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04/07/2023 | FRANCE | N°23BX00350

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 04 juillet 2023, 23BX00350


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 29 septembre 2021 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2101352 du 17 novembre 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé l'arrêté du 29 septembre 2021 et a enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer à Mme E...

une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Procédure deva...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 29 septembre 2021 par lequel le préfet de la Guadeloupe a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2101352 du 17 novembre 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé l'arrêté du 29 septembre 2021 et a enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer à Mme E... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 février 2023, le préfet de la Guadeloupe demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 novembre 2022 du tribunal administratif de la Guadeloupe ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de la Guadeloupe.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, son arrêté n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que Mme E... ne justifie pas d'une résidence habituelle et continue sur le territoire français et ne démontre ni une insertion particulière dans la société, ni son intégration professionnelle sur le territoire ; la relation durable dont elle se prévaut avec un ressortissant étranger en situation régulière est contredite pas la fiche de renseignements dans laquelle elle a déclaré être célibataire ; son compagnon a reconnu tardivement l'une de ses filles, postérieurement à l'arrêté ; il n'y a aucun obstacle à ce que la cellule familiale de Mme E... se reconstitue à La Dominique, pays dont les quatre enfants de l'intéressée ont la nationalité et dans lequel il pourront leur scolarité ; Mme E... n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où résident sa mère et une partie de sa fratrie ;

- Mme E... en peut se prévaloir utilement des troubles psychomoteurs de sa fille aînée, n'ayant fait aucune demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfant malade ; les éléments qu'elle produit ne démontrent pas que sa fille aînée ne pourrait bénéficier d'un suivi socio-médical adapté à La Dominique.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 avril 2023, Mme E..., représentée par Me Djimi, conclut :

1°) au rejet de la requête du préfet de la Guadeloupe ;

2°) par la voie de l'appel incident, à ce que l'injonction faite au préfet de la Guadeloupe de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " soit assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par le préfet de la Guadeloupe ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Agnès Bourjol a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... E..., ressortissante dominiquaise née le 19 septembre 1989, déclare être entrée en France le 21 décembre 2009. Elle s'est vue délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " valable du 9 décembre 2019 au 8 décembre 2020, dont elle a sollicité le renouvellement le 26 mars 2021. Par un arrêté du 29 septembre 2021, le préfet de la Guadeloupe a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme E... a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe qui, par ordonnance n°2101353 du 13 décembre 2021, a suspendu l'exécution de l'arrêté du préfet de la Guadeloupe du 29 septembre 2021. Par une requête distincte, Mme E... a saisi le même tribunal administratif d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. Par un jugement n° 2101352 du 17 novembre 2022, dont le préfet de la Guadeloupe relève appel, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé l'arrêté du 29 septembre 2021 du préfet de la Guadeloupe au motif que cet arrêté portait au droit de Mme E... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur l'appel principal du préfet de la Guadeloupe :

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... est entrée pour la première fois sur le territoire français le 21 décembre 2009 à l'âge de 20 ans. Sa fille ainée, Kelise, née le 23 août 2008 en Dominique, scolarisée en école élémentaire classique de 2017 à 2020, est atteinte d'un trouble du développement intellectuel pour lequel elle bénéficie d'un accompagnement médico-social et pédagogique spécialisé au sein d'un institution médico-pédagogique. Ses trois autres enfants, prénommés D..., C... et B..., sont nés en 2010, 2016 et 2019 aux Abymes (Guadeloupe). A la date de l'arrêté, D... était scolarisée en classe de 6ème et Aleijha était scolarisé en classe de grande section de maternelle. Mme E... se prévaut de nombreuses attestations dont il ressort qu'elle entretient depuis 2018 une relation avec M. A..., ressortissant Saint-Lucien en situation régulière en France, père de B.... La circonstance, alléguée par le préfet, que B... n'a été reconnue par son père qu'en octobre 2021, soit postérieurement à l'arrêté en litige, n'est pas de nature, par elle-même, à démontrer le caractère prétendument frauduleux de cette reconnaissance de paternité. La stabilité de la relation entretenue par Mme E... et M. A... est confirmée par la production d'un contrat de bail établi à leurs noms. Il est également démontré par les pièces produites que M. A... exerce en Guadeloupe une activité salariée en qualité de chef d'équipe dans les travaux publics, contribue aux charges du ménage par des virements réguliers et participe activement à l'entretien et à l'éducation de B..., sa fille, ainsi que des trois autres enfants de Mme E.... Il ressort de ces mêmes pièces, en particulier de l'attestation du président du conseil départemental de La Guadeloupe du 28 octobre 2021, que Mme E... et son compagnon sont très impliqués dans le suivi de Kelise et contribuent activement à son insertion. Par ailleurs, si Mme E... n'est pas dépourvue d'attaches dans son pays d'origine où résident, selon ses déclarations, sa mère et certaines de ses sœurs, elle démontre néanmoins avoir l'essentiel de ses attaches en France, où résident, outre ses enfants et son compagnon, une partie de sa fratrie et ses grands-parents, et où elle résidait elle-même depuis douze ans à la date de l'arrêté. Les témoignages circonstanciés produits attestent de la bonne insertion du couple dans la société française. Dans ces conditions, et alors même que Mme E... ne remplirait pas les conditions de délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'un enfant malade, les premiers juges ont estimé à juste titre que le refus de renouvellement du titre de séjour de Mme E... avait été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Guadeloupe n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé son arrêté du 29 septembre 2021.

Sur les conclusions incidentes présentées par Mme E... :

6. C'est à juste titre que le tribunal administratif de La Guadeloupe a enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer à Mme E... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte de 50 euros par jours de retard dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Sur les frais d'instance :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme E... de la somme de 1 300 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de La Guadeloupe est rejetée.

Article 2 : L'injonction prononcée par le tribunal administratif de la Guadeloupe est assortie d'une astreinte de 50 euros par jour de retard dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme E... une somme de 1 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel de Mme E... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 13 juin 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,

Mme Agnès Bourjol, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juillet 2023.

La rapporteure,

Agnès BOURJOL

La présidente,

Marie-Pierre BEUVE DUPUYLa greffière,

Sylvie HAYET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00350
Date de la décision : 04/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BEUVE-DUPUY
Rapporteur ?: Mme Agnès BOURJOL
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : CABINET DJIMI

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-07-04;23bx00350 ?
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