Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Mérignac a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner in solidum les sociétés Léon Grosse Aquitaine, Nieto et Fabrique Atelier d'Architecture, sur le fondement de la garantie décennale, ou à titre subsidiaire la seule société Fabrique Atelier d'Architecture, au titre de sa responsabilité contractuelle, à lui verser une somme de 51 067.84 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal et la capitalisation des intérêts, au titre des désordres affectant le sol sportif et les menuiseries du gymnase " Bourran ", de condamner la société Fabrique Atelier d'Architecture à lui verser une somme de 8 184 euros TTC en réparation des désordres affectant les grilles métalliques des locaux de stockage du gymnase, enfin, de mettre à la charge des sociétés Léon Grosse Aquitaine, Nieto et Fabrique Atelier d'Architecture la somme de 16 179.60 euros TTC au titre des dépens.
Par un jugement n° 1906155 du 14 juin 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a donné acte à la commune de Mérignac du désistement de ses conclusions tendant à la condamnation de la société Fabrique Atelier d'Architecture à l'indemniser au titre du désordre affectant le système de production de l'arrivée d'eau chaude des sanitaires, a condamné la société Fabrique Atelier d'Architecture, sur le fondement de sa responsabilité contractuelle, à verser à la commune de Mérignac la somme de 58 891,96 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2019 ainsi que la capitalisation des intérêts échus, a mis les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 16 179,60 euros, à la charge définitive de la commune de Mérignac à hauteur de 50 % et à la charge définitive de la société Fabrique Atelier d'Architecture à hauteur de 50 %, a mis à la charge de la société Fabrique Atelier d'Architecture une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 août 2021, la société Fabrique Atelier d'Architecture, représentée par Me Milon, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a retenu sa responsabilité contractuelle et l'a condamnée seule à verser à la commune de Mérignac la somme de 58 891,96 euros en réparation des désordres affectant le revêtement du sol sportif et les menuiseries du gymnase ;
2°) à titre principal, de condamner in solidum la société Nieto et la société Léon Grosse Aquitaine à la garantir et relever indemne des condamnations éventuellement prononcées à son encontre sur le fondement de la garantie décennale ;
3°) à titre subsidiaire, de rejeter les demandes présentées par la commune de Mérignac sur le fondement de sa responsabilité contractuelle ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Mérignac les entiers dépens ;
5°) de condamner in solidum la société Nieto et la société Léon Grosse Aquitaine à la garantir des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre au titre des dépens.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les désordres affectant le sol sportif et les menuiseries du gymnase entrent dans le champ de la garantie décennale ; il ressort du rapport de l'expert que par leur ampleur, ces désordres rendent l'ouvrage impropre à sa destination ; seule sa responsabilité au titre de la garantie décennale pouvait été recherchée in solidum avec les autres intervenants, soit la société Léon Grosse Aquitaine, venant aux droits de la société GT Construction, titulaire du lot " VRD - Gros œuvre " et la société Nieto, titulaire du lot " menuiserie bois " ;
- si la cour retient le caractère décennal des désordres pour lesquels elle a été seule condamnée, elle est fondée à demander à être intégralement garantie et relevée indemne par la société Léon Grosse Aquitaine et par la société Nieto ;
- elle n'a commis aucune faute qui serait à l'origine des désordres ;
- son appel en garantie dirigé contre la société Nieto, titulaire du lot menuiseries bois, est recevable ; il est fondé la responsabilité quasi délictuelle de cette société ; en effet, selon le CCTP, le choix du classement du bois utilisé pour les menuiseries était laissé à l'appréciation du titulaire ; la non-conformité du bois choisi, constatée par l'expert, est ainsi imputable à la société Nieto ; elle n'avait pas à exiger que l'attestation de traitement des bois soit délivrée par un tiers spécialisé, s'agissant d'un ouvrage artisanal réalisé et traité par le menuisier lui-même ; elle n'avait donc pas à alerter le maître de l'ouvrage ou à faire des réserves au moment de la réception, alors que le bureau de contrôle Veritas n'a pas fait d'observations ;
- son appel en garantie dirigée contre la société Léon Grosse Aquitaine, venant aux droits de la société GT Construction, est recevable et fondé au titre de sa responsabilité quasi délictuelle ; les infiltrations d'eau sont imputables, selon l'expert, à un décapage insuffisant des terres vers l'Est, qui relevait de la responsabilité du titulaire du lot " gros-œuvre " ;
- la commune de Mérignac, en sa qualité de maître de l'ouvrage, a participé à la réalisation de son propre dommage, faute d'entretien du bois des menuiseries ;
- subsidiairement, sa responsabilité contractuelle ne peut être engagée pour manquement à son devoir de conseil lors des opérations de réception ; elle n'avait pas à exiger que l'attestation de traitement des bois soit délivrée par un tiers spécialisé, s'agissant d'un ouvrage artisanal réalisé et traité par le menuisier lui-même ; elle n'avait donc pas à alerter le maître de l'ouvrage ou à faire des réserves au moment de la réception, alors que le bureau de contrôle Veritas n'a pas fait d'observations et que la société Nieto a attesté de la classification du bois utilisé ;
- s'agissant des désordres affectant les grilles métalliques des locaux de stockage, sa responsabilité contractuelle ne peut être engagée pour manquement à son devoir de conseil lors des opérations de réception ; les désordres constatés ne sont pas imputables à une erreur de conception, mais l'entreprise titulaire qui n'a pas réalisé un ouvrage conforme à son usage et aux règles de l'art ; destinataire tardivement de l'attestation de levée des réserves, elle n'a pas été mise en mesure de constater le niveau de finition des ouvrages de serrurerie, de sorte que c'était au maître de l'ouvrage à qui il appartenait lors de la réception de vérifier la conformité des ouvrages de serrurerie ;
- c'est à tort que le tribunal a mis à sa charge la somme de 8 089,80 euros, soit la moitié des frais de l'expertise liquidés et taxés à la somme de 16 179,60 euros ;
- la société Léon Grosse Aquitaine et la société Nieto devront la relever et la garantir de toute condamnation prononcée au titre des dépens.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 janvier 2023, la société Léon Grosse Aquitaine, représentée par la SELARL Galy et Associés, conclut au rejet de la requête de la société Fabrique Atelier d'Architecture, à titre subsidiaire, demande à la cour de limiter à 2 103,12 euros la somme susceptible d'être mise à sa charge au titre des travaux de réfection, à l'exclusion des frais d'expertise, de condamner la société Nieto à la garantir et relever indemne des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre et à ce qu'il soit mis à la charge de cette dernière la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que ;
- s'agissant du désordre affectant les menuiseries bois du gymnase, si elle ne conteste pas avoir insuffisamment décapé le niveau du sol au droit de la façade Est du bâtiment compte tenu de la configuration du terrain dont il a résulté une rehausse de 10 cm par rapport au seuil des menuiseries extérieures, l'expert n'y voit pas la cause directe du désordre mais un facteur aggravant ; ce rehaussement, parfaitement décelable lors de la réception, n'a pas fait l'objet de réserves et le maître d'œuvre n'a pas alerté le maître de l'ouvrage et a ainsi manqué à son devoir de conseil ;
- ce désordre ne rentre pas dans le champ de la garantie décennale dès lors qu'il n'affecte pas la solidité de l'ouvrage et ne le rend pas impropre à sa destination ; le gymnase n'a d'ailleurs fait l'objet d'aucune restriction d'utilisation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 février 2023, la société Nieto, représentée par Me d'Hennezel, conclut au rejet de la requête de la société Fabrique Atelier d'Architecture, y compris les appels en garantie dirigés à son encontre, à titre subsidiaire, à ce que la société requérante et la société Léon Grosse Aquitaine la garantissent et la relèvent indemne de toute condamnation prononcée à son encontre et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Mérignac la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle fait valoir que :
- les désordres ne revêtent pas un caractère décennal ;
- la contrainte environnementale imposée par la commune, reprise au CCTP, imposait au moins 20 % de matériaux naturels, soit un bois de type pin sylvestre sapin rouge pour les menuiseries ;
- sur les seules déclarations du bureau Veritas, l'expert a estimé à tort qu'elle n'avait pas justifié de la nature du bois employé et de son traitement ; l'expert en déduit que soit le bois n'est pas de classe III, soit le traitement n'était pas conforme ; le DOE, document transmis au maître d'œuvre et au bureau de contrôle Veritas au moment de la réception en juin 2010, comprend une attestation sur la classification du bois utilisé; la réception ayant été prononcée sans réserve, l'architecte et le bureau de contrôle Veritas avaient nécessairement connaissance de l'utilisation d'un bois de classe III ;
- l'expert a exigé une attestation de traitement de bois par un tiers spécialisé et écarté l'attestation produite au DOE ; or, le produit n'étant pas manufacturé, l'expert ne pouvait exiger une telle attestation ; elle a justifié de la protection insecticide et fongicide réalisée ;
- le bois est compatible avec une humidité normale et résiste parfaitement sur les trois autres façades de l'édifice, mais souffre uniquement sur la façade Nord, qui est exposée au ruissellement constant des pluies et encaissée dans le sol : pour que le bois résiste à une stagnation d'eau ou une inondation, il aurait fallu un bois de classe IV ou V :
- l'expert a relevé un défaut d'entretien manifeste de la part de la commune, ce qui a constitué une cause d'aggravation du désordre ;
- si le bois choisi n'était pas conforme ni adapté, l'ensemble des menuiseries des quatre faces de l'édifices seraient dégradées : la terre trop haute à l'Est renvoie l'eau sur la façade, qui présente en surface un ruissellement constant ; les boiseries sont soumises à une humidité supérieure à celle prévue ;
- les désordres trouvent leur origine dans l'absence d'entretien de la noue qui devait drainer l'eau, l'absence d'exutoire, et plus généralement l'absence d'entretien sur l'azurage ;
- les désordres sont imputables à la commune de Mérignac, en l'absence totale d'entretien, à la société Léon Grosse, qui n'a pas suffisamment décapé les terres à l'Est du bâtiment, et la société Fabrique Atelier d'Architecture.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mai 2023, la commune de Mérignac, représentée par la Selarl HMS Atlantique Avocats, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Fabrique Atelier d'Architecture d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à titre subsidiaire, à la condamnation in solidum des sociétés Fabrique Atelier d'Architecture, Léon Grosse Aquitaine et Nieto, sur le fondement de la garantie décennale, à réparer les désordres affectant le sol sportif et les menuiseries bois du gymnase. Elle demande en outre à la cour, par la voie de l'appel incident, de porter la somme allouée en réparation de ses préjudices à 66 451,84 euros TTC et d'annuler le jugement en ce qu'il a mis une partie des frais d'expertise à sa charge.
Elle fait valoir que :
- la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre est engagée ; la société Fabrique Atelier d'Architecture n'a émis aucune réserve sur les menuiseries bois extérieures, alors qu'elle ne pouvait ignorer que le contrôleur technique avait émis des réserves à ce sujet, ce qui aurait dû l'inciter à une vigilance particulière lors des opérations de réception, d'autant plus que la société Nieto titulaire du lot " menuiseries bois " refusait de fournir les justificatifs sur le classement du bois ; l'insuffisance de décapage des terres situées à l'Est du bâtiment, qui a contribué à l'aggravation des dégradations des menuiseries bois, aurait dû être décelée par la société Fabrique Atelier d'Architecture lors des opérations de réception, alors qu'elle ne pouvait ignorer que la surface de ruissellement allait être importante ; un bon suivi des travaux lors de la pose du revêtement du sol sportif et une inspection minutieuse de celui-ci aurait permis au maître d'œuvre de constater les malfaçons liées à l'absence de collage dudit revêtement autour des plots techniques ; il en est de même pour les désordres affectant les grilles métalliques, non conformes aux prescriptions, ce qui aurait dû inciter le maître d'œuvre à lui conseiller d'émettre des réserves ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité décennale des constructeurs doit être engagée ; la circonstance que les désordres soient ponctuels et limités à certaines parties de l'ouvrage n'est pas de nature à faire obstacle à ce que la garantie décennale soit engagée en raison de ces désordres ; la dégradation du revêtement du sol sportif et des menuiseries bois par infiltrations d'eau est due à une mauvaise étanchéité du revêtement en périphérie des plots techniques, lequel n'est pas collé à la sous-couche, à l'état des menuiseries le long de la baie vitrée et au niveau de terre à l'Est qui est insuffisamment décapé, accentuant l'humidification des parties basses des châssis ; l'ensemble de ces désordres rendent l'ouvrage impropre à sa destination en raison du risque de chute des sportifs ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il convient de majorer son préjudice indemnisable en y incluant les frais de maîtrise d'œuvre et de contrôle technique afférents aux travaux de reprise des désordres, qu'elle chiffre à la somme de 7 200 euros TTC.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Agnès Bourjol,
- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,
- et les observations de Me Choplin, représentant société Fabrique Atelier d'Architecture, de Me Safar, représentant la commune de Mérignac, de Me Stefanoua, représentant la société Léon Grosse Aquitaine, et de Me D'Hennezel, représentant la société Nieto.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Mérignac a lancé en 2007 une opération de construction d'un nouveau gymnase dénommé " Bourran ". Par acte d'engagement du 25 janvier 2007, la maîtrise d'œuvre a été confiée à la société Fabrique Atelier d'Architecture. Le lot n° l " VRD / Gros Œuvre " a été confié, par acte d'engagement du 13 octobre 2008, à la société GT Construction, aux droits de laquelle vient la société Léon Grosse Aquitaine. Le lot n° 4 " menuiseries bois " a été confié, par acte d'engagement du 13 octobre 2008, à la société Nieto. Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 30 juin 2010 avec effet au 17 novembre 2009. La commune de Mérignac, constatant l'apparition de plusieurs désordres à partir de l'année 2011, a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux qui, par ordonnance du 17 avril 2015, a désigné un expert, lequel a remis son rapport le 15 mai 2017.
2. La commune de Mérignac a alors saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant, d'une part, à la condamnation des sociétés Fabrique Atelier d'Architecture, Léon Grosse Aquitaine et Nieto, sur le fondement de la garantie décennale, à l'indemniser des désordres affectant le revêtement du sol sportif et les menuiseries bois du gymnase et, d'autre part, à la condamnation de la société Fabrique Atelier d'Architecture, sur le fondement de sa responsabilité contractuelle, à l'indemniser des désordres affectant le revêtement du sol sportif, les menuiseries bois du gymnase et les grilles métalliques des locaux de stockage.
3. Par un jugement du 14 juin 2021, le tribunal administratif de Bordeaux, après avoir donné acte à la commune de Mérignac de son désistement de ses conclusions tendant à la condamnation de la société Fabrique Atelier d'Architecture au titre du désordre concernant le système de production de l'arrivée d'eau chaude des sanitaires, a condamné cette dernière, sur le fondement de sa responsabilité contractuelle, à verser à la commune de Mérignac la somme de 58 891,96 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 décembre 2019 ainsi que la capitalisation des intérêts, et a mis les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 16 179,60 euros, à la charge de la commune de Mérignac et de la société Fabrique Atelier d'Architecture à hauteur de 50 % chacune. La société Fabrique Atelier d'Architecture relève appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamnée seule, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, et n'a pas fait droit à ses appels en garantie dirigés contre les sociétés Nieto et Léon Grosse Aquitaine. Par la voie de l'appel incident, la commune de Mérignac conclut à la majoration de son indemnisation et à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a mis à sa charge la somme de 8 089,80 euros au titre des dépens.
Sur la responsabilité :
En ce qui concerne la garantie décennale des constructeurs :
4. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. La garantie décennale peut être recherchée pour des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.
5. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise ordonnée en référé, que la dégradation du sol sportif du gymnase a été causée par des infiltrations d'eau sous le revêtement au droit des plots techniques et par des infiltrations d'eau au droit des baies vitrées le long de la façade Est du bâtiment, entraînant le décollement du revêtement de sol sportif au niveau de la travée du plancher en contact avec le terrain naturel. Toutefois, ces décollements du sol sportif étant localisés, d'une part, le long du châssis de la baie vitrée, sur environ 5 mètres, d'autre part, au droit des plots techniques, il ne résulte pas de l'instruction qu'ils feraient obstacle à la pratique sportive ou constitueraient un danger pour les utilisateurs. Il n'est d'ailleurs pas allégué que le gymnase aurait fait l'objet, à raison de ces désordres, de restrictions d'utilisation. Dans ces conditions, et comme l'ont relevé les premiers juges, ces désordres ne sont pas, eu égard à leurs caractéristiques, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination.
6. Il résulte de ce qui précède que la société Fabrique Atelier d'Architecture et la commune de Mérignac ne sont fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal n'a pas retenu la responsabilité solidaire, sur le fondement de la garantie décennale, des société Nieto, Léon Grosse Aquitaine et Fabrique Atelier d'Architecture.
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre :
7. Le tribunal a fait droit à la demande de la commune de Mérignac tendant à la condamnation de la seule société Fabrique Atelier d'Architecture, maître d'œuvre, sur le fondement de sa responsabilité contractuelle, à l'indemniser du coût des travaux de reprise de certains ouvrages, sièges de désordres, pour manquement au devoir de conseil lors des opérations de réception.
8. La réception définitive des travaux prononcée ne met pas fin à la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre vis-à-vis du maître de l'ouvrage. Ce dernier peut, en effet, rechercher la responsabilité de son maître d'œuvre pour manquement de celui-ci à son devoir de conseil. A ce titre, la responsabilité contractuelle du maître d'œuvre pour manquement à son devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'il s'est abstenu d'appeler l'attention du maître d'ouvrage sur des désordres affectant l'ouvrage et dont il pouvait avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. Il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d'œuvre en avait eu connaissance en cours de chantier.
S'agissant des désordres affectant les menuiseries :
9. L'article 1.5.1. du cahier des clauses administratives particulières applicable au marché de maîtrise d'œuvre conclu entre la commune de Mérignac et la société Fabrique Atelier d'Architecture confiait au maître d'œuvre une mission dite de base, sans étude d'exécution, comprenant les esquisse, les études de projets (PRO), l'assistance à la passation des contrats de travaux (ACT), le visa des études partiellement ou totalement réalisées par l'entreprise titulaire, la direction de l'exécution des travaux (DET) et l'assistance aux opérations de réception et pendant la période de garantie de parfait achèvement. Ainsi, et en vertu de ces stipulations, le maître d'œuvre était chargé de contrôler l'exécution des travaux et d'appeler l'attention du maître de l'ouvrage sur les désordres de nature à faire obstacle à ce que la réception de l'ouvrage fût prononcée sans réserves.
10. Il résulte de l'instruction que si le choix du bois employé pour les menuiseries était laissé à l'appréciation du titulaire du lot " menuiserie bois " par le cahier des clauses techniques particulières applicable au lot " menuiseries bois ", la société Nieto n'a pas fourni les justificatifs relatifs au traitement et la nature du bois utilisé, pourtant sollicités par le bureau de contrôle Veritas qui avait préconisé l'utilisation d'un bois de classe III s'agissant de menuiseries ayant vocation à être exposées à des alternances d'humidité et de sécheresse ou exposées aux intempéries. La société Fabrique Atelier d'Architecture n'a émis aucune réserve ni demandé les justificatifs sur le traitement employé, la nature ou la classe du bois mis en place. Le maître d'œuvre, qui n'a ainsi pas alerté le maître de l'ouvrage sur l'absence de preuve de la classe de bois utilisé et qui n'a pas lui-même sollicité les documents obligatoires pour en justifier, n'a pas rempli ses obligations de conseil en s'abstenant d'appeler l'attention du maître de l'ouvrage sur ce point, et a dès lors commis une faute dans l'exercice de son devoir de conseil de nature à engager sa responsabilité.
11. La société Fabrique Atelier d'Architecture soutient que le maître de l'ouvrage, en ne procédant pas à l'entretien régulier des menuiseries bois, préconisé tous les trois ou quatre ans, a participé à la réalisation du désordre en cause, et se prévaut sur ce point du rapport d'expertise qui indique que l'absence d'entretien a constitué un facteur " aggravant ". Toutefois, eu égard à la date d'apparition du désordre en cause, soit dans un délai de trois ans à compter de la réception des travaux, et compte tenu de la consistance des travaux qu'impliquait nécessairement la reprise de ce désordre, ce défaut d'entretien est sans lien avec le désordre litigieux.
12. La société Fabrique Atelier d'Architecture soutient ensuite que la surélévation du terrain de 10 cm par rapport à la partie basse du seuil en bois a contribué à l'aggravation du phénomène de ruissellement et de stagnation de l'eau le long de la baie vitrée, et fait valoir que cette surélévation est exclusivement imputable à la société Léon Grosse Aquitaine, titulaire du lot n° l " VRD / Gros Œuvre ". Il n'est pas sérieusement contesté que cette surélévation est due à l'insuffisance de décapage du terrain sur 10 cm d'épaisseur à l'Est du bâtiment par la société Léon Grosse Aquitaine. Toutefois, le maître d'œuvre aurait dû signaler cette insuffisance au maître d'ouvrage lors des opérations de réception, conformément à sa mission d'assistance au maître d'ouvrage lors des opérations de réception. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, le maître d'œuvre a dès lors commis une faute dans l'exercice de son devoir de conseil de nature à engager sa responsabilité.
13. Enfin, s'il est exact que ce rehaussement anormal du terrain était parfaitement visible lors des opérations de réception, il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Mérignac était en mesure de déceler elle-même que ce rehaussement constituait une malfaçon susceptible de générer le désordre en cause. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que la commune de Mérignac aurait, en acceptant de réceptionner l'ouvrage en l'état, commis une imprudence de nature à exonérer, fût-ce de manière partielle, le maître d'œuvre de sa responsabilité.
S'agissant des désordres affectant les grilles métalliques des locaux de stockage :
14. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que les grilles objet de désordres sont des grilles intérieures qui délimitent une surface de rangement, constituée d'un cadre métallique galvanisé devant accueillir une grille soudée sur la face intérieure. L'expert a constaté que la structure métallique, fragilisée par des soudures irrégulières et insuffisantes, s'est arrachée sur deux panneaux, ce que la société Fabrique Atelier d'Architecture n'a pas relevé, alors pourtant qu'il lui appartenait de vérifier que les grilles mises en place seraient conformes à leur usage. Si les plans de détails de l'architecte prévoyaient une structure en rapport avec l'usage auquel le local était destiné et sa nécessaire résistance aux chocs, le procès-verbal préalable à la réception dressé le 19 novembre 2009 en présence de la société Fabrique Atelier d'Architecture ne mentionne aucune réserve concernant ces grilles, alors qu'elle ne pouvait ignorer que les plans d'exécution fournis par l'entreprise titulaire n'avaient pas pris en considération ses préconisations quant à la résistance de la structure aux chocs. Si le maître d'œuvre, pour s'exonérer de sa responsabilité, évoque une utilisation inappropriée du local de stockage, il ne verse toutefois au dossier aucun élément de nature à étayer cette allégation, hypothèse au demeurant non retenue par l'expert. Ainsi que l'a relevé à bon droit le tribunal, ce désordre, que la société Fabrique Atelier d'Architecture s'est abstenue de signaler au maître de l'ouvrage lors de la réception afin que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves sur ce point, est également de nature à engager sa responsabilité contractuelle.
Sur l'évaluation des préjudices :
15. La réception définitive sans réserve a privé le maître de l'ouvrage de la possibilité d'obtenir une exécution des travaux conforme aux règles de l'art. D'une part, le préjudice résultant de l'absence de réserves comprend le coût de travaux de reprise des désordres affectant les menuiseries, estimé par l'expert au montant de 51 067,84 euros TTC, non contesté par la société Fabrique Atelier d'Architecture, consistant en un décapage du terrain sur 10 cm d'épaisseur et un changement des menuiseries bois et du vitrage. D'autre part, le coût des travaux pour remédier aux désordres affectant les grilles métalliques des locaux de stockage, qui consistent à ajouter une cornière soudée sur tout le pourtour des grilles, une cornière transversale et une galvanisation à froid, a été fixé par l'expert à la somme non contestée de 8 184 euros TTC.
16. La commune de Mérignac soutient en appel que la somme allouée par le tribunal est insuffisante au regard du coût global des travaux reprise des désordres affectant les sols et menuiseries bois, auquel il convient d'ajouter les frais de maîtrise d'œuvre et de contrôle technique. Alors même que ces frais n'ont pas été retenus par l'expert, eu égard à la nature des travaux à entreprendre, qui impliquent du terrassement, la dépose et le repose des menuiseries ainsi que la réfection du revêtement de sol endommagé, de tels frais doivent être regardés comme justifiés. Le surcoût généré par les prestations de maîtrise d'œuvre et de contrôle technique peut être évalué à 5 000 euros, correspondant à environ 10 % du montant total des travaux de reprise.
17. Il résulte de ce qui précède que la commune de Mérignac est dès lors seulement fondée à demander que la somme qui lui a été allouée en première instance soit portée de 58 891,96 euros à 63 891,96 euros TTC.
Sur les appels en garantie :
18. Le préjudice résultant pour la commune de Mérignac de la réception définitive sans réserves de l'ouvrage n'est pas directement imputable aux fautes et malfaçons commises par les entrepreneurs dans l'exécution des travaux dont ils étaient chargés. Par suite, la société Fabrique Atelier d'Architecture n'est pas fondée à demander à être garantie par la société Léon Grosse Aquitaine et par la société Nieto des condamnations prononcées à son encontre au titre de responsabilité contractuelle.
19. Par ailleurs, le présent arrêt ne prononce aucune condamnation à l'encontre de la société Nieto et de la société Léon Grosse Aquitaine. Par suite, les conclusions de la société Nieto tendant à être garantie d'éventuelles condamnations par le maître d'œuvre et par la société Léon Grosse Aquitaine, ainsi que celles de la société Léon Grosse Aquitaine tendant à être garantie d'éventuelles condamnations par la société Nieto, sont sans objet.
Sur les dépens :
20. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) ".
21. Lorsqu'une expertise ou un constat effectué en application d'une décision du juge des référés se rattache à la détermination d'un préjudice dont l'indemnisation est demandée dans le cadre d'un recours au fond, les frais et honoraires y afférents sont compris dans les dépens de cette instance principale. Si, en vertu de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, ces frais sont en principe mis à la charge de la partie perdante, il est loisible à la formation de jugement statuant sur cette instance, au regard des circonstances particulières de l'affaire, de les mettre à la charge d'une autre partie ou de les partager entre les parties.
22. Les frais d'expertise, taxés et liquidés par une ordonnance du 15 mai 2017 du président du tribunal administratif à la somme 16 179,60 euros, ont été répartis par moitié entre la commune de Mérignac, qui est réputée succomber concernant des désordres pour lesquels la responsabilité décennale des constructeurs n'a pas été engagée, et la société Fabrique Atelier d'Architecture, regardée comme la partie succombant, pour ce qui concerne les désordres engageant sa responsabilité contractuelle pour manquement à son devoir de conseil. Compte tenu de ce qui précède, la société Fabrique Atelier d'Architecture et la commune de Mérignac ne sont pas fondées à demander la réformation du jugement attaqué s'agissant des dépens.
Sur les frais d'instance :
23. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Fabrique Atelier d'Architecture la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Mérignac et non compris dans les dépens. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions pérsentée spar la société Nieto et la société Leon Grosse Aquitaine sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La somme que la société Fabrique Atelier d'Architecture a été condamnée à verser à la commune de Mérignac est portée de 58 891,96 euros à 63 891,96 euros TTC.
Article 2 : Le jugement n° 1906155 du 14 juin 2021 du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La société Fabrique Atelier d'Architecture versera à la commune de Mérignac la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Nieto et par la société Léon Grosse sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La requête de la société Fabrique Atelier d'Architecture et le surplus des conclusions des parties sont rejetés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Fabrique Atelier d'Architecture, à la commune de Mérignac, à la société Nieto et à la société Léon Grosse Aquitaine.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,
Mme Agnès Bourjol, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 juillet 2023.
La rapporteure,
Agnès BOURJOLLa présidente,
Marie Pierre BEUVE DUPUY
La greffière,
Sylvie HAYET
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX03343