Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 3 juin 2020 par lequel le préfet de la Guyane a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2001191 du 21 juillet 2022, le tribunal administratif de la Guyane a annulé l'arrêté préfectoral du 3 juin 2020 et a enjoint au préfet de la Guyane de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai de deux mois et de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 septembre 2022, le préfet de la Guyane, représenté par Me Mathieu, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 21 juillet 2022 ;
2°) de rejeter la demande de Mme B....
Il soutient que :
- à titre principal, la demande de première instance était irrecevable car tardive ; Mme B..., à qui l'arrêté en litige a été notifié le 22 septembre 2020, a introduit son recours le 30 novembre 2020, soit au-delà du délai de deux mois qui lui était imparti pour le faire ;
- l'arrêté en litige ne méconnaît pas les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; l'auteur de la reconnaissance de paternité, avec lequel Mme B... ne vit pas, a fait l'objet d'un signalement auprès du procureur de la République pour avoir été l'auteur de reconnaissances multiples de paternité ; en outre, Mme B... n'apporte les preuves de sa présence sur le territoire français qu'à compter de 2016 alors que son premier enfant, né le 5 novembre 2016, a été reconnu deux mois avant sa naissance ; enfin il n'est pas démontré que le père présumé participe à l'entretien et à l'éducation des enfants ;
- il ne méconnaît pas les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; Mme B... n'est pas démunie d'attaches familiales en Haïti, où réside le reste de sa famille et où elle a vécu jusqu'à l'âge de 25 ans ; en outre, elle ne justifie pas de l'intensité des liens privés, familiaux, sociaux et amicaux qu'elle aurait noués depuis son arrivée en France ;
- il n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les éléments dont elle se prévaut ne pouvant être regardés comme des considérations humanitaires ou exceptionnelles.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie ;
- le décret n° 2020-1143 du 16 septembre 2020 ;
- l'arrêté du 7 février 2007 pris en application de l'article R. 2-1 du code des postes et des communications électroniques et fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux ;
- l'arrêté du 15 avril 2020 modifiant l'arrêté du 7 février 2007 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante haïtienne qui est entrée sur le territoire français en 2015 selon ses déclarations, a sollicité, le 10 avril 2018, un titre de séjour sur le fondement des dispositions alors codifiées au 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en qualité de parent d'un enfant français. Par un arrêté du 3 juin 2020, le préfet de la Guyane a refusé de lui délivrer un titre de séjour. Par un jugement du 21 juillet 2022, le tribunal administratif de la Guyane a annulé l'arrêté préfectoral du
3 juin 2020 et a enjoint au préfet de la Guyane de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai de deux mois et de lui délivrer, dans l'attente, un récépissé l'autorisant à travailler dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement. Par la présente requête, le préfet de la Guyane relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 de ce code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 7 février 2007 pris en application de l'article R. 2-1 du code des postes et des communications électroniques et fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux, tel que modifié par l'article 2 de l'arrêté du 15 avril 2020, et applicable durant la période d'état d'urgence sanitaire : " Après s'être assuré oralement de la présence du destinataire, l'employé chargé de la distribution remet le pli, en fonction de l'adresse indiquée sur le pli, dans la boîte aux lettres du destinataire, et établit la preuve de distribution. / La preuve de distribution doit comporter les informations prévues aux articles 2 et 3 ainsi que : - les nom et prénom du destinataire ; / - une attestation sur l'honneur, émise par l'employé chargé de la distribution et attestant la remise du pli ; / - la date et l'heure de distribution ; / - le numéro d'identification de l'envoi ; / - la mention "procédure spéciale covid-19". (...) ". Aux termes de ce même article 4, dans sa rédaction applicable après la fin de l'état d'urgence sanitaire : " La preuve de distribution doit comporter les informations prévues aux articles 2 et 3 ainsi que : - les nom et prénom de la personne ayant accepté l'envoi et sa signature (le destinataire ou son mandataire) ; / - la pièce justifiant son identité ; / - la date de distribution ; / - le numéro d'identification de l'envoi. ".
4. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté en litige, qui comportait la mention des voies et délais de recours, a été expédié le 29 juin 2020 par courrier recommandé avec accusé de réception à la dernière adresse indiquée par la requérante à la préfecture. Si le préfet fait valoir que ce pli a été reçu par Mme B... le 22 septembre 2020, il ressort toutefois de l'avis de distribution, produit pour la première fois en appel, qu'il ne comporte pas la signature de Mme B..., mais la mention manuscrite " C19 ". L'état d'urgence sanitaire déclaré par la loi du 23 mars 2020 ayant cessé en Guyane le 18 septembre 2020, conformément au décret n° 2020-1143 du 16 septembre 2020, les modalités spéciales relatives à la distribution des envois postaux durant cette période d'épidémie, prévues par l'arrêté du 15 avril 2020 modifiant l'arrêté du 7 février 2007 pris en application de
l'article R. 2-1 du code des postes et des communications électroniques et fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux, avaient pris fin lors de la distribution du pli. Dans ces conditions, en l'absence de signature sur l'avis de distribution du pli, il n'est pas établi que Mme B... ait reçu notification de l'arrêté en litige le 22 septembre 2020. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le préfet, et tirée de la tardiveté de la demande présentée au tribunal administratif de la Guyane le 30 novembre 2020, doit être écartée.
En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal :
5. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable: " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée (...) ".
6. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a déposé sa demande de délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français le
10 avril 2018. Par suite, conformément aux dispositions du IV de l'article 71 de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, les dispositions introduites par l'article 55 de cette même loi, imposant au demandeur de justifier que l'auteur de la reconnaissance de paternité contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant ou de produire une décision de justice, ne sont pas applicables à la demande de Mme B....
8. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B... est mère d'une enfant, C..., née en Guyane le 5 novembre 2016, et reconnue par un ressortissant français le 26 septembre 2016. Pour estimer que la demande d'admission au séjour de Mme B... en qualité de parent d'enfant français était frauduleuse, le préfet s'est fondé sur l'absence de preuve de présence de cette dernière sur le territoire français avant la naissance de l'enfant, l'absence de communauté de vie avec le père déclaré et l'absence de preuve de participation de ce dernier à l'entretien et l'éducation de l'enfant. Il ressort toutefois des pièces du dossier que Mme B... est présente en Guyane depuis décembre 2015, et que l'auteur de la reconnaissance de paternité atteste contribuer à l'entretien et l'éducation de l'enfant, notamment par l'achat de vêtements et de fournitures scolaires, ce que démontrent plusieurs factures, et passer des weekends avec celle-ci. Dans ces conditions, ni l'absence de vie commune du couple, ni l'affirmation du préfet, au demeurant non étayée, selon laquelle le père déclaré aurait fait l'objet d'un signalement auprès du Procureur de la République en raison de reconnaissances multiples, ne sont de nature à caractériser l'existence d'une fraude dans la demande d'admission au séjour de Mme B... en qualité de parent d'enfant français. En rejetant la demande pour ce motif, le préfet de la Guyane a méconnu les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Guyane n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a annulé l'arrêté du 3 juin 2020 et lui a enjoint de réexaminer la situation de Mme B... dans un délai de deux mois et de lui délivrer, dans l'attente, un récépissé l'autorisant à travailler.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de Guyane est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme D... B.... Une copie en sera adressée au préfet de la Guyane.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 juin 2023.
Le rapporteur,
Olivier A... La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22BX02505