La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/09/2023 | FRANCE | N°23BX00848

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 14 septembre 2023, 23BX00848


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 22 mars 2022 par laquelle le préfet de Lot-et-Garonne a refusé le regroupement familial qu'il avait demandé au profit de son épouse et de leurs cinq enfants.

Par un jugement n° 2204174 du 1er février 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 mars 2023, M. C..., représenté par Me Bruneau, demande à la cour :
<

br>1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 1er février 2023 ;

2°) d'annul...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 22 mars 2022 par laquelle le préfet de Lot-et-Garonne a refusé le regroupement familial qu'il avait demandé au profit de son épouse et de leurs cinq enfants.

Par un jugement n° 2204174 du 1er février 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 mars 2023, M. C..., représenté par Me Bruneau, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 1er février 2023 ;

2°) d'annuler la décision préfectorale du 22 mars 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet de Lot-et-Garonne d'admettre au séjour, au titre du regroupement familial, son épouse et ses enfants, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ; la famille s'est constituée alors qu'il était travailleur saisonnier et résidait six mois par an au Maroc, et sa femme et ses enfants ne sont entrés sur le territoire français qu'une fois qu'il a obtenu un titre de séjour salarié, de sorte qu'ils n'ont jamais été séparés ; sa famille est bien insérée, et son éloignement provisoire, le temps de l'instruction d'une demande de regroupement familial, serait contraire à l'intérêt des enfants ;

-elle est en outre entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 juin 2023, le préfet de Lot-et-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- bien que la continuité de la vie familiale du demandeur ne soit pas contestée, l'article L. 434-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permet de refuser le regroupement familial lorsque le membre de la famille pour lequel le regroupement est demandé vit en France ; au demeurant, M. C... ne justifie pas de revenus suffisants, au sens de l'article R. 434-4 du code, pour une famille de sept personnes ; il n'est pas démontré que son épouse et ses enfants aient des liens stables, anciens et intenses avec la France, dès lors qu'ils ne sont présents sur le territoire que depuis trois ans ;

- aucun motif ne s'oppose à ce que son épouse retourne provisoirement au Maroc, accompagnée le cas échéant des enfants, le temps de l'instruction d'une demande de visa de long séjour, d'autant que quatre des cinq enfants ont vécu l'essentiel de leur existence dans ce pays ; les difficultés d'organisation familiale ne sont dues qu'à la volonté initiale du demandeur de ne pas respecter les conditions pour bénéficier du regroupement familial.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant marocain né le 1er janvier 1970 et titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle en qualité de salarié, a sollicité, le 18 février 2022, l'admission au séjour de son épouse et de ses cinq enfants, au titre du regroupement familial. Par une décision du 22 mars 2022, le préfet de Lot-et-Garonne a refusé de faire droit à sa demande. Par un jugement du 1er février 2023 dont M. C... relève appel, le tribunal administratif

de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cette décision préfectorale.

Sur la légalité de la décision préfectorale contestée :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 434-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial : / 1° Par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans ; / 2° Et par les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. ". Aux termes de l'article L. 434-6 du même code : " Peut être exclu du regroupement familial : (...) 3° Un membre de la famille résidant en France. ".

3. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions légalement requises, notamment, comme en l'espèce, en cas de présence anticipée sur le territoire français du membre de la famille bénéficiaire de la demande. Il dispose, toutefois d'un pouvoir d'appréciation

et n'est pas tenu par les dispositions précitées, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ou serait méconnu l'intérêt supérieur d'un enfant

en méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

4. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

5. Il ressort des pièces du dossier que M. C... est entré en France en 2003 et a bénéficié de titres de séjour en qualité de travailleur saisonnier jusqu'en 2019 avant d'être admis au séjour en qualité de salarié. Il a épousé le 10 décembre 2004 une ressortissante marocaine, avec laquelle il a eu cinq enfants, âgés à la date de la décision contestée de 17 ans, 16 ans, 12 ans, 9 ans et le dernier, né en France, 2 ans. Si sa famille l'a rejoint sur le territoire français en 2019 et y réside de manière irrégulière depuis trois ans, la vie familiale est ancienne et stable, puisqu'elle a pu se construire alors que M. C... disposait d'un titre de séjour, en qualité de travailleur saisonnier, lui faisant obligation de maintenir sa résidence habituelle hors de France. M. C... est titulaire depuis le 20 octobre 2021 d'une carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'au 19 octobre 2025, il a signé en janvier 2022 un contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'ouvrier mécanicien agricole, les enfants sont tous les cinq scolarisés et son épouse a obtenu un diplôme d'études en langue française de niveau intermédiaire. Si l'intéressé ne disposait pas des ressources suffisantes pour une famille de sept personnes sur la période de référence d'un an prévue par l'article R. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet ne conteste pas que M. C... disposait de telles ressources à la date de la décision. Dans ces conditions, en refusant l'admission au séjour de son épouse et de ses enfants au titre du regroupement familial au motif qu'ils étaient déjà présents sur le territoire français, le préfet de Lot-et-Garonne a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation du refus de regroupement familial.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. L'annulation prononcée par le présent arrêt implique nécessairement que soient admis au séjour, au titre du regroupement familial, l'épouse et les cinq enfants de M. C.... Il y a lieu d'enjoindre au préfet d'y procéder, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

9. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge

de l'Etat la somme que demande M. C... sur le fondement des dispositions de

l'article L.761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La décision préfectorale du 22 mars 2022 et le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 1er février 2023 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de Lot-et-Garonne d'admettre au séjour, au titre

du regroupement familial, l'épouse et les cinq enfants de M. C..., dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. C... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au ministre de l'intérieur

et des outre-mer et au préfet de Lot-et-Garonne.

Délibéré après l'audience du 29 août 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 septembre 2023.

Le rapporteur,

Olivier A...

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX00848


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00848
Date de la décision : 14/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : CABINET BRUNEAU et FAGOT

Origine de la décision
Date de l'import : 17/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-09-14;23bx00848 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award