 5125-19 du code de la santé publique n'a pas été méconnu par l'arrêté du 14 septembre 2021 ; cet article prévoit que la période de transfert peut être prolongée en cas de force majeure constatée ; aucune disposition réglementaire ne limite la durée de prolongation ; la force majeure est caractérisée par les périodes de confinement liées à l'épidémie de covid-19 ; s'il y a eu quatre périodes de confinement d'une durée totale de 199 jours, il y a lieu de prendre en compte les conséquences générées par cet évènement imprévisible, qui ne se limitent pas à ces seules périodes de confinement ; il y avait donc lieu de prendre en compte toutes les conséquences de la crise sanitaire, et notamment des absences massives et répétées des artisans ainsi que des pénuries de matériaux, qui ont entraîné beaucoup de retards dans les travaux ; c'est ainsi l'ensemble de la période qui est caractérisée par la force majeure ; en outre, après la délivrance du permis de construire et l'obtention de la licence, elle a attendu l'expiration des délais de recours contentieux ; l'étude de sol a ensuite été retardée par la pandémie, comme le confirme l'entreprise qui en était chargée ; tant l'attestation de l'architecte que le calendrier des livraisons du chantier démontrent que les retards pris sont directement liés à la pandémie et à ses conséquences ;

- à titre subsidiaire, elle demande la réformation du jugement en ce qu'il n'a pas retenu un différé dans son exécution et en ce qu'il n'a pas prévu une modulation dans le temps des effets de l'arrêté à huit mois minimum ; elle a en effet déposé un nouveau dossier de demande identique le 6 janvier 2023 ; elle demande donc à la cour de prononcer une telle modulation, car elle est en mesure de prévoir une fin des travaux le 23 août 2023 ;

- l'appel incident de la SELAS Pharmacie MSR Terreville, irrecevable à l'encontre de la décision d'autorisation de transfert, ne peut qu'être rejeté en ce qu'il porte sur l'annulation de la décision du 14 septembre 2021 prononcée par le jugement, pour les raisons de fond déjà exposées.

Par des mémoires enregistrés les 20 février, 21 mars et 19 mai 2023, la SELAS Pharmacie MSR Terreville, représentée par Me Especel, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de l'autorisation de transfert du 18 septembre 2019, et en tant qu'il a admis la caractérisation d'un cas de force majeure d'une durée de six mois et demi ;

3°) à l'annulation des deux arrêtés du 18 septembre 2019 et du 14 septembre 2021 ;

4°) à ce que soit mise à la charge de la SELARL Pharmacie A... une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête de la SELARL Pharmacie A... est irrecevable pour défaut de qualité pour agir, l'ARS ayant délivré une autorisation à M. A..., et non à la SELARL ; en outre, la SELARL, personne morale, n'était pas partie à la première instance ;

- elle dispose d'un intérêt à agir contre l'arrêté de prolongation du transfert ;

- les premiers juges n'ont pas commis d'omission à statuer ;

- le recueil des actes administratifs dans lequel l'arrêté du 18 septembre 2019 a été publié n'a pas été mis en ligne sur le site internet de la préfecture, de sorte qu'elle n'était pas tardive à l'attaquer ;

- s'agissant de l'arrêté du 14 septembre 2021, la force majeure n'était pas constituée ; le jugement doit donc être réformé en ce qu'il a retenu la qualification de situation de force majeure pour une durée de six mois et demi.

II.- Par une requête enregistrée le 22 février 2023 sous le n° 23BX00531, l'Agence régionale de santé (ARS) de la Martinique, représentée par Me Yang-Ting-Ho, conclut à l'annulation du jugement du tribunal administratif de la Martinique du 22 décembre 2022 en tant qu'il a annulé partiellement l'arrêté du 14 septembre 2021 accordant un délai supplémentaire d'un an pour le transfert de l'officine de M. A..., et à ce que soit mise à la charge de la SELAS Pharmacie MSR Terreville une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'annulation de l'arrêté de prolongation du transfert viole le principe de sécurité juridique et porte atteinte à l'intérêt général lié aux besoins en médicaments de la population ;

- l'intérêt à agir de la SELAS Pharmacie MSR Terreville à l'encontre de l'arrêté du 14 septembre 2021 n'était pas constitué ; c'est à tort que les premiers juges l'ont admis ; en particulier, c'est à tort qu'ils ont considéré que la nouvelle officine était susceptible de bénéficier d'une partie de la clientèle de la pharmacie Terreville ; cette dernière n'a pas démontré en quoi l'arrêté de prorogation pouvait l'affecter de façon spéciale, certaine et directe ;

- les premiers juges n'ont pas pris en compte le fait que l'ancien local de la SELARL Pharmacie A... était dans un immeuble commun avec d'autres professionnels de santé, qui vont l'accompagner dans le nouveau centre médical ; à cet égard, le jugement comporte une erreur de fait et encourt l'annulation pour ce motif ;

- les premiers juges ont analysé le recours dirigé contre l'arrêté du 14 septembre 2021 comme s'il s'agissait de l'arrêté du 18 septembre 2019 ; ce dernier est un acte créateur de droits dont les effets ne sauraient être anéantis par l'annulation d'un acte de prolongation, lequel a un objet différent et ne fait pas grief à la SELAS Pharmacie MSR Terreville ;

- le nouveau lieu d'accueil de la SELARL Pharmacie A... répond à un besoin de la population et sera plus accessible et plus opérationnel ; les premiers juges ne se sont pas prononcés au fond sur l'arrêté du 18 septembre 2019, alors qu'ils auraient dû reconnaître le bien-fondé du transfert afin de " mesurer le mal-fondé du recours de la SELAS Pharmacie MSR Terreville " ;

- la seule " question valable " était de savoir si le délai de prolongation accordé par l'ARS avait été respecté, ce qui est le cas, le transfert ayant été réalisé dans ce délai d'un an ;

- la force majeure justifiait la prolongation du transfert d'une année ; l'après covid a eu des effets très pénalisants, qui se font encore sentir ; toute l'île a connu et connaît encore des difficultés ; en particulier, tous les délais de la commande publique ont été considérablement allongés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mars 2023, la SELAS Pharmacie MSR Terreville, représentée par Me Especel, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que la requête de l'ARS est irrecevable, pour défaut de qualité à agir du directeur général de l'ARS, seul le ministre en charge de la santé étant compétent pour faire appel en vertu de l'article R. 811-10 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le décret n° 2018-672 du 30 juillet 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Daver représentant la SELARL Pharmacie A..., de Me Yang-Ting représentant l'ARS de la Martinique et de Me Especel, représentant la SELAS Pharmacie MSR Terreville.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., gérant de la SELARL Pharmacie A... située dans le quartier de Terreville à Schœlcher (Martinique), a obtenu l'autorisation, par un arrêté du directeur général de l'ARS de la Martinique du 18 septembre 2019, de transférer son officine à 500 mètres du précédent local, dans le même quartier, vers un centre médical à créer pour lequel il avait obtenu le 14 mai 2019, via une société civile immobilière dont il est co-gérant, un permis de construire. Il a sollicité le 17 mars 2021 une prolongation pour force majeure du délai de deux ans qui lui était imparti pour ouvrir le nouveau local. Une prolongation lui a été accordée par un arrêté du directeur général de l'ARS du 14 septembre 2021 pour une durée d'un an, en raison des conséquences de la pandémie de covid-19. La pharmacie a ouvert dans le nouveau local le 17 septembre 2022.

2. La SELAS Pharmacie MSR Terreville, seule autre pharmacie à desservir le quartier de Terreville, a contesté devant le tribunal administratif de la Martinique, respectivement les 29 septembre et 18 novembre 2021, la décision de prolongation de délai du 14 septembre 2021 et l'autorisation initiale de transfert du 18 septembre 2019. Le tribunal a joint les deux affaires, et par un jugement du 22 décembre 2022, a rejeté comme tardive la demande dirigée contre l'autorisation initiale, et a annulé la prolongation du délai de transfert en tant qu'il avait accordé un délai supplémentaire supérieur à six mois et demi, au motif que l'ARS avait fait une appréciation excessive de la durée pendant laquelle la force majeure pouvait être retenue. Par une décision n° 23BX00153 du 24 février 2023, la présidente de la 2ème chambre de la cour administrative d'appel de Bordeaux, saisie par la SELARL Pharmacie A..., a prononcé le sursis à exécution de cette annulation partielle, jusqu'à ce que la cour statue sur la requête au fond de la SELARL Pharmacie A..., enregistrée sous le n° 23BX00142. La SELAS Pharmacie MSR Terreville présente dans l'instance n° 23BX00142, dans le délai de recours contentieux, des conclusions tendant à l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de l'autorisation de transfert du 18 septembre 2019 et qu'il n'a annulé que partiellement l'arrêté du 14 septembre 2021. Par une requête enregistrée sous le n° 23BX00531, l'ARS de la Martinique relève appel du même jugement en tant qu'il a annulé partiellement l'arrêté du 14 septembre 2021.

3. Les requêtes nos 23BX00142 et 23BX00531 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur le jugement en tant qu'il se prononce sur l'arrêté d'autorisation de transfert du 18 septembre 2019 :

4. D'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / (...). "

5. D'autre part, aux termes de l'article R. 5125-7 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret n° 2018-672 du 30 juillet 2018 publié au Journal officiel de la République française n° 0174 du 31 juillet 2018 : " La décision du directeur général de l'agence régionale de santé autorisant une création, un transfert ou un regroupement est publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de la région et, le cas échéant, des autres préfectures de région compétentes. (...) ". La publication d'une décision administrative dans un recueil autre que le Journal officiel fait courir le délai du recours contentieux à l'égard de tous les tiers si l'obligation de publier cette décision dans ce recueil résulte d'un texte législatif ou réglementaire lui-même publié au Journal officiel de la République française. En l'absence d'une telle obligation, cet effet n'est attaché à la publication que si le recueil peut, eu égard à l'ampleur et aux modalités de sa diffusion, être regardé comme aisément consultable par toutes les personnes susceptibles d'avoir un intérêt leur donnant qualité pour contester la décision.

6. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 18 septembre 2019 autorisant le transfert de l'officine de M. A..., qui mentionne les voies et délais de recours à son encontre, a été publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Martinique le 20 septembre 2019. Dès lors que l'obligation de publication de l'autorisation en cause dans ce recueil résulte d'un texte réglementaire publié au Journal officiel de la République française, la condition subsidiaire de publication dans un recueil aisément consultable par les tiers n'est pas applicable. La SELAS Pharmacie MSR Terreville ne peut donc utilement faire valoir que le recueil des actes administratifs n'a pas été mis en ligne sur le site internet de la préfecture. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté comme tardive sa demande d'annulation de l'arrêté du 18 septembre 2019, enregistrée le 18 novembre 2021, après l'expiration du délai de recours contentieux, lequel a couru à compter du 20 septembre 2019.

Sur le jugement en tant qu'il se prononce sur l'arrêté de prolongation du délai de transfert du 14 septembre 2021 :

En ce qui concerne la recevabilité des appels :

S'agissant de l'appel de la SELARL Pharmacie A... :

7. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. ".

8. Il ressort des pièces du dossier de première instance et du jugement que la demande de la SELAS Pharmacie MSR Terreville a été communiquée à la SELARL Pharmacie A..., dont le nom commercial est " Pharmacie de Grand Village ", créée par M. A... et son associé M. B..., et que le mémoire en défense a été produit pour la " la Pharmacie de Grand Village exploitée par M. A... ". La SELARL Pharmacie A..., représentée par M. A..., son gérant, était ainsi partie en première instance, et elle était bien bénéficiaire de l'autorisation de transfert et de l'autorisation de prolongation du délai de transfert, alors même que les arrêtés du 18 septembre 2019 et du 14 septembre 2021 visent des demandes de M. A.... La fin de non-recevoir opposée par la SELAS Pharmacie MSR Terreville, tirée de ce que la SELARL Pharmacie A... n'aurait pas qualité pour interjeter appel, ne peut ainsi qu'être écartée.

S'agissant de l'appel de l'ARS :

9. Aux termes de l'article L. 1432-1 du code de la santé publique : " Les agences régionales de santé sont des établissements publics de l'Etat à caractère administratif. Elles sont placées sous la tutelle des ministres chargés de la santé, de l'assurance maladie, des personnes âgées et des personnes handicapées. (...) ". Aux termes de l'article L. 1432-2 du même code : " Le directeur général de l'agence régionale de santé exerce, au nom de l'Etat, les compétences mentionnées à l'article L. 1431-2 qui ne sont pas attribuées à une autre autorité. (...) Le directeur général délivre (...) la licence mentionnée à l'article L. 5125-4. (...) Il peut ester en justice. Il représente l'agence en justice et dans tous les actes de la vie civile (...) ". Aux termes de l'article R. 811-10-2 du code de justice administrative, dans sa version issue du décret n° 2019-854 du 20 août 2019 : " Par dérogation aux dispositions de l'article R. 811-10, le directeur général de l'agence régionale de santé présente devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'Etat, lorsque le litige est né d'une décision qu'il a prise au nom de celui-ci ". Il résulte de ces dispositions que la SELAS Pharmacie MSR Terreville n'est pas fondée à soutenir que le directeur général de l'ARS de la Martinique n'aurait pas compétence pour relever appel du jugement qui a partiellement annulé son arrêté du 14 septembre 2021.

S'agissant de l'appel de la SELAS Pharmacie MSR Terreville :

10. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 2, les conclusions de la SELAS Pharmacie MSR Terreville tendant à l'annulation du jugement en ce qu'il a partiellement annulé l'arrêté du 14 septembre 2021 ont été présentées dans le délai de recours contentieux. La fin de non-recevoir opposée par la SELARL Pharmacie A..., tirée de ce que ces conclusions constitueraient un appel incident irrecevable en ce qu'il porterait sur un litige distinct de ses propres conclusions, ne peut donc, en tout état de cause, être accueillie.

11. En second lieu, aux termes de l'article L. 5125-19 du code de la santé publique : " L'autorisation de création, transfert ou de regroupement d'officines ne prend effet qu'à l'issue d'un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêté d'autorisation. / A l'issue du délai de trois mois, l'officine dont la création, le transfert ou le regroupement avec une autre officine a été autorisé, doit être effectivement ouverte au public dans les deux ans à compter de la notification de l'arrêté de licence. Cette période peut être prolongée par le directeur général de l'agence régionale de santé en cas de force majeure constatée ".

12. Il ressort des pièces du dossier que le lieu de transfert de l'officine de M. A... est situé à seulement 500 mètres de ses anciens locaux, au sein d'un centre médical pluridisciplinaire où doivent exercer notamment des médecins et des kinésithérapeutes. La nouvelle officine, située à un kilomètre de la pharmacie Terreville, est susceptible de capter une partie de la clientèle de cette dernière, d'autant plus que les nouveaux locaux sont plus aisément accessibles depuis la voie publique, notamment pour les personnes à mobilité réduite, le centre médical étant situé à proximité d'un arrêt de bus et équipé de nombreuses places de stationnement. Dans ces circonstances, contrairement à ce que soutient la SELARL Pharmacie A..., la SELAS Pharmacie Terreville justifie d'un intérêt à agir à l'encontre de la décision de prorogation du délai de transfert sans laquelle l'autorisation initiale serait devenue caduque, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que l'autorisation initiale est devenue définitive faute d'avoir été contestée dans le délai de recours contentieux.

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 14 septembre 2021 :

13. La pandémie de covid-19, durant laquelle la Martinique a été soumise à quatre périodes de confinement entre les mois de mars 2020 et d'octobre 2021 pour une durée totale de six mois et demi, a constitué un évènement imprévisible à la date de l'arrêté de transfert du 18 septembre 2019, irrésistible et extérieur au projet de la SELARL Pharmacie A..., ce qui caractérise un cas de force majeure permettant au directeur général de l'ARS de prolonger le délai de transfert.

14. Il ressort des pièces du dossier que l'activité du secteur de la construction a été affectée à la Martinique durant toute la période de mars 2020 à octobre 2021 par de très nombreux arrêts de travail, que ce soit en raison de contaminations par le covid-19 ou de situations de cas contact, et que les circuits d'approvisionnements habituels ont été désorganisés par des pénuries de matériaux ou des délais d'acheminement anormalement longs. Les justificatifs produits par la SELARL Pharmacie A... font apparaître que le calendrier prévisionnel des travaux a été remis en cause dès le premier confinement, l'entreprise Ginger Géode chargée d'effectuer l'étude de sol préalable à réalisation des fondations par micropieux n'ayant pu rendre son rapport que le 8 août 2020, et un compte-rendu de visite de chantier établi par l'architecte le 22 février 2021 met en évidence un important allongement des délais de réalisation des travaux, malgré des efforts d'organisation pour tenter de gagner du temps. Dans ces circonstances, et alors qu'aucun retard n'apparaît imputable à un manque de diligence dans la mise en œuvre de l'autorisation de transfert, la SELARL Pharmacie A... et l'ARS de la Martinique sont fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Martinique a jugé que la prolongation d'un an du délai de transfert était " manifestement excessive " en ce qu'elle excédait une durée de six mois et demi.

15. Il y a lieu pour la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués en première instance par la SELAS Pharmacie MSR Terreville.

16. En premier lieu, aux termes de l'article L. 5125-18 du code de la santé publique : " (...). / Lorsqu'il est saisi d'une demande de création, de transfert ou de regroupement, le directeur général de l'agence régionale de santé consulte les organisations professionnelles mentionnées à l'article L. 5125-6-1 ou, dans le cas de la Réunion, de la Martinique, de la Guadeloupe, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de la Guyane et de Saint-Pierre-et-Miquelon, le conseil central de la section E de l'ordre national des pharmaciens. / (...). " Ces dispositions ne sont pas applicables à une demande de prolongation du délai d'ouverture d'une officine dont le transfert a déjà été autorisé. Par suite, l'absence de consultation du conseil central de la section E du conseil national de l'ordre des pharmaciens ne peut être utilement invoquée.

17. En second lieu, ainsi qu'il a été dit au point 1, la demande de prolongation du délai de transfert a été déposée le 17 mars 2021. Il ressort des pièces du dossier qu'elle a été complétée le 9 septembre 2021 par des pièces justifiant de l'incidence de la crise sanitaire sur les délais d'exécution des travaux. Si la prolongation a été accordée cinq jours plus tard, le 14 septembre 2021, la complexité du dossier n'était pas telle que son instruction puisse être regardée comme insuffisante pour permettre à l'administration de prendre une décision éclairée.

18. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement, d'une part, que la SELARL Pharmacie A... et l'ARS de la Martinique sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé l'arrêté du 14 septembre 2021 en tant qu'il avait prolongé la validité de l'autorisation de transfert pour une durée supérieure à six mois et demi, et d'autre part, que la SELAS Pharmarcie MSR Terreville n'est pas fondée à invoquer une illégalité de l'arrêté du 14 septembre 2021. Par suite, l'article 2 du jugement qui a annulé partiellement cet arrêté doit être annulé, et la demande d'annulation de l'arrêté du 14 septembre 2021 présentée par la SELAS Pharmarcie MSR Terreville devant le tribunal doit être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la SELARL Pharmacie A... et de l'Etat, qui ne sont pas les parties perdantes dans les présentes instances, les sommes que la SELAS Pharmacie MSR Terreville demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SELAS Pharmacie MSR Terreville une somme de 2 000 euros chacune à verser à la SELARL Pharmacie A... et à l'ARS de la Martinique sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement nos 2100594, 2100701 du 22 décembre 2022 du tribunal administratif de la Martinique est annulé.

Article 2 : La demande d'annulation de l'arrêté du 14 septembre 2021 présentée par la SELAS Pharmacie MSR Terreville devant le tribunal administratif de la Martinique est rejetée.

Article 3 : La SELAS Pharmacie MSR Terreville versera à la SELARL Pharmacie A... et à l'ARS de la Martinique une somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Pharmacie A..., à l'Agence régionale de santé de la Martinique, à la société d'exercice libéral par actions simplifiées Pharmacie MSR Terreville et au ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Anne Meyer, présidente,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 octobre 2023.

La rapporteure,

Florence Rey-Gabriac

La présidente,

Anne Meyer

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX00142, 23BX00531


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00142
Date de la décision : 12/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MEYER
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : ESPECEL;FIDAL - DIRECTION PARIS;ESPECEL

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-10-12;23bx00142 ?
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