Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 28 octobre 2021 par laquelle la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " et d'enjoindre à l'autorité préfectorale de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2201659 du 30 janvier 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la décision de la préfète de la Gironde du 28 octobre 2021, et lui a enjoint, sous réserve d'un changement de circonstance de droit ou de fait, de délivrer à M. D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois suivant la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 février 2023, le préfet de la Gironde demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 30 janvier 2023 ;
2°) de mettre à la charge de M. D... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la présence en France de M. D... constitue une menace pour l'ordre public faisant obstacle à la délivrance d'un titre de séjour ; il est possible de tenir compte des faits ayant justifié un placement en détention provisoire, sans remettre en cause la présomption d'innocence dont doit bénéficier l'intéressé, pour caractériser une telle menace ; d'ailleurs, cette détention provisoire a été prolongée de six mois par le juge des libertés et de la détention ; M. D... a en outre déjà été condamné pénalement à trois reprises pour des faits de conduite sans permis et sans assurance commis entre 2009 et 2012 et est également connu défavorablement du fichier du traitement des antécédents judiciaires pour des faits commis en 2011 et 2013 ;
- la décision en litige ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de M. D..., dès lors qu'alors même qu'il réside en France depuis trente-sept ans, il est célibataire, sans personne à charge, qu'il ne démontre pas de liens avec ses enfants, ni plus largement des liens privés, familiaux ou sociaux en France, et qu'il représente une menace pour l'ordre public.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2023, M. D..., représenté par Me Mathey, conclut au rejet de la requête et à ce que l'injonction de délivrer un titre, prononcée par le tribunal administratif, soit assortie d'une astreinte de 80 euros par jour de retard.
Il fait valoir que :
- l'arrêté est insuffisamment motivé, en ce qu'il ne tient pas compte de sa vie privée et de son intégration professionnelle ;
- les faits relevés par le préfet ne suffisent pas à caractériser une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'ordre public ; il ne peut être tenu compte des faits pour lesquels il a été placé en détention provisoire sans que soit méconnu le principe de la présomption d'innocence ; la circonstance que sa détention ait été prolongée ne permet pas de caractériser une telle menace ; les faits ayant donné lieu à des condamnations pour des délits routiers sont anciens et ne le concernent pas puisqu'il a été victime d'une usurpation d'identité ; ils ne sauraient à eux seuls justifier un refus de délivrance d'un titre de séjour ; l'atteinte à l'ordre public doit être mise en balance avec la vie privée et familiale ; il est particulièrement intégré en France où il réside depuis 1984 ;
- l'arrêté méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il réside en France, de façon régulière, depuis l'âge de 17 ans, ses cinq enfants y vivent ;
- il méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif à l'admission exceptionnelle au séjour, dès lors qu'il réside en France depuis 37 ans et qu'il travaille en contrat à durée déterminée ;
- il est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par une décision du 13 avril 2023, M. D... a obtenu le maintien de plein droit du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale obtenue le 17 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant malgache né le 27 mai 1967 à Madagascar de parents comoriens, est entré en France en 1984, alors qu'il était encore mineur. La délivrance d'un certificat de nationalité française lui a été refusée par décision du ministre de la justice du 11 août 2004, au motif de la perte de la nationalité française à la suite de l'indépendance des Comores le 31 décembre 1975. A compter de 2005, il a bénéficié d'un titre de séjour " vie privée et familiale ", renouvelé régulièrement jusqu'au 27 octobre 2021. Par courrier du 5 août 2021, il a demandé le renouvellement de son titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 28 octobre 2021, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour. Par un jugement n° 2201659 du 30 janvier 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté préfectoral du 28 octobre 2021. La préfète de la Gironde relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Pour annuler la décision du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux s'est fondé sur le motif tiré de ce que la menace pour l'ordre public, opposée par la préfète de la Gironde, n'était pas telle qu'elle justifiait le refus de renouvellement du titre de séjour de M. D.... Les premiers juges ont relevé, d'une part, que les condamnations pénales dont avait fait l'objet M. D... portaient sur des faits commis, respectivement neuf et treize ans avant la date de la décision en litige, et que les faits pour lesquels l'intéressé a été placé en détention provisoire n'avaient pas donné lieu à une condamnation pénale, et, d'autre part, que M. D... avait séjourné en France 37 ans, dont une grande partie en situation régulière, qu'il était père de cinq enfants de nationalité française et que l'un d'entre eux était encore à sa charge.
3. Aux termes de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle et de l'autorisation provisoire de séjour prévue aux articles L. 425-4 ou L. 425-10 ainsi qu'à la délivrance de la carte de résident et de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE ". ". Aux termes de l'article L. 432-1 de ce code : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public. "
4. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a été interpellé pour des faits de viol qui ont justifié, le 24 septembre 2021, son placement en détention provisoire pour une durée de douze mois. En l'absence de tout élément permettant de douter de la vraisemblance de ces faits, que l'intéressé ne conteste d'ailleurs pas sérieusement, et compte tenu de leur gravité et de leur caractère récent à la date de la décision contestée, la préfète a pu, sans remettre en cause la présomption d'innocence, les retenir pour constater que la présence de l'intéressé constituait une menace pour l'ordre public. Si M. D... a séjourné en France durant 37 ans, dont 16 ans en situation régulière sous couvert de titres de séjour d'un an et de récépissés, et s'il est père de cinq enfants, dont deux mineurs qui ont la nationalité française, il n'est établi ni qu'il participerait à l'éducation et l'entretien de l'un d'entre eux, ni qu'il entretiendrait des liens avec eux, et il ne démontre pas davantage une insertion particulière dans la société française. Par suite, en retenant la menace à l'ordre public que représenterait le comportement de M. D... pour rejeter sa demande de titre de séjour, la préfète de la Gironde n'a pas méconnu les dispositions précitées des articles L. 412-5 et L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux s'est fondé sur l'absence de menace pour l'ordre public, pour annuler la décision de la préfète de la Gironde du 28 octobre 2021.
6. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de Bordeaux.
7. En premier lieu, la décision en litige est signée par Mme C... A..., cheffe du bureau de la lutte contre l'immigration irrégulière, de l'ordre public et du contentieux à la préfecture, qui a reçu délégation à cet effet, en cas d'absence ou d'empêchement du directeur des migrations et de l'intégration, par arrêté préfectoral du 16 septembre 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le lendemain. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision doit être écarté.
8. En deuxième lieu, la décision mentionne le fondement de la demande, soit l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cite les dispositions des articles L. 412-5 et L. 432-1 du même code, relatifs à la réserve de la menace à l'ordre public faisant obstacle à la délivrance ou au renouvellement d'un titre de séjour, et mentionne les faits pour lesquels M. D... a été soit placé en détention, soit condamné, soit signalé au fichier du traitement des antécédents judiciaires. La circonstance que la préfète n'ait pas mentionné les éléments de vie privée et familiale de M. D... n'est pas de nature à entacher la décision d'irrégularité, dès lors que son auteur a estimé que la menace pour l'ordre public que représente son comportement était suffisamment grave. Par suite, la décision comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde et est suffisamment motivée.
9. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que la préfète de la Gironde a estimé que les faits qui étaient reprochés à M. D... étaient particulièrement graves et récents, de sorte qu'ils justifiaient une décision de refus de la demande de titre de séjour présentée sur le fondement de la vie privée et familiale. Le moyen tiré de ce que la décision serait entachée d'erreur de droit, faute d'avoir pris en compte l'intégration de M. D... et sa vie privée et familiale en France doit être écarté.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Ainsi qu'il a été dit au point 4, M. D... est présent en France depuis 37 ans, dont seize ans sous couvert de cartes de séjour temporaire et de récépissés, et est père de cinq enfants, dont deux enfants mineurs de nationalité française, nés de mères différentes. Toutefois, il ne ressort pas des pièces produites, qui se limitent à deux cartes d'identité ainsi que des copies de son livret de famille, qu'il entretiendrait des liens quelconques avec eux. De plus, M. D... ne justifie d'aucun revenu sur la période, autre que celui procuré par deux emplois saisonniers et un contrat à durée déterminée de neuf mois, et n'apporte aucun autre élément de nature à caractériser une insertion sociale et professionnelle suffisante dans la société française. Il a été par ailleurs placé en détention provisoire pour des faits de viol pour une période de douze mois à compter du 24 septembre 2021. Dans ces conditions, la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée, et la préfète de la Gironde n'a méconnu ni les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. En cinquième lieu, au vu des éléments factuels rappelés au point précédent, la préfète de la Gironde n'a pas entaché sa décision de refus de séjour d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. D....
13. En dernier lieu, M. D... ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatives à la régularisation exceptionnelle, dès lors qu'il n'a pas présenté sa demande d'admission au séjour sur ce fondement.
14. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Gironde est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 28 octobre 2021.
Sur les frais liés au litige :
15. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions du préfet de la Gironde présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 30 janvier 2023 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Bordeaux est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par le préfet de la Gironde sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à
M. E... D... et à Me Victoria Mathey. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Rey-Gabriac, première conseillère,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 juin 2023
Le rapporteur,
Olivier B... La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
23BX00511 2