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04/07/2023 | FRANCE | N°22BX02984

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 04 juillet 2023, 22BX02984


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 7 décembre 2021 par lequel le préfet de La Réunion a retiré son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans et l'a signalé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen pour la durée de l'

interdiction de retour.

Par un jugement n° 2101655 du 30 juin 2022, le tribuna...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 7 décembre 2021 par lequel le préfet de La Réunion a retiré son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans et l'a signalé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen pour la durée de l'interdiction de retour.

Par un jugement n° 2101655 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 décembre 2022 et 17 avril 2023, M. B..., représenté par Me Djafour, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 30 juin 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de La Réunion du 7 décembre 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de La Réunion de procéder au réexamen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- le jugement est insuffisamment motivé en ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision d'interdiction de retour ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les droits de la défense et notamment le droit d'être entendu ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

En ce qui concerne la fixation du pays de renvoi :

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 avril 2023, le préfet de La Réunion conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Evelyne Balzamo.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant sri-lankais né le 11 septembre 1992, est entré en France le 14 décembre 2018. Il a déposé une demande d'asile, qui a fait l'objet d'une décision de rejet de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 26 mars 2019, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 21 octobre 2021. Par un arrêté du 7 décembre 2021, le préfet de La Réunion a retiré son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans et l'a signalé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen pour la durée de l'interdiction de retour. M. B... relève appel du jugement du 30 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que les premiers juges ont expressément répondu aux moyens contenus dans la requête de M. B..., en particulier, au moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français. Si M. B... soutient au surplus que les premiers juges n'ont pas pris en compte certains des éléments relatifs à sa situation personnelle, un tel moyen se rapporte au bien-fondé du jugement et non à sa régularité. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.

Sur la légalité de l'arrêté en litige :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, il ressort des termes de la décision en litige que le préfet de La Réunion, après avoir constaté le rejet de la demande d'asile présentée par M. B..., a examiné l'ensemble de sa situation personnelle et familiale et a vérifié, au vu des éléments dont il avait connaissance, qu'aucune circonstance ne faisait obstacle à une mesure d'éloignement. Cette décision, prise au visa du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, comporte donc l'ensemble des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et est ainsi suffisamment motivée. Cette motivation révèle par ailleurs que le préfet de La Réunion a procédé à un examen particulier et approfondi de la situation de M. B.... Par suite, ces moyens doivent être écartés.

4. En deuxième lieu, dans le cas prévu au 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision portant obligation de quitter le territoire français fait suite au constat de ce que la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire ont été définitivement refusés à l'étranger ou de ce que celui-ci ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a été entendu dans le cadre du dépôt de sa demande d'asile à l'occasion de laquelle l'étranger est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit reconnue la qualité de réfugié et à produire tous les éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, laquelle doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir toute observation complémentaire, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... ait sollicité en vain un entretien avec les services préfectoraux ni qu'il ait été empêché de présenter des observations avant que ne soit prise la décision contestée. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait intervenue en méconnaissance du droit d'être entendu.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

6. Il est constant que M. B... est entré en France le 14 décembre 2018. S'il se prévaut de sa bonne insertion professionnelle depuis son arrivée et produit à ce titre un contrat de travail ainsi que des bulletins de salaire pour les mois de novembre 2021 à octobre 2022, cette insertion était très récente à la date de l'arrêté en litige. En outre, les attestations fournies par l'appelant, au demeurant postérieures à la décision contestée, dans lesquelles des collègues ou des bénévoles associatifs font état de leur relation amicale avec lui, ne suffisent pas à établir que l'intéressé dispose en France de liens anciens, intenses et stables. Dans ces conditions, et alors que M. B... ne démontre ni n'allègue ne plus disposer d'attaches familiales dans son pays d'origine dans lequel il a vécu 26 ans, le préfet de La Réunion n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation en lui faisant obligation de quitter le territoire français.

En ce qui concerne la fixation du pays de renvoi :

7. M. B... reprend en appel ses moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, il n'apporte aucun élément de fait ou de droit nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation des premiers juges, qui ont relevé que l'intéressé n'apportait aucun élément probant susceptible d'étayer ses allégations alors qu'au demeurant, sa demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA et la CNDA. Par suite, il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de La Réunion.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

8. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".

9. Il n'est pas contesté que la présence de M. B... ne constitue pas une menace à l'ordre public et qu'il n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement. En outre, si son entrée en France est récente, compte tenu des éléments cités au point 6 relatifs à la situation professionnelle et personnelle de M. B..., l'appelant est fondé à soutenir qu'en fixant à deux ans, soit la durée maximale prévue par les dispositions de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'interdiction de retour prononcée à son encontre, le préfet de la Réunion a entaché cette décision d'une erreur d'appréciation. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre cette décision, M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande en ce qu'elle tendait à l'annulation de la décision du 7 décembre 2021 lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans et à demander, dans cette mesure, la réformation de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Le présent arrêt, qui se borne à annuler la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, n'implique aucune des mesures d'exécution sollicitées. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par M. B....

Sur les frais liés à l'instance :

12. L'Etat n'étant pas pour l'essentiel la partie perdante dans la présente instance, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'appelant sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

DECIDE :

Article 1er : La décision du 7 décembre 2021 du préfet de La Réunion faisant interdiction à M. B... de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans est annulée.

Article 2 : Le jugement n° 2101655 du 30 juin 2022 du tribunal administratif de La Réunion est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de La Réunion.

Délibéré après l'audience du 13 juin 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2023.

La présidente-assesseure,

Bénédicte MartinLa présidente-rapporteure,

Evelyne Balzamo Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX02984


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02984
Date de la décision : 04/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Evelyne BALZAMO
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : DJAFOUR

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-07-04;22bx02984 ?
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