Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... D... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 27 juin 2022 par lequel la préfète de la Corrèze a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2201204 du 8 décembre 2022, le tribunal administratif
de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
I- Par une requête, enregistrée le 2 avril 2023 sous le n° 23BX00921, M. B..., représenté par Me Malabre, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges
du 8 décembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 27 juin 2022 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Corrèze de lui délivrer un titre de séjour
et de travail, dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt, sous astreinte
de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, au titre des frais exposés lors de la première instance, et la même somme au titre des frais de l'instance d'appel.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce que les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de ce qu'il ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement dès lors qu'il remplissait les conditions pour se voir délivrer de plein droit une carte de résident longue durée-UE ou une carte de séjour temporaire portant la mention entrepreneur ;
- la décision de refus de séjour est entachée d'un vice de procédure en ce que
la commission du titre de séjour n'a pas été saisie pour avis, alors qu'il relevait tant
de l'article L. 425-9 que de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- un deuxième vice de procédure résulte de l'avis irrégulier du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 8 juin 2021, en raison d'une part de l'absence de délibération collégiale et, d'autre part, de l'absence de signatures de ses auteurs ; en outre, cet avis est trop ancien pour pouvoir justifier un refus de renouvellement de titre de séjour ;
- la décision méconnaît l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sa prise en charge thérapeutique n'étant pas disponible en Egypte comme en atteste la cheffe du service néphrologie du centre hospitalier universitaire
de Limoges ; en outre, il ne dispose d'aucune assurance, ni protection sociale dans son pays d'origine, contrairement à la France où il a travaillé et cotisé ;
- la décision, en tant qu'elle rejette la demande de titre salarié, est entachée d'une erreur de droit ; la préfète ne pouvait opposer l'absence de titre de travail alors qu'elle était saisie d'une telle demande, qu'elle était compétente pour l'examiner et qu'elle ne lui a pas demandé de compléter sa demande ; en outre, à la date de la demande, il était titulaire d'un titre de séjour, puis de récépissés l'autorisant à travailler ;
- la décision est entachée d'une autre erreur de droit en ce que la préfète s'est abstenue d'examiner la possibilité de délivrer une carte de résident longue durée-UE ; il ne saurait lui être opposé de ne pas avoir sollicité un tel titre dès lors que c'est à l'administration de qualifier la demande au vu des pièces qui lui sont fournies, et qu'une personne susceptible de se voir reconnaitre un droit au séjour de plein droit ne peut être éloignée du territoire ;
- le préfet n'a pas davantage examiné la possibilité de délivrer une carte de séjour en qualité d'entrepreneur et ne peut pas davantage, au contentieux, lui opposer l'absence de demande sur ce fondement ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions
de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu de son parcours en France depuis son arrivée, de son état de santé, de sa situation professionnelle et de sa parfaite intégration ;
- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français doit être annulée en raison de l'illégalité de la décision de refus de séjour ;
- elle méconnaît son droit à une vie privée et familiale et est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- il remplit les conditions pour se voir délivrer de plein droit un titre de séjour, de sorte qu'il ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;
- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne précitée et les dispositions de l'article L. 611-3 et L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La requête a été communiquée à la préfète de la Corrèze qui n'a pas produit de mémoire en défense.
II- Par une requête, enregistrée le 6 avril 2023 sous le n° 23BX00961, M. B..., représenté par Me Malabre, demande à la cour :
1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté du 27 juin 2022, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond ;
2°) d'enjoindre à la préfète de la Corrèze de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de travail dans un délai de cinq jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de prendre une nouvelle décision dans un délai de quinze jours, sous les mêmes conditions d'astreinte ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement
des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de
la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'urgence est présumée puisqu'il a sollicité le renouvellement d'un titre de séjour et qu'il vit en France en situation régulière depuis plusieurs années ; en outre, il fait l'objet d'une mesure d'éloignement et l'appel contre le jugement du tribunal n'est pas suspensif ; il est également d'intérêt public de suspendre l'exécution d'une décision susceptible d'engager la responsabilité de l'administration ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté préfectoral pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans la requête au fond.
La requête a été communiquée à la préfète de la Corrèze qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par deux décisions du 16 mars et 13 avril 2023, M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans chaque instance.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte ;
- les observations de Me Malabre, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant égyptien né le 20 mai 1998, est entré en France
le 29 janvier 2015 à l'âge de 16 ans. Il a été placé auprès de l'aide sociale à l'enfance, puis, à sa majorité, a bénéficié d'un contrat jeune majeur et obtenu une carte de séjour temporaire portant la mention étudiant, régulièrement renouvelée jusqu'au 8 novembre 2019. La préfète de la Corrèze lui a ensuite délivré une carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale en raison de son état de santé, valable du 19 mars 2020 au 18 mars 2021. Après avoir sollicité le renouvellement de son titre de séjour pour raisons médicales, il a demandé,
le 28 octobre 2021, le renouvellement de son droit au séjour en sollicitant la délivrance d'un titre en qualité de salarié. Par un arrêté du 27 juin 2022, la préfète de la Corrèze a refusé de faire droit à sa demande, a assorti le refus de titre d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement
du 8 décembre 2022, le tribunal administratif de Limoges, saisi par M. B..., a rejeté la demande d'annulation de cet arrêté préfectoral. Par les présentes requêtes, M. B... demande, d'une part, l'annulation du jugement du 8 décembre 2022 et, d'autre part,
la suspension de l'exécution de l'arrêté en litige, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond.
2. Les requêtes n° 23BX00921 et 23BX00961 concernent un même requérant. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré en France alors qu'il était âgé de seize ans, et qu'il comptait plus de sept ans de présence sur le territoire à la date de l'arrêté en litige, toujours en situation régulière sous couvert de titres de séjour portant la mention " étudiant ", puis " vie privée et familiale ". Il a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance lorsqu'il était mineur, puis a bénéficié d'un contrat jeune majeur. Il a obtenu
en juin 2018 un certificat d'aptitude professionnelle de peintre, applicateur de revêtements. Alors qu'il poursuivait sa scolarité en vue d'obtenir un brevet professionnel, il a été hospitalisé en décembre 2018 après la découverte d'une insuffisance rénale en stade terminal et a pu bénéficier d'une greffe le 4 juillet 2019. Si cette intervention chirurgicale a été un succès, il nécessite désormais un traitement immunosuppresseur à vie, ainsi qu'un suivi spécialisé tous les trois mois et un bilan annuel. La cheffe du service néphrologie du centre hospitalier universitaire de Limoges précise, dans une attestation produite pour la première fois en appel et datée du 21 décembre 2022, que cette prise en charge clinique et thérapeutique s'impose pour s'assurer de l'absence de complications de la greffe, ainsi que de la bonne maîtrise des problèmes d'hypertension et de la maladie rénale chronique résiduelle. Malgré ses problèmes de santé qui lui ont valu la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, M. B... a effectué de nombreuses missions d'intérim à compter d'octobre 2019, avant de créer une activité d'auto-entrepreneur et de conclure un contrat de prestations de services avec une autre société, qui lui procure un chiffre d'affaires régulier. Bien qu'il ne soit pas établi, ni même allégué qu'il serait dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, M. B... a démontré une réelle volonté d'insertion afin de transférer le centre de ses intérêts personnels en France. Dans ces conditions, en refusant de lui délivrer un titre de séjour et en assortissant sa décision d'une obligation de quitter le territoire, la préfète de la Corrèze a méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande aux fins d'annulation de l'arrêté préfectoral
du 27 juin 2022.
Sur les conclusions à fin de suspension :
6. Le présent arrêt se prononçant sur les conclusions, présentées par M. B...,
à fin d'annulation de l'arrêté préfectoral du 27 juin 2022, les conclusions à fin de suspension de l'exécution de ce même arrêté, présentées dans la requête n° 23BX00961, deviennent sans objet.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. L'annulation de l'arrêté préfectoral du 27 juin 2022, prononcée par le présent arrêt, implique nécessairement que soit délivrée à M. B... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", l'autorisant à travailler. Il y a eu lieu d'enjoindre à la préfète de la Corrèze d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans les deux instances. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Malabre de la somme globale de 1 200 euros au titre de la première instance et de l'instance d'appel n° 23BX00921. En revanche, il n'y a pas lieu de lui accorder une nouvelle allocation au titre de la seconde requête présentée.
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté préfectoral du 27 juin 2022 et le jugement du tribunal administratif
de Limoges du 8 décembre 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Corrèze de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " l'autorisant à travailler, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à la suspension
de l'exécution de l'arrêté du 27 juin 2022.
Article 4 : L'Etat versera à Me Malabre la somme de 1 200 euros sur le fondement
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. B... dans les deux requêtes est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... D... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la préfète de la Corrèze.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juillet 2023.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Catherine Girault
Le greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX00921, 23BX00961