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06/07/2023 | FRANCE | N°21BX02341

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 06 juillet 2023, 21BX02341


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Martinique à lui verser une somme totale de 170 787,66 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis, sous déduction de la provision déjà versée pour un montant de 6 860 euros.

La caisse générale de sécurité sociale de la Martinique a, dans la même instance, demandé la condamnation du CHU de Martinique à lui verser la somme de 52 461,21 euros au titre de ses débour

s, ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1900504 du 20 n...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de la Martinique de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Martinique à lui verser une somme totale de 170 787,66 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis, sous déduction de la provision déjà versée pour un montant de 6 860 euros.

La caisse générale de sécurité sociale de la Martinique a, dans la même instance, demandé la condamnation du CHU de Martinique à lui verser la somme de 52 461,21 euros au titre de ses débours, ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1900504 du 20 novembre 2020, le tribunal administratif de la Martinique a condamné le CHU de Martinique à verser à Mme A... la somme

de 28 344,41 euros, sous déduction de la provision déjà versée de 6 860 euros, et à la caisse générale de sécurité sociale de la Martinique les sommes de 39 345,90 euros au titre de ses débours et de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Il a également mis à la charge de l'établissement les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 2 750 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er juin 2021, Mme A..., représentée par Me Masson, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de la Martinique en tant qu'il a limité le montant de l'indemnisation à 28 344,41 euros ;

2°) de condamner le CHU de Martinique à lui verser la somme totale

de 197 559,39 euros, sous déduction de la provision déjà versée de 6 860 euros ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Martinique la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la somme de 25 euros par jour d'incapacité totale doit être retenue pour le calcul du déficit fonctionnel temporaire, soit un préjudice global de 9 251,25 euros ;

- l'évaluation, faite par le tribunal, des souffrances endurées est insuffisante eu égard tant aux souffrances physiques que psychologiques subies ; elle souffre d'un état dépressif sévère et de troubles du sommeil, a perdu son emploi et son conjoint, et a dû aller vivre chez sa fille ; son préjudice peut être fixé à 15 000 euros ;

- son préjudice esthétique avant consolidation, consistant en un orifice fistuleux ombilical et une brûlure péri-fistulaire, a perduré pendant presque quatre ans ; l'indemnisation due à ce titre peut être portée à 8 000 euros ;

- l'évaluation faite par l'expert et le tribunal de ses besoins d'assistance par une tierce personne, à hauteur de trois heures par semaine, est insuffisante du fait de sa dépression, et doit être portée à neuf heures par semaine pendant les deux premiers mois, puis à cinq heures par semaine, au taux horaire de 20 euros ; le préjudice peut ainsi être évalué à 19 440 euros ;

- elle n'a pu exercer, pendant la période avant consolidation, son activité d'aide à la personne en auto-entrepreneuse et n'a perçu ni indemnité journalière, ni revenu de remplacement ; sur la base d'un revenu moyen net mensuel de 1 300 euros, son préjudice professionnel peut être évalué à 93 600 euros ;

- sa perte de confiance dans le CHU de Martinique l'a amenée à poursuivre ses soins en métropole, et lui a occasionné des frais pour un montant de 3 668,14 euros ;

- calculé sur la base du référentiel d'indemnisation du préjudice corporel des cours d'appel, son déficit fonctionnel permanent, évalué à 3 %, peut être fixé à 4 200 euros ; une somme de 3 000 euros au titre de la perte de qualité de vie doit y être ajoutée ;

- son préjudice esthétique, résultant de sa cicatrice abdominale, peut être évalué

à 5 000 euros ;

- la somme de 3 000 euros peut lui être allouée pour la réparation de son préjudice sexuel ;

- le préjudice d'établissement, constitué par le départ de son compagnon et le fait qu'elle a un temps vécu chez sa fille et qu'elle a subi des difficultés financières, peut être évalué à 10 000 euros ;

- la perte des droits à la retraite, correspondant aux cinq années lors desquelles elle n'a pas travaillé, doit être estimée au quart des pertes de salaire, soit la somme de 24 150 euros ;

- eu égard à la nécessité d'une reconversion professionnelle huit ans après le début de ses problèmes de santé, elle a subi une dévalorisation sur le marché du travail, qui peut être réparée en lui allouant la somme de 10 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 2 août 2021, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SELARLU Olivier Saumon, demande à être mis hors de cause.

Il fait valoir que :

- les conditions d'engagement de la solidarité nationale ne sont pas réunies, le déficit fonctionnel permanent résultant de l'infection nosocomiale étant inférieur à 25 % ;

- les dommages subis sont la conséquence des manquements fautifs du CHU de Martinique, faisant ainsi obstacle à l'engagement de la solidarité nationale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 janvier 2022, le CHU de Martinique, représenté par la SELAS Tamburini Bonnefoy, conclut au rejet de la requête, à la réformation du jugement en tant qu'il a alloué à Mme A... la somme de 4 100 euros au titre du préjudice esthétique temporaire et à la mise à la charge de Mme A... de la somme

de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- il a déjà versé, outre la provision de 6 860 euros, la somme de 21 484,41 euros en exécution du jugement attaqué, ce dont Mme A... ne tient pas compte dans sa requête d'appel ;

- le taux journalier de 25 euros pour calculer le déficit fonctionnel temporaire est excessif et l'évaluation faite par le tribunal doit être confirmée ;

- la somme allouée au titre des souffrances endurées n'est pas insuffisante, au vu de leur évaluation par l'expert ; l'argumentation développée par Mme A... se rapporte à des préjudices qui peuvent être évalués de manière autonome ;

- l'indemnisation du préjudice esthétique temporaire ne saurait dépasser 3 000 euros ;

- les besoins d'assistance par une tierce personne avant consolidation ont été correctement évalués par l'expert et l'argumentation relative aux conséquences engendrées par la dépression de Mme A... est développée pour la première fois en appel ; le taux horaire de 20 euros n'est pas justifié ;

- le préjudice professionnel n'est pas établi puisque l'entreprise de Mme A... n'existe plus depuis février 2012, soit bien avant l'intervention chirurgicale, et que sa pathologie initiale était incompatible avec le port de charges lourdes ; en outre, elle ne justifie ni des sommes demandées, ni du lien de causalité entre l'intervention et la perte de gains alléguée ;

- l'augmentation des prétentions relatives aux frais divers, notamment des billets d'avion dont il a déjà été tenu compte, n'est pas justifiée ;

- l'expert a déjà tenu compte, pour les écarter pour défaut de lien de causalité avec l'intervention, des éléments invoqués au titre de la perte de qualité de vie ; par suite, cette demande complémentaire au titre du déficit fonctionnel permanent n'est pas justifiée ;

- le jugement peut être confirmé s'agissant du préjudice esthétique permanent et du préjudice sexuel ;

- il n'est pas établi que Mme A... souffrirait d'un handicap dont la gravité serait telle qu'elle serait à l'origine d'une perte de chance de réaliser normalement un projet de vie familiale ; l'intéressée est guérie de son infection nosocomiale et, ainsi que l'a relevé l'expert, ne bénéficie d'aucun suivi psychologique, ni d'aucun traitement ;

- Mme A... n'apporte aucun élément permettant de justifier de la réalité de la perte de droits à la retraite ; en outre, elle ne travaillait plus au moment de la prise en charge litigieuse et l'impossibilité de reprendre l'activité antérieure d'aide à la personne, impliquant le port de charges lourdes, doit être rattachée exclusivement à l'état antérieur.

Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 février 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Cotte,

- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., alors âgée de 49 ans, s'est présentée aux services des urgences du CHU de Martinique, le 11 février 2013, pour de vives douleurs abdominales, accompagnées de vomissements et d'un arrêt du transit intestinal. Lui a alors été diagnostiquée une hernie épigastrique, ou hernie de la ligne blanche, accompagnée d'un syndrome occlusif. Une laparotomie médiane sus-ombilicale exploratrice a été pratiquée le jour même au sein du service de chirurgie générale et viscérale, suivie d'une dissection de la hernie par simple raphie. Quelques jours après être rentrée à domicile, un suintement de la cicatrice médiane abdominale a été observé. Le 21 février suivant, Mme A... s'est rendue au service des urgences pour une dyspnée, une toux, une hypocapnie et une tachycardie. La réalisation d'un scanner abdomino-pelvien a permis de constater un abcès profond, et un prélèvement bactériologique a mis en évidence la présence d'un staphylocoque doré. Après traitement de l'abcès et mise en place d'une antibiothérapie, Mme A... a pu regagner son domicile. Elle a été toutefois à nouveau hospitalisée le 25 août 2013 en raison d'un nouvel écoulement purulent, associé à un abcès fistulisé sur un point de suture de la cicatrice. Une antibiothérapie lui a alors été prescrite. Au mois de mars 2014, son médecin traitant a constaté une fistulisation avec écoulement de pus au niveau de la cicatrice, et un scanner abdominopelvien a permis de conclure à une éventration de la paroi abdominale antérieure, à contenu colique. Une intervention chirurgicale a été réalisée le 21 mars 2014 consistant en une cure d'une récidive d'éventration, avec mise en place d'une prothèse. Le 7 avril suivant, elle a été à nouveau hospitalisée au service des urgences pour un écoulement purulent et opérée pour une mise à plat d'un abcès. Les examens bactériologiques du liquide purulent ont confirmé la persistance de l'infection à staphylocoque doré résistant à tous les antibiotiques prescrits. Malgré les soins infirmiers qui se sont poursuivis à domicile, l'écoulement péri-ombilical a été permanent. Un scanner abdomino-pelvien, effectué le 12 mars 2016, a montré une collection intra-péritonéale. En raison de la perte de confiance de la patiente dans le CHU de Martinique, elle a subi une nouvelle opération, le 27 septembre 2016, à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre afin de réséquer la prothèse intra-péritonéale, l'ombilic et une partie de l'intestin grêle. Lors de deux consultations effectuées les 13 juillet et 12 décembre 2018, une récidive paramédiane de l'éventration pariétale, jugée minime et peu symptomatique, a été constatée, et le port d'une ceinture de contention abdominale préconisé. L'état de santé de Mme A... a été considéré consolidé le 16 novembre 2018.

2. A la suite d'une expertise amiable, le CHU de Martinique a proposé de verser à Mme A... une indemnité provisionnelle de 6 860 euros, ce que l'intéressée a accepté. Mme A... a ensuite saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique afin que soit réalisée une expertise judiciaire. Au vu du rapport d'expertise déposé

le 22 avril 2019, qui a conclu à des manquements fautifs du CHU de Martinique dans les suites de l'intervention du 11 février 2013, au cours de laquelle la patiente a contracté une infection nosocomiale, Mme A... a saisi le tribunal administratif d'une demande de condamnation de l'hôpital à lui verser la somme de 170 787,66 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis, sous déduction de la provision déjà versée. Dans la même instance, la caisse générale de sécurité sociale de la Martinique a sollicité la condamnation de l'établissement à lui verser la somme de 52 461,21 euros au titre des débours exposés. Par un jugement du 20 novembre 2020, le tribunal administratif de la Martinique a condamné

le CHU de Martinique à verser à Mme A... la somme de 28 344,41 euros, sous déduction de la provision déjà versée de 6 860 euros, et à la caisse générale de sécurité sociale de la Martinique les sommes de 39 345,90 euros au titre de ses débours et de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Il a également mis à la charge de l'établissement les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 2 750 euros. Par la présente requête, Mme A... demande la réformation du jugement en tant qu'il a limité le montant de son indemnisation. Par la voie de l'appel incident, le CHU de Martinique sollicite la réformation du jugement en tant seulement qu'il a alloué au titre du préjudice esthétique temporaire une somme qui excède 3 000 euros.

Sur la responsabilité du CHU de Martinique :

3. Aux termes des dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ".

4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise établi

le 22 avril 2019, et n'est d'ailleurs pas contesté par les parties, que Mme A... a contracté une infection à staphylocoque doré au décours de l'intervention chirurgicale

du 11 février 2013 réalisée au CHU de Martinique. L'expert a également relevé, dans les suites de l'opération, une succession de manquements fautifs de l'hôpital, soit un défaut de soins consciencieux dans les suites de l'opération, qui aurait permis de s'assurer de la guérison de l'abcès pariétal, une absence de suivi chirurgical digestif après la nouvelle hospitalisation du 25 août 2013, une absence d'antibiothérapie à la suite de l'intervention

du 21 mars 2014 alors que Mme A... présentait un risque très élevé d'infection de la prothèse pariétale abdominale qui lui a été posée, une intervention chirurgicale

du 9 avril 2014 non conforme aux données acquises de la science en raison du défaut de retrait de la prothèse infectée, une absence de soins post-opératoires consciencieux, et un retard de diagnostic s'agissant de la prothèse infectée et de la fistule entéro-cutanée. La persistance de l'infection nosocomiale, qui a rendu nécessaire une nouvelle intervention chirurgicale le 27 septembre 2016 à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, démontre également un retard dans une prise en charge chirurgicale adaptée, permettant de venir à bout de cette infection. Par suite, les dommages subis par Mme A... étant imputables à l'infection nosocomiale et aux manquements fautifs du CHU de Martinique, la responsabilité de ce dernier est engagée.

Sur l'engagement de la solidarité nationale :

5. Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique : " (...) ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales ; (...) ".

6. Selon l'expertise, le déficit fonctionnel permanent dont Mme A... demeure atteinte est évalué à 3 %. Par suite, et alors, en outre, qu'une partie des dommages subis par Mme A... est imputable aux fautes commises par le CHU de Martinique, l'ONIAM, à l'encontre duquel il n'est d'ailleurs présenté aucune conclusion, est fondé à demander sa mise hors de cause.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices avant consolidation :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

7. Il résulte des pièces produites que Mme A... a exposé des dépenses pour poursuivre ses soins en métropole, à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre, à compter de juillet 2016, consistant en des frais d'avion, de transport urbain et d'hébergement, pour des montants respectifs de 2 532,72 euros, 153,60 euros et 1 850 euros. La circonstance qu'une facture de billets d'avion est produite pour la première fois en appel n'est pas de nature à justifier le rejet de ces frais, dès lors qu'ils correspondent à un voyage rendu nécessaire pour une consultation médicale. Dans ces conditions, et compte tenu de l'aide de 800 euros dont l'intéressée a bénéficié de la part de la collectivité territoriale de Martinique pour son hébergement, il y a lieu de condamner le centre hospitalier à verser à Mme A... la somme de 3 736,32 euros au titre des frais divers.

8. Selon l'expertise, Mme A... a nécessité l'aide d'une tierce personne durant les périodes de déficit fonctionnel partiel, dès lors qu'elle n'était pas en mesure d'entretenir seule son logement, de faire ses courses et de se rendre en toute autonomie aux consultations médicales répétées. Ce besoin a été évalué à trois heures par semaine. Si Mme A... demande, pour la première fois en appel, que ce besoin soit porté à neuf heures par semaine pendant deux mois, puis à cinq heures par semaine durant le reste de la période, en alléguant que sa dépression l'aurait empêchée d'effectuer de nombreux actes de la vie courante et en se prévalant d'une attestation de sa fille, les répercussions psychologiques qu'ont eues ses problèmes physiques ont déjà été prises en compte par l'expert pour fixer la quotité du besoin. Le coût de cette aide assurée par sa fille peut être évalué sur la base du montant du salaire minimum majoré des charges sociales, soit 13,50 euros en moyenne sur la période, et doit tenir compte des majorations pour les dimanches et jours fériés et les congés payés. Ainsi, le préjudice qui s'est prolongé pendant 188,8 semaines peut être fixé à 8 275 euros.

9. Selon les énonciations de l'expertise, la survenue de la hernie de la ligne blanche étranglée aurait imposé à Mme A... de cesser son activité professionnelle d'aide à la personne qu'elle exerçait, depuis décembre 2010, sous le statut d'auto-entrepreneur. Selon l'expert, si des complications n'étaient pas survenues à la suite de l'intervention chirurgicale du 11 février 2013, Mme A... aurait pu reprendre une activité professionnelle trois semaines plus tard, soit à compter du 4 avril 2013. Toutefois, en se bornant à produire de nouveau, en appel, une attestation sur l'honneur relative aux revenus qu'elle aurait perçus entre août 2010 et février 2013, Mme A... n'établit pas plus qu'en première instance la réalité de ses pertes de gains professionnels, alors que le CHU de Martinique fait valoir en défense, sans être contredit, que l'activité de Mme A... a cessé d'être inscrite au registre du commerce et des sociétés depuis février 2012.

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux :

10. Mme A... a subi un déficit fonctionnel temporaire total durant toutes les périodes d'hospitalisation, ainsi que pendant les trajets en avion pour se rendre à des consultations à l'hôpital Kremlin-Bicêtre (soit 53 jours), et un déficit partiel qui a été estimé par l'expert à 25 % pour la période du 27 février au 24 août 2013 (179 jours), à 20 % du 26 août 2013 au 19 mars 2014 (206 jours), à 30 % du 29 mars au 6 avril 2014 et du

25 avril 2014 au 25 septembre 2016 (893 jours), et à 10 % du 4 octobre 2016 au

16 novembre 2018, date de la consolidation de son état de santé (soit 44 jours). Sur la base de 600 euros par mois d'incapacité totale, il peut être fait une juste appréciation du déficit fonctionnel temporaire en l'évaluant à 8 225 euros.

11. Les souffrances endurées par Mme A... ont été évaluées à quatre sur une échelle de sept, en raison des soins chirurgicaux qu'elle a subis à cinq reprises, dont trois laparotomies, des douleurs chroniques pendant plusieurs années et de la nécessité d'avoir des soins infirmiers quotidiens, ce qui a engendré un état anxiodépressif sévère avec idées suicidaires et troubles du sommeil, justifiant une psychothérapie. Les circonstances qu'elle a perdu son emploi, s'est séparée de son conjoint et qu'elle a dû aller vivre chez sa fille sont à l'origine des répercussions psychologiques que son état physique a engendrées, et qui ont été prises en compte dans l'évaluation de l'expert. Dans ces conditions, il y a lieu de porter

à 10 000 euros la somme allouée à Mme A... en réparation de ce préjudice.

12. Le préjudice esthétique temporaire, résultant de la nécessité pour Mme A... de porter pendant de longs mois des pansements abdominaux et des dispositifs de recueil de l'écoulement purulent, ainsi que de l'altération de son image corporelle, a été évalué à trois sur une échelle de sept. Cette évaluation ayant déjà tenu compte des répercussions psychologiques pour Mme A... de l'altération de son apparence physique durant ces cinq années, le tribunal n'a pas fait une insuffisante, ni une excessive appréciation de ce préjudice en fixant son indemnisation à 4 100 euros.

En ce qui concerne les préjudices après consolidation :

S'agissant des préjudices patrimoniaux :

13. Mme A... allègue que l'impossibilité de travailler pendant cinq années, en raison des complications médicales qu'elle a subies, a engendré une perte de droits à la retraite qui peut être évaluée à un quart de la perte de gains professionnels, ainsi qu'une dévalorisation sur le marché du travail. Toutefois, ainsi qu'il a été dit, Mme A... n'établit pas avoir dû cesser de travailler du seul fait des complications de sa hernie épigastrique et de l'infection nosocomiale, et l'expert a reconnu qu'elle était en mesure de reprendre une activité à la date de sa consolidation, sous les restrictions de port de charges lourdes qui existaient déjà avant son hospitalisation. Par suite, les préjudices liés à une perte de droits à retraite et à une dévalorisation sur le marché du travail ne peuvent être indemnisés.

S'agissant des préjudices extra-patrimoniaux :

14. Le déficit fonctionnel que Mme A... conserve à la suite des complications médicales qu'elle a subies a été évalué par l'expert à 3 % en raison d'une petite éventration pariétale abdominale séquellaire, asymptomatique et réductible. Ce dernier a, en revanche, expressément écarté la prise en compte d'un état anxio-dépressif chronique, en relevant que l'intéressée ne bénéficiait d'aucun suivi psychologique spécifique et ne prenait aucun traitement médicamenteux. Mme A... n'est, dès lors, pas fondée à solliciter, pour la période postérieure à la consolidation, une indemnisation au titre d'une " perte de qualité

de vie " en raison d'une dépression, mais également de problèmes digestifs dont le lien avec le litige n'est pas reconnu par l'expert. Alors qu'elle était âgée de 54 ans à la date de la consolidation, il peut être fait une juste appréciation de son déficit fonctionnel permanent en fixant son indemnisation à 3 300 euros.

15. Mme A... conserve des cicatrices abdominales disgracieuses et une petite hernie paramédiane. Le préjudice esthétique en résultant a été évalué à deux sur une échelle de sept. Le tribunal n'en a pas fait une insuffisante appréciation en lui allouant une somme

de 1 600 euros.

16. Si Mme A... soutient qu'elle n'a plus de relations sexuelles car elle n'accepte pas la présence de cicatrices disgracieuses, il ne ressort pas de l'expertise qu'elle ne pourrait avoir une vie sexuelle normale. Dans ces conditions, le préjudice sexuel allégué n'est pas établi.

17. Les circonstances que Mme A..., dont le déficit fonctionnel permanent a été fixé à 3 %, se soit séparée de son conjoint, qu'elle vive désormais seule et qu'elle rencontrerait des difficultés pour construire une nouvelle relation, ne sont pas de nature à caractériser un préjudice d'établissement.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la somme que le CHU de Martinique a été condamné à verser à Mme A... par le tribunal administratif de la Martinique doit être portée de 28 344,41 euros à 39 236,32 euros, sous déduction de la provision de 6 860 euros déjà versée.

Sur les frais liés au litige :

19. En premier lieu, les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le CHU de Martinique demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

20. En second lieu, et d'une part, Mme A..., pour le compte de qui les conclusions de la requête relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être réputées présentées, n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée. D'autre part, l'avocate de Mme A... n'a pas demandé que lui soit versée par le CHU de Martinique la somme correspondant aux frais exposés qu'elle aurait réclamés à sa cliente si cette dernière n'avait bénéficié d'une aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions de la requête tendant à ce que soit mise à la charge du CHU de Martinique une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ONIAM est mis hors de cause.

Article 2 : La somme que le CHU de Martinique a été condamné à verser à Mme A... est portée de 28 344,41 euros à 39 236,32 euros, sous déduction de la provision de 6 860 euros déjà versée.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 20 novembre 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au centre hospitalier de Martinique, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse générale de sécurité sociale de la Martinique.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juillet 2023.

Le rapporteur,

Olivier Cotte

La présidente,

Catherine Girault

Le greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX02341


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX02341
Date de la décision : 06/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : JASPER AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-07-06;21bx02341 ?
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