Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, d'annuler la décision du 26 janvier 2018 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux a opéré une retenue de huit trentièmes sur son traitement pour la période du 23 janvier au 30 janvier 2018, d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de lui restituer la somme retenue sur son traitement et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 2 juillet 2018 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice lui a infligé une sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de dix jours et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 5 000 euros en réparation des préjudices résultant de cette sanction.
Par un jugement n° 1801156, 1901912 du 25 janvier 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 2 juillet 2018 du garde des sceaux, ministre de la justice, a enjoint à cette autorité de prendre toute mesure de nature à régulariser la situation de Mme A... en conséquence de cette annulation et a rejeté le surplus des demandes de Mme A....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 mars 2021, Mme A..., représentée par Me Sebban, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 25 janvier 2021 en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision du 26 janvier 2018 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux, à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de lui restituer la somme retenue sur son traitement et aux fins d'indemnisation ;
2°) d'annuler la décision du 26 janvier 2018 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux ;
3°) d'enjoindre à l'administration pénitentiaire de lui restituer la somme retenue sur son traitement, assortie des intérêts au taux légal ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice résultant de la décision du 26 janvier 2018 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision en litige est insuffisamment motivée en fait ;
- cette décision est fondée sur l'ordonnance du 6 août 1958 ; la deuxième phrase de l'article 3 de cette ordonnance a été déclarée contraire à la Constitution ; la décision en litige, qui ne constitue pas une simple mesure comptable mais a pour objet de sanctionner le fonctionnaire absent, revêt un caractère punitif ; cette sanction ne pouvait être prononcée sans respecter le principe des droits de la défense ;
- elle avait transmis à son administration un arrêt de travail et devait donc être placée en congé de maladie, sans pouvoir être regardée comme étant en situation d'absence injustifiée ; l'administration ne pouvait remettre en cause son droit à être placée en congé de maladie sans procéder à une contre-visite par un médecin agréé ;
- l'inversion de la charge de la preuve du bien-fondé de l'arrêt de travail conduit à exiger des agents de produire des éléments couverts par le secret médical ;
- elle a justifié, par les éléments produits, que son absence était effectivement justifiée par un motif médical :
- d'autres agents ayant transmis des arrêts de travail sur la période où l'établissement était impacté par un mouvement de grève ont été réglés de l'intégralité de leurs traitements ; l'administration a ainsi méconnu le principe d'égalité de traitement des agents ;
- l'illégalité fautive de la décision en litige engage la responsabilité de l'administration à son égard ; elle est fondée à solliciter une somme forfaitaire de 3 000 euros en réparation de son dommage.
Par une ordonnance du 26 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 décembre 2022 à 12h.
Un mémoire a été présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice le 16 septembre 2023, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Le président de la cour administrative d'appel de Bordeaux, par une décision du 4 septembre 2023, a affecté Mme Karine Butéri, présidente-assesseure, à la 3ème chambre de la cour, pour l'audience du mardi 19 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- l'ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- et les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., surveillante pénitentiaire alors en fonction au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, a transmis à son administration un avis d'arrêt de travail du 23 au 30 janvier 2018. Par une décision du 26 janvier 2018, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux a opéré une retenue de huit trentièmes sur son traitement pour la période du 23 janvier au 30 janvier 2018. Elle relève appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 25 janvier 2021 en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision, à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de lui restituer la somme retenue sur son traitement et à la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice ayant résulté de cette décision du 26 janvier 2018.
Sur les conclusions à fin d'annulation et d'injonction :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement (...) ". Aux termes de l'article 4 de la loi du 29 juillet 1961 portant loi de finances rectificative pour 1961 : " (...) L'absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d'indivisibilité en vertu de la réglementation prévue à l'alinéa précédent. Il n'y a pas service fait : / 1°) Lorsque l'agent s'abstient d'effectuer tout ou partie de ses heures de services ; /2°) Lorsque l'agent, bien qu'effectuant ses heures de service, n'exécute pas tout ou partie des obligations de service qui s'attachent à sa fonction telles qu'elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l'autorité compétente dans le cadre des lois et règlements (...)".
3. Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958, alors applicable, relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire : " Toute cessation concertée du service, tout acte collectif d'indiscipline caractérisée de la part des personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire est interdit (...) ".
4. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, désormais codifié aux articles L. 822-1 à L. 822-5 du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire a droit (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; (...). Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 35 ". Aux termes de l'article 25 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime des congés de maladie des fonctionnaires, dans sa rédaction alors applicable : " Pour obtenir un congé de maladie ainsi que le renouvellement du congé initialement accordé, le fonctionnaire adresse à l'administration dont il relève, dans un délai de quarante-huit heures suivant son établissement, un avis d'interruption de travail. (...) / L'administration peut faire procéder à tout moment à la contre-visite du demandeur par un médecin agréé ; le fonctionnaire doit se soumettre, sous peine d'interruption du versement de sa rémunération, à cette contre-visite. / Le comité médical compétent peut être saisi, soit par l'administration, soit par l'intéressé, des conclusions du médecin agréé ". L'article 15 du même décret dispose que l'avis du comité médical, devenu conseil médical depuis l'entrée en vigueur du décret du 11 mars 2022 modifiant le décret du 14 mars 1986, est motivé dans le respect du secret médical.
5. Il résulte des dispositions citées au point 4 que l'administration ne peut en principe interrompre le versement de la rémunération d'un agent lui demandant le bénéfice d'un congé de maladie en produisant un avis médical d'interruption de travail qu'en faisant procéder à une contre-visite par un médecin agréé. Toutefois, dans des circonstances particulières, marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, et la réception d'un nombre important et inhabituel d'arrêts de travail sur une courte période la mettant dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'article 25 du décret du 14 mars 1986, l'administration est fondée, dès lors qu'elle établit que ces conditions sont remplies, à refuser d'accorder des congés de maladie aux agents du même service, établissement ou administration lui ayant adressé un arrêt de travail au cours de cette période. Ces agents peuvent, afin de contester la décision rejetant leur demande de congé de maladie, établir par tout moyen la réalité du motif médical ayant justifié leur absence pendant la période considérée. Ils peuvent également, malgré l'absence de contre-visite, saisir le conseil médical, qui rendra un avis motivé dans le respect du secret médical.
6. En premier lieu, Mme A... reprend, sans critique utile du jugement, les moyens tirés de l'insuffisante motivation de la décision en litige et de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement des agents, auxquels les premiers juges ont pertinemment répondu. Il y a lieu, dès lors, d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Bordeaux.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de l'appel au blocage des établissements pénitentiaires par plusieurs organisations syndicales, l'administration pénitentiaire a été marquée, pendant la période de la fin janvier au début février 2018, par un important mouvement social des surveillants pénitentiaires, agents pour lesquels la cessation concertée du service est interdite. Mme A... ne conteste pas que, comme l'a relevé le tribunal, la direction interrégionale des services pénitentiaires de Bordeaux, dont relève son établissement d'affectation, a reçu un nombre important et inhabituel d'arrêts de travail sur la période en cause, de sorte que l'administration s'est trouvée dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile à des contre-visites, par un médecin agréé, des agents affectés, notamment, dans cet établissement. Dès lors, en considérant, sans contre-visite par un médecin agréé, que Mme A... était en situation d'absence injustifiée entre le 23 et le 30 janvier 2018, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux n'a pas commis d'erreur de droit.
8. En troisième lieu, en se bornant à produire un avis d'arrêt de travail, qui ne comporte pas de motif médical, la requérante n'établit pas la réalité du motif médical ayant justifié son absence pendant la période en cause. Sur ce point, eu égard à la possibilité rappelée au point 5 de saisir le conseil médical, elle ne peut utilement se prévaloir de son droit au secret médical.
9. En quatrième lieu, la requérante fait valoir que le Conseil constitutionnel a, par une décision n° 2019-781 QPC du 10 mai 2019, déclaré contraire à la Constitution la seconde phrase de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, qui prévoit que peut être sanctionné, en dehors de toute garanties disciplinaires, l'agent des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire qui prend part à une cessation concertée du service ou à tout acte collectif d'indiscipline caractérisée, lorsque ces faits sont susceptibles de porter atteinte à l'ordre public, comme méconnaissant le principe du contradictoire qui a une valeur constitutionnelle. Toutefois, la décision contestée procède à une retenue sur traitement pour absence de service fait sur le fondement des dispositions de l'article 4 de la loi du 29 juillet 1961, citées au point 2 du présent arrêt. Le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la seconde phrase de l'article 3 de l'ordonnance du 6 août 1958 doit dès lors être écarté.
10. Enfin, une mesure revêt le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision en litige constituerait une sanction déguisée. La requérante n'est par suite pas fondée à se prévaloir de la méconnaissance du principe des droits de la défense.
11. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 26 janvier 2018 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux et, par voie de conséquences, à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de lui restituer la somme retenue sur son traitement.
Sur les conclusions indemnitaires :
12. Le tribunal a rejeté les conclusions indemnitaires de Mme A... comme irrecevables, faute de liaison du contentieux. L'appelante ne conteste pas l'irrecevabilité ainsi opposée à cette demande de première instance par le tribunal, et il n'appartient pas à la cour de rechercher d'office si cette irrecevabilité a été retenue à bon droit. Le rejet de cette demande ne peut, dès lors, qu'être confirmé par la cour.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, le versement de quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Karine Butéri, présidente,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 octobre 2023.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
La présidente,
Karine Butéri
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX01091