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26/09/2023 | FRANCE | N°23BX00969

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 26 septembre 2023, 23BX00969


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 janvier 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de revenir sur le territoire pour une durée de deux ans.

Par un jugement n°2200767-2200768 du 23 mars 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.

Procédure de

vant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 avril 2023, Mme B..., représentée par Me...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 janvier 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de revenir sur le territoire pour une durée de deux ans.

Par un jugement n°2200767-2200768 du 23 mars 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 avril 2023, Mme B..., représentée par Me Guyon, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 23 mars 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 22 janvier 2022 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de revenir sur le territoire pour une durée de deux ans ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, le tout dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 80 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me Guyon en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision lui refusant le séjour est insuffisamment motivée et n'a pas été précédée d'un examen sérieux de sa situation personnelle ;

- l'arrêté litigieux a méconnu les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cet arrêté a en outre méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;

- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire est privée de base légale par l'illégalité de la décision lui refusant le séjour ;

- la décision fixant le pays de renvoi a méconnu les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision lui faisant interdiction de revenir sur le territoire français est insuffisamment motivée, a méconnu les dispositions des articles L 612-8 et L. 612-10 du même code et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire enregistré le 16 mai 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il entend s'en remettre à son mémoire de première instance.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., de nationalité ukrainienne, née le 17 août 1978, a déclaré être entrée en France le 6 juillet 2017. Elle a sollicité le bénéfice de l'asile le 17 juillet suivant. Elle s'est ensuite soustraite à la décision par laquelle la préfète de la Gironde a décidé son transfert aux autorités polonaises en charge de l'examen de sa demande d'asile et, par une décision du 26 février 2019 confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 21 octobre 2019, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a finalement rejeté cette demande. Par un arrêté du 28 janvier 2022, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de revenir sur le territoire pour une durée de deux ans. Mme B... relève appel du jugement du 23 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, à l'appui des moyens tirés de ce que les décisions litigieuses seraient insuffisamment motivées et de ce que la préfète de la Gironde n'aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle, l'appelante ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée en première instance et ne critique pas utilement la réponse apportée par le tribunal administratif. Par suite, il y a lieu de rejeter ces moyens par adoption des motifs pertinemment retenus par les premiers juges.

3. En deuxième lieu, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prévoient que : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article L. 423-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1.Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. "

4. Mme B... fait valoir qu'elle est entrée sur le territoire national en 2017, qu'elle était accompagnée de ses deux premiers enfants nés en Ukraine en 2001 et 2015 ainsi que de son conjoint et qu'ils ont ensuite eu trois enfants, nés en France en 2018, 2020 et 2021. Elle ajoute que l'aînée de ces enfants, majeure, est titulaire d'une carte de séjour en qualité d'étudiante et que son quatrième enfant a dû subir deux interventions chirurgicales en 2021 pour une exérèse de Naevus. Elle précise, en outre, que son conjoint et père de quatre de ses cinq enfants, qui résidait également en situation irrégulière sur le territoire, a quitté le domicile conjugal et qu'elle " ignore où il se trouve ". Enfin, elle indique avoir suivi des cours de français en 2017 et 2018.

5. Toutefois, la durée de son séjour en France est uniquement liée à l'instruction de sa demande d'asile et elle ne démontre pas une insertion particulièrement aboutie sur le territoire national, alors qu'elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine. En outre, elle ne peut pas utilement se prévaloir de l'intensité de la relation qu'elle entretient avec sa fille aînée séjournant régulièrement en France dès lors que celle-ci ne dispose du droit de se maintenir sur le territoire français que pour la durée de ses études. Enfin, elle ne peut davantage se prévaloir utilement de la situation en Ukraine à l'encontre de la décision lui refusant le séjour. Dans ces conditions, dès lors que rien ne s'oppose à ce que les enfants mineurs D... Mme B..., qui n'ont, selon ses dires, plus de contact avec leur père, l'accompagnent dans le pays de son choix, l'appelante n'est pas fondée à soutenir que la décision de refus de titre de séjour aurait porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, cette décision n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En outre et pour les mêmes motifs, l'appelante n'est pas davantage fondée à soutenir que cette décision serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 435-1 du même code,

6. En troisième lieu, il résulte de ce qui précède que la décision refusant le séjour à Mme B... n'a pas méconnu l'intérêt supérieur de ses enfants tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

7. En quatrième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 2, 5 et 6 du présent arrêt que l'appelante n'est pas fondée à soutenir que l'illégalité de la décision lui refusant le séjour priverait de base légale la décision lui faisant obligation de quitter le territoire.

8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3 de de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. "

9. Si Mme B... soutient qu'elle encourt des risques en cas de retour en Ukraine, elle n'apporte toutefois aucun élément précis et circonstancié permettant d'établir qu'à la date de la décision attaquée, elle était personnellement exposée à des risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d'origine en se bornant à se prévaloir de sa situation de mère célibataire. En outre, elle ne peut pas utilement invoquer " le conflit qui s'est généralisé à toute l'Ukraine " dès lors que la décision fixant le pays de renvoi a été prise antérieurement au déclenchement au conflit opposant l'Ukraine à la Russie. Par suite, la préfète de la Gironde n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement. Toutefois, si l'existence d'un conflit opposant l'Ukraine à la Russie demeure ainsi sans incidence sur la légalité de cette décision, la survenue de ce conflit est en revanche de nature à faire obstacle à l'exécution de la décision fixant l'Ukraine comme pays de destination, eu égard aux stipulations précitées de l'article 3 de de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". L'article L. 612-10 du même code prévoit que : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".

11. Mme B... dispose, au moins temporairement, de liens en France dès lors que sa fille aînée y réside régulièrement pour la durée de ses études. En outre, le préfet n'établit ni ne soutient que sa présence sur le territoire national représenterait une menace pour l'ordre public. Dans ces conditions, elle est fondée à soutenir que la préfète de la Gironde a commis une erreur d'appréciation au regard des dispositions précitées de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en fixant à deux ans, soit la durée maximale prévue par les dispositions également précitées de l'article L. 612-8, la durée de l'interdiction de retour sur le territoire national prononcée à son encontre.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision lui faisant interdiction de revenir sur le territoire français pour une durée de deux ans et à demander l'annulation de cette décision. Par ailleurs, cette annulation n'impliquant aucune mesure d'exécution, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.

13, Enfin, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions D... B... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 23 mars 2023 est annulé en tant qu'il n'a pas annulé la décision du 22 janvier 2022 faisant interdiction à Mme B... de revenir sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Article 2 : La décision du 22 janvier 2022 faisant interdiction à Mme B... de revenir sur le territoire français pour une durée de deux ans est annulée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 5 septembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 septembre 2023.

Le rapporteur,

Manuel C...

Le président,

Laurent PougetLa greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 23BX00969 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00969
Date de la décision : 26/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : GUYON

Origine de la décision
Date de l'import : 01/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-09-26;23bx00969 ?
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