Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 9 février 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux a opéré une retenue de sept trentièmes sur son traitement pour la période du 24 janvier au 30 janvier 2018.
Par un jugement n° 1801863 du 6 août 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 octobre 2021, M. A..., représenté par Me Huriet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 6 août 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 9 février 2018 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux, ensemble la décision du 7 juin 2018 portant rejet de son recours gracieux ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que son arrêt de travail, fondé sur un état anxieux en lien avec une agression physique survenue le 22 janvier 2018, était médicalement justifié.
Par une ordonnance du 26 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 décembre 2022 à 12h.
Un mémoire a été présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice le 16 septembre 2023, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Le président de la cour administrative d'appel de Bordeaux, par une décision du 4 septembre 2023, a affecté Mme Karine Butéri, présidente-assesseure, à la 3ème chambre de la cour, pour l'audience du mardi 19 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- et les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., surveillant pénitentiaire alors en fonction à la maison centrale de Saint-Martin de Ré, a transmis à son administration un avis d'arrêt de travail du 24 au 30 janvier 2018 pour un " syndrome anxieux ". Par une décision du 9 février 2018, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux a opéré une retenue de sept trentièmes sur le traitement de l'intéressé pour la période du 24 au 30 janvier 2018. M. A... relève appel du jugement du 6 août 2021 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision, ensemble la décision du 7 juin 2018 portant rejet de son recours gracieux.
2. Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958, alors applicable, relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire : " Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire est interdit (...) ".
3. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, désormais codifié aux articles L. 822-1 à L. 822-5 du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire a droit (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; (...). Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 35 ". Aux termes de l'article 25 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime des congés de maladie des fonctionnaires, dans sa rédaction alors applicable : " Pour obtenir un congé de maladie ainsi que le renouvellement du congé initialement accordé, le fonctionnaire adresse à l'administration dont il relève, dans un délai de quarante-huit heures suivant son établissement, un avis d'interruption de travail. (...) / L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. / Le comité médical compétent peut être saisi, soit par l'administration, soit par l'intéressé, des conclusions du médecin agréé ". L'article 15 du même décret dispose que l'avis du comité médical, devenu conseil médical depuis l'entrée en vigueur du décret du 11 mars 2022 modifiant le décret du 14 mars 1986, est motivé dans le respect du secret médical.
4. Il résulte des dispositions citées au point 3 que l'administration ne peut en principe interrompre le versement de la rémunération d'un agent lui demandant le bénéfice d'un congé de maladie en produisant un avis médical d'interruption de travail qu'en faisant procéder à une contre-visite par un médecin agréé. Toutefois, dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, et la réception d'un nombre important et inhabituel d'arrêts de travail sur une courte période la mettant dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret du 14 mars 1986, l'administration est fondée, dès lors qu'elle établit que ces conditions sont remplies, à refuser d'accorder des congés de maladie aux agents du même service, établissement ou administration lui ayant adressé un arrêt de travail au cours de cette période. Ces agents peuvent, afin de contester la décision rejetant leur demande de congé de maladie, établir par tout moyen la réalité du motif médical ayant justifié leur absence pendant la période considérée. Ils peuvent également, malgré l'absence de contre-visite, saisir le conseil médical, qui rendra un avis motivé dans le respect du secret médical.
5. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de l'appel au blocage des établissements pénitentiaires par plusieurs organisations syndicales, l'administration pénitentiaire a été marquée, pendant la période de la fin janvier au début février 2018, par un important mouvement social des surveillants pénitentiaires, agents pour lesquels la cessation concertée du service est interdite. M. A... ne conteste pas que, comme l'a relevé le tribunal, son établissement d'affectation a reçu un nombre important et inhabituel d'arrêts de travail sur la période en cause, de sorte que l'administration s'est trouvée dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile à des contre-visites, par un médecin agréé, des agents affectés dans cet établissement. Toutefois, le requérant fait valoir que le syndrome anxieux à raison duquel il a bénéficié d'un arrêt de travail à compter du 24 janvier 2018 résultait d'une agression physique subie le 22 janvier 2018. Il produit un certificat médical établi le 23 janvier 2018 dont il résulte qu'il présentait, au niveau de la région lombaire et du genou droit, plusieurs excoriations, lésions qui sont compatibles avec l'agression qu'il déclare avoir subie. Dans ces conditions, et alors même qu'aucun traitement médicamenteux ne lui a été prescrit, M. A... apporte des éléments circonstanciés permettant d'établir la réalité de la pathologie au titre de laquelle il a bénéficié de l'arrêt de travail litigieux. Dans ces conditions, c'est à tort que l'administration a estimé que l'intéressé était en situation d'absence injustifiée durant cette période et a procédé, pour ce motif, à une retenue sur son traitement.
6. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante à l'instance, le versement à M. A... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1801863 du 6 août 2021 du tribunal administratif de Poitiers et les décisions des 9 février et 7 juin 2018 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Karine Butéri, présidente,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 octobre 2023.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
La présidente,
Karine Butéri
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX03843