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18/07/2023 | FRANCE | N°21BX01816

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 18 juillet 2023, 21BX01816


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise individuelle E... et M. et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de La Réunion de prononcer la décharge en droits et pénalités, d'une part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre des années 2011, 2012 et 2013, d'autre part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2011, 2012 et 2013.

Par un jugement n° 1800375 du 2 février 2021, le tribunal administratif de La Réu

nion a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise individuelle E... et M. et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de La Réunion de prononcer la décharge en droits et pénalités, d'une part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre des années 2011, 2012 et 2013, d'autre part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2011, 2012 et 2013.

Par un jugement n° 1800375 du 2 février 2021, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 mai 2021, et un mémoire enregistré le 13 décembre 2022, qui n'a pas été communiqué, l'entreprise individuelle E..., M. et Mme C... E... F... A..., représentés par Me Tragin, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1800375 du 2 février 2021 du tribunal administratif de La Réunion ;

2°) de prononcer la décharge en droits et pénalités des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2011, 2012 et 2013 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la réponse aux observations du contribuable n'a pas été adressée par le service vérificateur à leur conseil, en dépit du mandat reçu par ce dernier dans le cadre de la procédure de rectification, emportant élection de domicile au cabinet de ce dernier ; l'administration fiscale ne pouvait prétendre ignorer l'élection de leur domicile au cabinet de leur conseil ; ils ont été privés d'un recours devant la commission départementale ;

- l'apport de l'activité de l'entreprise individuelle E... à l'EURL VST doit être considéré comme rétroactif fiscalement pour la détermination du résultat fiscal des deux entités au 1er janvier 2013 ;

- la réponse ministérielle D..., n° 23790, JO AN 5 mai 2009 de même que la réponse ministérielle B... n° 23037, JO AN 22 juillet 1972 sont inopposables car contraires aux principes jurisprudentiels ; le service ne remet en cause la rétroactivité de l'opération d'apport qu'à l'appui de sa propre doctrine administrative ; le fait que des déclarations de chiffres d'affaires ont été régularisées dans l'intérêt de l'entreprise E... est indifférent ;

Sur les rappels de TVA collectée :

- aucune explication n'est donnée quant à la méthodologie suivie et à la pertinence des chiffres retenus, ne permettant pas de déterminer de quelle manière ils ont été obtenus par le service ;

- le service ne pouvait retenir les encaissements comme base de calcul aux rappels de TVA ; il n'a pas été tenu compte du fait que l'entreprise avait recours à une société d'affacturage ; des " compensations " en comptabilité ont été retenues alors qu'il aurait fallu préalablement neutraliser les éventuels débits constatés ; il était plus opportun de retenir les encaissements sur le compte " banque " ; dans son calcul de " clients encaissés théorique " le service a pris les clients TTC de N-1 et de N sans tenir compte des créances irrécouvrables, des comptes factor ou des provisions sur des retenues de garantie ; les comptes " clients " comprennent le montant de la retenue sur garantie de 15 % qui n'est pas versée par les clients et pour laquelle l'exigibilité à la TVA n'était pas encore intervenue ;

- pour les exercices clos en 2011 et 2012, les montants des erreurs comptables ne sont pas significatifs au regard du montant du chiffre d'affaires reconstitué par le service et ne justifient pas le rejet de la comptabilité ; l'absence de justificatifs ne leur est pas imputable ;

- le service a méconnu l'obligation d'utilisation de plusieurs méthodes de reconstitution ;

Sur les rappels de TVA déduite à tort :

- le service n'apporte aucun fondement pour évaluer le montant des rappels ;

- les errements au titre de l'année 2011 n'étaient évalués qu'à 6 048 euros ; la déduction en 2013 de la TVA déduite par anticipation en 2012 pour un montant de 25 021 euros et la compensation de ce montant avec les rappels de TVA au titre de l'année 2011 et 2012 doivent être admises ;

Sur le profit sur le Trésor :

- le service n'apporte pas la preuve que l'application de la cascade de TVA aboutirait, à défaut de la constatation à due concurrence d'un tel profit, à ce que le contribuable soit imposé à l'impôt sur les sociétés sur une assiette inférieure à celle sur laquelle il aurait été imposé s'il avait acquitté régulièrement la TVA ;

- les rappels faisant suite à une déduction injustifiée de taxe ne génèrent pas systématiquement un profit sur le Trésor ;

- le jugement a inversé la charge de la preuve de la réalisation d'un profit sur le Trésor du fait de la TVA éludée ;

- le profit sur le Trésor ne fait apparaître que des profits fictifs, qui méconnaissent les dispositions légales qui régissent l'assiette de l'impôt ;

Sur la TVA à régulariser appréhendée par l'exploitant :

- la rectification du BIC de l'année 2013 pour un montant de 37 375 euros est contestée ; la dette a été reprise lors de l'apport de l'entreprise individuelle en société et aurait dû être notifiée à l'EURL VST mise en liquidation judiciaire au titre de l'exercice 2014 ; la situation de l'entreprise E... actualisée au 30 juin 2013 fait apparaitre un résultat déficitaire d'un montant de 272 599 euros ; l'exploitation de l'entreprise individuelle était déjà déficitaire au 30 juin 2013 ; il doit être retenu comme résultat BIC de l'entreprise au 14 juillet 2013, la situation au 30 juin 2013 qui est la situation la plus proche de la date du fait générateur ;

- l'administration a commis une erreur dans l'exercice de rattachement du produit exceptionnel d'un montant de 37 374 euros, qui ne pouvait être rattaché qu'à l'exercice 2014 ;

Sur les pénalités pour manœuvres frauduleuses :

- le service n'apporte pas la preuve qui lui incombe du caractère occulte ou fictif des activités de l'entreprise individuelle E... ;

- la comptabilité de l'entreprise individuelle E... ayant été reconstituée, l'administration se devait de justifier que sa reconstitution extra-comptable était suffisamment proche de la réalité pour démontrer l'existence d'une dissimulation effective et systématique de recettes ; la mauvaise foi n'est pas établie ;

- l'administration n'établit pas que le contribuable, qui, en raison de la négligence de son comptable, n'a pas tenu en temps utile sa comptabilité, et qui, par voie de conséquence, a souscrit des déclarations insuffisantes ou n'en a pas souscrit du tout, se soit livré pour autant à des manœuvres frauduleuses ;

Sur l'absence de manquement délibéré :

- l'importance des revenus non déclarés ne suffit pas à justifier l'application des pénalités de mauvaise foi ;

- l'entreprise E... n'a jamais fait l'objet de rectifications similaires ;

- ils ne sont pas des professionnels de la comptabilité et ont été victimes des erreurs et malveillances commises par un salarié, chargé de la comptabilité de l'entreprise.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 novembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au non-lieu à statuer à hauteur d'une somme totale de 424 212 euros et au rejet du surplus de la requête.

Il fait valoir que :

- les conclusions tendant à la décharge des impositions procédant d'autres chefs de rehaussement que ceux relatifs aux rappels de TVA collectée, de TVA déduite par anticipation, aux profits sur le Trésor générés par les rappels de TVA opérés et à la réintégration d'une dette de TVA prescrite au bénéfice industriel et commercial de l'année 2013 sont irrecevables en ce qu'elles ne contiennent l'exposé d'aucun moyen de nature à contester leur principe ou leur quantum ;

- s'agissant de la réintégration dans le bénéfice industriel et commercial de l'entreprise au titre de l'année 2013, de la TVA à régulariser 2010, il est fait droit aux prétentions des requérants ;

- les pénalités pour manquement délibéré de 40 % sont substituées à celles pour manœuvres frauduleuses de 80 % ;

- les autres moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 27 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 13 décembre 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Martin,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique,

- et les observations de Me Lacoste, représentant l'entreprise individuelle E... et M. et Mme E... F... A....

Considérant ce qui suit :

1. L'entreprise individuelle E..., qui exerce une activité de terrassement, de voiries et réseaux divers (VRD) et de location d'engins avec chauffeurs, exploitée par M. C... E... F... A..., a fait l'objet d'une vérification de comptabilité en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013. Un contrôle sur pièces de la situation fiscale de M. et Mme E... F... A... a porté sur les années 2011, 2012 et 2013 et a fait suite à la création de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) E... sud Terrassement, le 15 juillet 2013, par apport du fonds de commerce de l'entreprise E.... Par une proposition de rectification en date du 24 décembre 2014, l'administration a procédé à des rappels de TVA pour un montant total de 419 088 euros, en droits et pénalités, aux motifs d'insuffisance de TVA collectée, de TVA déduite à tort et de profit sur le Trésor. M. et Mme E... F... A... ont été avisés par proposition de rectification en date du 19 décembre 2014 des conséquences sur l'impôt sur le revenu des rectifications issues de la vérification de comptabilité de l'entreprise, évaluées, pour les trois années, à la somme globale, en droits et pénalités, de 98 842 euros. Les réclamations formées respectivement les 10 novembre 2015 et 11 septembre 2017 par l'entreprise E... et M. et Mme E... F... A... ont été rejetées les 25 novembre 2015 et 15 février 2018. Les intéressés relèvent appel du jugement du 2 février 2021 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté leur demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2011, 2012 et 2013.

Sur l'étendue du litige :

2. Par décision du 17 novembre 2021, postérieure à l'introduction de la requête, l'administration a procédé à des dégrèvements d'un montant total de 424 212 euros en matière de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période courant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013 et d'impôt sur le revenu pour les années 2011 à 2013. Par suite, les conclusions de la requête sont, dans cette mesure, devenues sans objet.

Sur l'imposition restant en litige :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une notification de redressement qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...). / Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée " et de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition, prorogé, le cas échéant, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de cet article. ". Selon l'article R. 59-1 du même livre, le contribuable dispose d'un délai de trente jours à compter de la réception de la réponse de l'administration à ses observations pour présenter une demande de soumission du litige à l'avis de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.

4. Pour l'application de ces dispositions, lorsque le mandat donné à un conseil ou à tout autre mandataire par un contribuable pour l'assister dans ses relations avec l'administration ne contient aucune mention expresse habilitant le mandataire à recevoir l'ensemble des actes de la procédure d'imposition, ce mandat n'emporte pas élection de domicile auprès de ce mandataire. Dans ce cas, l'administration n'entache pas la procédure d'imposition d'irrégularité en notifiant l'ensemble des actes de la procédure au contribuable, alors même que le mandat confie au mandataire le soin de répondre à toute notification de redressements, d'accepter ou de refuser tout redressement.

5. Il ne résulte pas de l'instruction que les courriers des 18 et 27 février 2015, par lesquels le conseil de M. et Mme E... F... A... et de l'entreprise E... a présenté des observations à l'administration auraient comporté une mention expresse habilitant ce mandataire à recevoir l'ensemble des actes de la procédure d'imposition relative aux contribuables, et auraient emporté élection de domicile des contribuables chez ce conseil. Ils ne sont dès lors pas opposables à l'administration s'agissant des réponses aux observations que le service a apportées aux consorts E... F... A... et à l'entreprise, le 16 juin 2015. D'une part, il n'est pas contesté que le pli contenant la réponse aux observations de l'entreprise a été régulièrement distribué le 19 juin 2015. D'autre part, l'administration fiscale a produit copie de l'avis de réception portant mention " avisé et non réclamé " contenant la réponse aux observations des particuliers, présentée le 19 juin 2015 à l'adresse du domicile de M. et Mme E... F... A... et retournée à l'expéditeur le 6 juillet suivant. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, les réponses aux observations ont été ainsi régulièrement notifiées aux contribuables. Par suite, le moyen tiré de ce que les intéressés auraient été privés d'une garantie faute d'avoir pu saisir la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires en l'absence d'une notification régulière de la réponse à leurs observations doit être écarté.

6 En deuxième lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs.

7. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 24 décembre 2014 comporte la désignation des impositions concernées, des années d'imposition et des bases d'imposition, en droit et en fait. Contrairement à ce qu'affirment les requérants, elle mentionne, de manière suffisamment précise, les modalités selon lesquelles à partir des rapprochements effectués entre les écritures comptables, notamment les comptes clients et les déclarations de TVA, l'administration a déterminé les montants dus en matière de TVA collectée, de TVA déduite à tort, de profit sur le Trésor. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la proposition de rectification manque en fait et doit être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :

S'agissant de la prise en compte de la rétroactivité de l'opération d'apport :

8. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 210-6 du code du commerce : " Les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce(...) / Les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société " et aux termes de l'article L. 236-4 du même code, dans sa rédaction applicable à l'imposition en litige : " La fusion ou la scission prend effet : / 1° En cas de création d'une ou plusieurs sociétés nouvelles, à la date d'immatriculation, au registre du commerce et des sociétés, de la nouvelle société ou de la dernière d'entre elles ; (...) ".

9. En application de ces règles, pour la détermination des bénéfices imposables d'une société créée par apport d'un fonds de commerce d'une entreprise individuelle, le premier bilan dans lequel doivent être prises en compte les conséquences des stipulations relatives à la constitution de la société est le bilan de clôture de l'exercice au cours duquel la société a été légalement constituée. Lorsque les parties sont convenues de donner effet à cette constitution à une date antérieure à celle à laquelle la personnalité morale de la société est acquise, une telle convention ne peut, en vertu du principe de l'annualité de l'impôt et de la spécificité des exercices, avoir d'effet antérieurement au jour d'ouverture de l'exercice au cours duquel la société a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés et reste sans influence sur l'imposition des résultats de l'exercice précédent.

10. En deuxième lieu, aux termes de l'article 6 des statuts de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) E... Sud Terrassement, publiés le 12 septembre 2013 : " L'associé unique apporte, sous les garanties ordinaires et de droit à la société, son entreprise individuelle de " travaux de terrassement, location d'engins, concassage, VRD " pour lequel l'apporteur a le numéro d'identification suivant 441 762 507 et comprenant : - le nom commercial, l'enseigne, la clientèle...Montant total de l'apport 400 000./ A été procédé à l'évaluation desdits apports en nature au vu d'un rapport ci annexé établi par ASCI, commissaire aux comptes désigné par l'associé unique ". L'annexe II non enregistré précise en son article 7 " L'apport objet des présentes aura effet au 01/01/2013. La société VST aura la propriété et la jouissance de l'ensemble des biens et droits comprenant l'entreprise individuelle apportée à compter de cette date ".

11. Les requérants soutiennent qu'en application de cette clause de rétroactivité prévue par le contrat d'apport de l'entreprise exercée à titre individuel par M. E... F... A... à l'EURL E... Sud Terrassement, prenant effet au 1er janvier 2013, l'administration ne pouvait procéder à la rectification du résultat de l'entreprise individuelle au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2013. L'EURL E... Sud Terrassement a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 16 décembre 2013. En application des dispositions précitées de l'article L. 210-6 du code de commerce, cette date est celle de sa constitution légale. Si l'article L. 236-4 du code de commerce ne fait pas obstacle à ce que les sociétés participant à un apport partiel d'actif confèrent un effet fiscal à cette opération à une date antérieure à celle de l'immatriculation de la société bénéficiaire, l'administration est en droit d'établir l'imposition conformément aux apparences que le contribuable a lui-même créées. Il résulte de l'instruction que, s'agissant de l'entreprise individuelle, dont la radiation n'a été actée que le 2 septembre 2014, celle-ci a poursuivi son activité jusqu'au mois de novembre 2013, par le dépôt de ses déclarations CA3, mentionnant des opérations réalisées pour un montant hors taxes de 2 601 833 euros, et a conservé ses comptes bancaires, qui n'ont été fermés que le 31 décembre 2013. S'agissant de L'EURL E... Sud Terrassement, celle-ci a déposé des déclarations CA3 avec la mention " néant " de janvier à novembre 2013 et l'inscription d'un montant de 87 euros au titre du mois de décembre 2013. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'entreprise exercée à titre individuel par M. E... F... A... a été imposée à la TVA et sur ses bénéfices industriels et commerciaux au titre de l'année 2013.

12. Il ne résulte pas de l'instruction que l'administration fiscale aurait ajouté aux conditions fixées par la loi fiscale et aurait fondé les impositions sur la doctrine exprimée par les réponses ministérielles respectivement faites à Mme D... le 5 mai 2009 et à M. B... le 22 juillet 1972. Elle s'est bornée à mettre en œuvre les conditions légales applicables au bénéfice réalisé par l'entreprise exercée à titre individuel par M. E... F... A... au cours de l'année 2013. Le moyen doit par suite être écarté.

S'agissant de la TVA collectée :

13. Aux termes du 2 de l'article 269 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " La taxe est exigible: /a) Pour les livraisons et les achats visés au a du 1 et pour les opérations mentionnées aux b et d du même 1, lors de la réalisation du fait générateur ; / Toutefois, pour les livraisons d'électricité, de gaz, de chaleur, de froid ou de biens similaires donnant lieu à des décomptes ou à des encaissements successifs, l'exigibilité peut, sur option du redevable, intervenir au moment du débit ; elle intervient en tout état de cause dès la perception d'acomptes et à concurrence de leur montant, lorsqu'il en est demandé avant l'intervention du fait générateur ou du débit ;/a bis) Pour les livraisons d'immeubles à construire, lors de chaque versement des sommes correspondant aux différentes échéances prévues par le contrat en fonction de l'avancement des travaux ; /b) (Abrogé) ;/b bis) Pour les prestations de services pour lesquelles la taxe est due par le preneur en application du 2 de l'article 283, lors du fait générateur, ou lors de l'encaissement des acomptes ; (...) ".

14. Il résulte de l'instruction que s'agissant des années 2011 et 2012, l'administration fiscale a déterminé les montants de TVA collectée au taux de 8,5% après avoir reconstitué les encaissements sur les comptes clients à partir des données figurant sur les balances globales de la comptabilité, de l'analyse des comptes clients et des éléments portés sur les liasses fiscales et en annexe. Les relevés bancaires n'ont pu être exploités en l'absence de la mention de la référence client sur les versements effectués. S'agissant de l'année 2013, en l'absence de comptabilité, l'estimation de la base à déclarer a été faite à partir de la situation fournie au 31 août 2013, en évaluant les compensations entre fournisseurs et clients, certains clients étant aussi fournisseurs, à partir du pourcentage retenu au titre des deux années précédentes. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, il résulte de ce qui précède que l'administration n'a procédé à aucune reconstitution du chiffre d'affaires mais s'est au contraire appuyée sur les éléments produits par les contribuables, à partir des fichiers comptables au titre des exercices clos aux 31 décembre 2011 et 2012 et de la situation comptable établie au 31 août 2013. Les écritures des créances irrécouvrables ont été neutralisées. Le recours à une société d'affacturage a été pris en compte au titre de l'année 2012, par l'évaluation des créances avancées et non payées, sans ignorer la pratique pour le factor consistant à retenir un pourcentage en garantie de 15 % sur le montant des clients portés à l'affacturage et non payés. La circonstance, à la supposer établie, que l'absence de justificatif n'est pas imputable aux requérants mais résulterait des défaillances de la personne en charge de la comptabilité au sein de l'entreprise est sans incidence sur le bien-fondé des impositions supplémentaires. Par suite, l'entreprise appelante n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause les rappels de TVA collectée retenus par l'administration qui doit dès lors être regardée comme apportant la preuve du bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée collectée mis à sa charge.

S'agissant de la TVA déduite :

15. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable. / Toutefois, les personnes qui effectuent des opérations occasionnelles soumises à la taxe sur la valeur ajoutée n'exercent le droit à déduction qu'au moment de la livraison. /3. La déduction de la taxe ayant grevé les biens et les services est opérée par imputation sur la taxe due par le redevable au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance. /II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas :/a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures (...) ;/c) Celle qui est acquittée par les redevables eux-mêmes lors de l'achat ou de la livraison à soi-même des biens ou des services ; (...)/ 2. La déduction ne peut pas être opérée si les redevables ne sont pas en possession soit desdites factures, (...) ".

16. Il résulte de ces dispositions que le droit à déduction ne peut être exercé que lorsque le bénéficiaire des prestations détient une facture mentionnant la taxe sur la valeur ajoutée. Il ressort de la proposition de rectification que la vérificatrice a constaté l'absence de toute facture d'achats en 2011 et 2012 et en 2013 des factures d'achats sans comptabilité. Elle a toutefois admis un montant de TVA déduite par anticipation en 2011 et 2012, après que les comptes aient fait l'objet d'une révision par un expert-comptable, avant de retenir des rappels de TVA à hauteur de 6 048 euros en 2011 et de 18 973 euros en 2012. Les requérants n'établissent pas que la taxe déductible ainsi calculée serait d'un montant insuffisant. Ils ne sont, par suite, pas fondés à contester le rappel de taxe sur la valeur ajoutée, correspondant à la taxe sur la valeur ajoutée déductible déclarée à tort, à raison de factures dont ils n'ont pas justifié l'existence.

S'agissant du profit sur le Trésor :

17. Aux termes de l'article L 77 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " En cas de vérification simultanée des taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées, de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, le supplément de taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées afférent à un exercice donné est déduit, pour l'assiette de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, des résultats du même exercice, sauf demande expresse des contribuables, formulée dans le délai qui leur est imparti pour répondre à la proposition de rectification. (...) ". Lorsqu'un contribuable a fait l'objet de redressements en matière d'impôt sur les bénéfices et de TVA, ses bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés peuvent être rehaussées d'un profit sur le Trésor chaque fois que le droit qui lui est ouvert de déduire de ces bases la TVA rappelée aboutirait, à défaut de la constatation à due concurrence d'un tel profit, à ce que le contribuable soit imposé à l'impôt sur les sociétés sur une assiette inférieure à celle sur laquelle il aurait été imposé s'il avait acquitté régulièrement la TVA.

18. L'administration a procédé à un rappel d'une part de 16 345 euros au titre de l'année 2011 à raison de taxe sur la valeur ajoutée déduite par anticipation à reverser sans être justifiée par aucune facture, d'autre part, de 6 048 euros et de 18 973 euros au titre respectif des années 2011 et 2012 à raison de taxe sur la valeur ajoutée déduite par anticipation, faute de production des factures d'achat auprès de fournisseurs. Si les requérants font valoir que toute déduction injustifiée de taxe ne génère pas systématiquement un profit sur le Trésor et que les profits ainsi retenus présentent un caractère fictif, ils ne démontrent cependant pas la réalité même des opérations correspondantes que conteste formellement l'administration. Par suite, le moyen doit être écarté.

En ce qui concerne les pénalités :

19. L'administration propose de substituer aux pénalités pour manœuvres frauduleuses les pénalités pour manquement délibéré prévues par l'article 1729 du code général des impôts précité, lequel dispose : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; (...) ".

20. Il résulte de ces dispositions que la pénalité pour manquement délibéré a pour seul objet de sanctionner la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir un tel manquement, l'administration doit apporter la preuve, d'une part, de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations et, d'autre part, de l'intention de l'intéressé d'éluder l'impôt. Pour établir le caractère intentionnel du manquement du contribuable à son obligation déclarative, l'administration doit se placer au moment de la déclaration ou de la présentation de l'acte comportant l'indication des éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt.

21. Pour justifier l'application de la pénalité de 40 % prévue à l'article 1729 du code général des impôts aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée collectée au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013 et aux suppléments d'impôt sur le revenu résultant des rectifications apportées au bénéfice industriel et commercial, l'administration fiscale récapitule au titre des trois années contrôlées les différents manquements constatés, à savoir, l'absence de production des factures d'achat et de ventes, qui auraient pu être rapprochées des écritures comptables, la falsification de la comptabilité par des écritures erronées, visant notamment à faire disparaître des régularisations effectuées par l'expert-comptable. Si l'entreprise requérante et son dirigeant s'estiment victimes du comportement du salarié chargé de la comptabilité, licencié pour faute grave, les intéressés, en qualité de professionnels du bâtiment, ne pouvaient ignorer ces insuffisances et omissions, pas plus que leurs obligations déclaratives et contributives, au surplus, après que le cabinet d'expertise comptable les ait invités à procéder aux écritures de régularisation. Dans ces conditions, l'administration établit d'une part que de telles inexactitudes et omissions sont des manquements délibérés et d'autre part que la société requérante a cherché volontairement à éluder l'impôt. Dès lors, en mettant à la charge des requérants, la pénalité prévue à l'article 1729 a à hauteur de 40 % du code général des impôts, l'administration n'a pas commis d'erreur de droit.

22. Il résulte de tout ce qui précède que l'entreprise individuelle E... ainsi que M. et Mme E... F... A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté leur demande.

Sur les frais liés à l'instance :

23. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'entreprise individuelle E... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : A hauteur des sommes respectives en droits et pénalités de 330 370 euros et de 93 842 euros, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de l'entreprise individuelle E... et des consorts E... F... A... tendant à la décharge des suppléments de taxe sur la valeur ajoutée et d'impôt sur le revenu, restés à leur charge.

Article 2 : L'Etat versera à l'entreprise individuelle E... une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'entreprise individuelle E..., désignée en qualité de représentante unique des requérants en application des dispositions de l'article R. 751-3 du code de justice administrative et au ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

Mme Pauline Reynaud, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 juillet 2023.

La rapporteure,

Bénédicte MartinLa présidente,

Evelyne Balzamo

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 21BX01816


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01816
Date de la décision : 18/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Bénédicte MARTIN
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : TRAGIN

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-07-18;21bx01816 ?
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