Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... B... a demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner solidairement l'Etat et la commune de Mamoudzou à lui verser la somme de
1 040 307, 09 euros en réparation des différents préjudices qu'il a subis en raison d'un dommage survenu à l'occasion de l'utilisation d'un ouvrage public.
Par un jugement n° 1801362 du 22 février 2021, rectifié pour erreur matérielle par ordonnance du 11 mars 2021, le tribunal administratif de Mayotte a :
-condamné solidairement l'Etat et la commune de Mamoudzou à verser à M. B... la somme de 63 641,45 euros, après déduction de la somme de 116 000 euros accordée à titre de provision par la cour administrative d'appel de Bordeaux ;
-condamné solidairement l'Etat et la commune de Mamoudzou à verser à M. B... la somme de 287 858, 62 euros fixée au point 12 du jugement, sous réserve de la déduction, le cas échéant, de la somme que M. B... percevra de manière définitive au titre de la garantie perte de revenus professionnels souscrite auprès de son assureur et dont il devra justifier au préalable auprès de l'Etat et de la commune ;
-condamné solidairement l'Etat et la commune de Mamoudzou à verser à la Caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières (CAMIEG) la somme de 192 703,18 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement ;
-condamné solidairement l'Etat et la commune de Mamoudzou à verser à la mutuelle d'assurance des instituteurs de France (MAIF) la somme de 278 013, 80 euros ;
-mis à la charge solidaire de l'Etat et de la commune de Mamoudzou les frais de l'expertise taxés et liquidés à la somme de 3 139 euros ;
-condamné solidairement l'Etat et la commune de Mamoudzou à verser à la CAMIEG la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
-dit que l'Etat garantira la commune de Mamoudzou à hauteur de 75 % du montant des condamnations prononcées à son encontre ;
-dit que la commune de Mamoudzou garantira l'Etat à hauteur de 25 % du montant des condamnations prononcées à son encontre ;
-rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 avril 2021, et des mémoires enregistrés les
14 juin et 8 décembre 2022, M. B..., représenté par Me Dugoujon et Me Michel-Techer, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Mayotte du
22 février 2021 en ce qu'il ne l'a pas suffisamment et complètement indemnisé de tous ses préjudices ;
2°) de condamner solidairement l'Etat et la commune de Mamoudzou à lui verser la somme totale de 945 215,44 euros, en assortissant cette somme des intérêts au taux légal à compter du 9 juin 2018 et de la capitalisation des intérêts échus au jour de l'enregistrement de la requête en appel, puis à chaque échéance annuelle ;
3°) de confirmer le jugement pour le surplus, notamment en ce qu'il a alloué un total de 54 563,14 euros au titre des frais d'assistance à expertise, assistance temporaire d'une tierce personne, déficit fonctionnel temporaire partiel et souffrances endurées.
4°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la commune de Mamoudzou la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
-il n'a pas été suffisamment indemnisé au titre de la perte de gains professionnels avant consolidation, qui doit être portée de 287 858,62 euros à 388 232,87 euros ; il ne peut être tenu compte de la décision judiciaire du 19 décembre 2019 condamnant la MAIF à l'indemniser à hauteur de 267 262,70 euros, qui est fondée sur les garanties limitées du contrat et n'est pas définitive, et c'est à bon droit que le tribunal a prévu que la somme définitive viendra en déduction de la condamnation totale de l'Etat et de la commune ;
- il n'a pas non plus été suffisamment indemnisé au titre des dépenses de santé futures, qui doivent être portées de 21 218,63 euros à 29 344,85 euros, de l'assistance d'une tierce personne après consolidation, qui doit être indemnisée sur une base non de 13 mais de 14 euros par heure, soit 44 425,92 euros, du préjudice esthétique définitif qui doit être porté de 2 000 à 3 000 euros, du déficit fonctionnel permanent de 42 %, dont l'indemnisation doit être portée de 60 000 à 70 000 euros, et du préjudice sexuel, qui doit être porté de 2 000 à 15 000 euros ;
-c'est à tort qu'il a été débouté de ses demandes tendant à l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire total pendant 28 jours d'hospitalisation, qui doit être indemnisé pour 840 euros, du préjudice esthétique temporaire, qui est bien distinct du même préjudice permanent et justifie l'allocation de 2 500 euros, des frais de transport futurs, pour lesquels il apporte des justificatifs en appel et qui doivent être évalués à 28 928,92 euros, des frais de logement adapté pour 66 485 euros, alors que l'acquisition d'une maison de plain-pied était nécessaire et que la localisation dans une région au climat sec a contribué à réduire ses douleurs, de la perte de gains professionnels futurs jusqu'à l'âge de 70 ans pour 215 423 euros ou subsidiairement 204 651,85 euros, ce qui ne constitue pas une demande nouvelle, de l'incidence professionnelle alors que l'arrêt prématuré de son activité indépendante l'a privé de droits supplémentaires à la retraite pour 61 034,88 euros, et du préjudice d'agrément résultant de l'abandon des activités de plongée et randonnée et des voyages touristiques à travers le monde, qui doit être évalué à 20 000 euros ;
-après actualisation des postes de préjudice évolutifs à la date du 31 décembre 2022, il demande la condamnation solidaire de l'Etat et de la commune de Mamoudzou à lui verser la somme de 945 215, 44 euros en réparation de l'ensemble des préjudices précités, en sus des sommes allouées par le tribunal pour ceux qui ne sont pas contestés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2022, le ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
-la demande concernant une perte de chance de poursuivre l'activité professionnelle jusqu'à 70 ans est nouvelle en appel et par suite irrecevable ;
-les autres moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés ; il a en effet été suffisamment et correctement indemnisé par le jugement.
Par des mémoires, enregistrés les 23 juin 2021, 29 septembre 2022 et
28 octobre 2022, la Mutuelle d'assurance des instituteurs de France (MAIF), représentée par Me Diamantara, conclut à la confirmation de l'article 4 du jugement, par lequel l'Etat et la commune de Mamoudzou ont été condamnés solidairement à lui verser la somme de
278 013,80 euros, majorée des intérêts au taux légal, à ce que ses droits soient réservés sur le surplus dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, et à ce que tout succombant soit condamné, au besoin solidairement, à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
-elle est subrogée dans les droits de M. B... en vertu de l'article L. 121-12 du code des assurances ;
-sa créance s'élève à la somme de 278 123,80 euros, correspondant pour 267 262,70 euros aux pertes de gains professionnels que le tribunal judiciaire d'Aix en Provence l'a condamnée à indemniser, somme qui a été versée, et pour le solde à d'autres garanties contractuelles (dépenses de santé, frais de transports, soutien psychologique et 176,85 euros d'aide-ménagère).
Par un mémoire, enregistré le 27 juillet 2022, la caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières (CAMIEG), représentée par Me Bardet, conclut à la confirmation de l'article 3 du jugement, par lequel l'Etat et la commune de Mamoudzou ont été condamnés solidairement à lui verser la somme de 192 703, 18 euros, dont des frais futurs pour 113 601,71 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement comme cela était demandé, à la condamnation solidaire de l'Etat et de la commune à lui payer la somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion en application des articles 9 et 10 de l'ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996, et à la condamnation solidaire de l'Etat et de la commune à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
-le jugement doit être confirmé sur le principe de la condamnation solidaire des tiers responsables pour la somme de 192 703, 18 euros.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des assurances ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 15 décembre 2022 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2023 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,
- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Michel-Techer représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., alors âgé de 63 ans et consultant indépendant en construction de centrales électriques au sein de la société Artéca Conseil qu'il a créée, a été victime d'un grave accident le 24 janvier 2015 sur le territoire de la commune de Mamoudzou (Mayotte), alors qu'il sortait d'un restaurant vers 21 heures et rejoignait à pied son véhicule sur le trottoir gauche de la route nationale n° 2 (RN 2) en direction du rond-point du Baobab. Il a fait une chute depuis un passage partiellement non protégé surplombant d'une hauteur d'environ 2 mètres un caniveau bétonné situé en contrebas. Victime de lésions à la colonne vertébrale, M. B... a été évacué vers La Réunion, où il a subi une intervention chirurgicale en urgence le 26 janvier suivant. Un syndrome de la queue de cheval a ensuite été constaté, avec des séquelles urologiques majeures. A la suite du dépôt le 25 novembre 2017 du rapport de l'expert judiciaire désigné, M. B... a saisi d'une demande indemnitaire le préfet de Mayotte et la commune de Mamoudzou et a recherché devant le tribunal administratif de Mayotte la responsabilité solidaire de l'Etat pour défaut d'entretien normal du trottoir de la RN2 et de la commune de Mamoudzou pour carence dans l'exercice des pouvoirs de police et de circulation. Par un jugement du 22 février 2021, rectifié par une ordonnance du 11 mars 2021, ce tribunal a, d'une part, condamné solidairement l'Etat et la commune de Mamoudzou à verser à M. B... les sommes de 63 641,45 euros au titre de l'ensemble des préjudices subis à l'exception de la perte de revenus, après déduction de la somme de 116 000 euros déjà accordée à titre de provision par la cour administrative d'appel de Bordeaux, et de 287 858, 62 euros au titre des pertes de gains sous réserve de la déduction, le cas échéant, de la somme que M. B... percevra de manière définitive au titre de la garantie perte de revenus professionnels souscrite auprès de son assureur. Il a, d'autre part, condamné solidairement l'Etat et la commune à verser à la caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières (CAMIEG) la somme de 192 703,18 euros et à la mutuelle d'assurance des instituteurs de France (MAIF) la somme de 278 013, 80 euros. Il a également décidé que l'Etat garantira la commune de Mamoudzou à hauteur de 75 % du montant des condamnations prononcées à leur encontre, et que la commune de Mamoudzou garantira l'Etat à hauteur de 25 % du montant de ces condamnations. M. B..., estimant avoir été insuffisamment indemnisé, relève appel de ce jugement en demandant de porter la condamnation solidaire de l'Etat et de la commune à la somme totale de 999 778,58 euros.
Sur les préjudices :
2. La responsabilité solidaire de l'Etat et de la commune de Mamoudzou n'étant pas contestée en appel, non plus que le partage de responsabilité effectué par le tribunal, il y a lieu, en l'absence de tout appel incident de l'Etat ou de la commune, d'examiner ceux des préjudices pour lesquels le requérant estime avoir été insuffisamment indemnisé par le jugement.
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
Quant aux préjudices temporaires :
3. M. B... était le gérant, unique associé et seul technicien de la société de conseil Arteca, qu'il a liquidée et dissoute le 31 mars 2015 en raison de son état de santé. Il estime que sa perte de gains professionnels, que le tribunal a indemnisée à hauteur de
287 858, 62 euros jusqu'à la date de consolidation de son état de santé le 22 octobre 2018, doit être réévaluée à la somme de 388 282,37 euros, dès lors que les premiers juges, pour évaluer cette perte, ont, selon lui, retenu comme référence la moyenne des revenus perçus entre 2012 et 2014, mais écarté les revenus de 2015 alors qu'il venait de signer une offre de service importante pour l'extension d'une centrale à Saint-Pierre-et-Miquelon du 1er février au 30 septembre 2015. Il fait valoir qu'il y a lieu de prendre en compte les revenus les plus récents connus ainsi que les revenus qu'il aurait dû percevoir sur la totalité de l'année 2015 et les années suivantes, dans le prolongement du contrat conclu avec la société Wärtsila Finland Oy et au regard des relations qu'il entretenait avec cette société depuis 2009 et des très nombreuses propositions de contrats et de missions qu'il recevait par ailleurs.
4. Les premiers juges n'ont en réalité pas exclu tout revenu de 2015 dans le préjudice calculé, mais seulement tenu compte des revenus certains qui auraient résulté de l'exécution du contrat signé pour la période de mars à fin septembre 2015, impliquant une longue présence sur site à Saint-Pierre-et-Miquelon. Cependant, au regard de l'ensemble des pièces versées au dossier, et notamment de l'avancement au début de février de l'exécution de ce contrat par la mention figurant au-dessus du " bon pour accord " signé le 20 janvier 2015, il y a lieu de retenir une perte de rémunération pour 2015 à hauteur du montant, qui est exceptionnel, de 124 690 euros après déduction des charges, de retenir la moyenne des années antérieures de 2012 à 2014, qui s'établit à 68 768 euros, pour apprécier les pertes en 2016, 2017 et 2018. Par suite le montant de la perte de revenus subie de la date de l'accident jusqu'à la consolidation doit être porté à 317 052 euros.
5. Il n'y a pas lieu de tenir compte à ce stade de l'incidence de l'impôt sur le revenu, dès lors que l'indemnité compensant une telle perte de revenus est elle-même susceptible d'être soumise à l'impôt en vertu de l'article 79 du code général des impôts, et que les calculs effectués pour l'application de la garantie contractuelle de la MAIF tiennent compte des clauses particulières du contrat d'assurance, qui sont sans incidence sur l'appréciation globale effectuée par le juge administratif.
6. Dans ces conditions, il y a lieu de porter la somme que l'Etat et la commune de Mamoudzou ont été condamnés à payer à M. B..., au titre de sa perte de gains professionnels, à 317 052 euros, dont sera déduite la somme que l'intéressé percevra définitivement de son assureur, lorsque la cour d'appel d'Aix-en-Provence se sera prononcée sur le litige pendant devant elle sur l'application de la garantie contractuelle qu'il avait souscrite au titre d'une telle perte de gains.
Quant aux préjudices permanents :
7. En premier lieu, il résulte de l'expertise du 20 août 2019 que M. B... a besoin, de façon permanente, de changes et de couches. Le tribunal administratif a pris en compte un montant d'achat de ces protections de 1 334,84 euros par an. Par suite, lui a été allouée une somme de 3 114,81 euros pour la période comprise entre la date de la consolidation, le 22 octobre 2018, et la date du jugement, outre une somme de 21 103,82 euros correspondant pour l'avenir à la capitalisation de ce préjudice calculée sur la base de l'euro de rente viagère applicable dans le cas d'un homme âgé de soixante-neuf ans à la date de la liquidation selon le barème de capitalisation 2020 de la Gazette du Palais, soit une somme totale de 24 218, 63 euros.
8. En appel, M. B..., qui dit ne pas contester la base annuelle de 1 334, 84 euros définie par le jugement, réclame une somme de 26 410,59 euros, composée de la somme de 5 621,15 euros de frais de couches du 23 octobre 2018 au 31 décembre 2022 et de la somme de 21 374, 79 euros correspondant à la capitalisation de ces frais selon le barème 2022 de la Gazette du Palais en vigueur à la date du présent arrêt. Toutefois, l'application d'une capitalisation à la date du présent arrêt, qui impliquerait nécessairement de retenir la valeur du point correspondant à l'âge qu'il a atteint aujourd'hui, lui serait plus défavorable que la somme de 24 218,63 euros que lui a allouée le tribunal administratif. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande sur ce point.
9. En deuxième lieu, M. B... fait valoir que son état de santé l'expose à une dépense d'achat d'un aérosol bactéricide, en traitement préventif des infections urinaires, notamment avant l'exécution d'un autosondage. Il fait valoir que ces frais ont été remboursés par la MAIF jusqu'à la date de consolidation de son état et réclame à ce titre les sommes de 485 euros correspondant aux frais engagés du 23 octobre 2018 au 31 décembre 2022 et de 1 863,91 euros correspondant à la capitalisation de ces frais selon le barème 2022 de la Gazette du Palais.
10. Cependant, s'il justifie d'achats de cet aérosol, il ne produit aucune ordonnance prescrivant l'usage de ce produit, lequel apparaît, aux termes de la facture produite, comme destiné à assainir l'atmosphère " en laissant une odeur mentholée ".
11. En troisième lieu, M. B... se plaint de ce que le tribunal l'a débouté de sa demande relative à ses dépenses de transport, au titre desquelles il réclame une indemnisation de 28 928,92 euros. Il résulte en effet de l'expertise précitée du 20 août 2019 que l'état de santé de M. B... nécessitera la poursuite de bilans urodynamiques, de séances de rééducation fonctionnelle et d'un bilan annuel de rééducation. Si la MAIF a pris en charge des frais de transport jusqu'en 2018, M. B... justifie en appel de deux consultations déjà effectuées pour bilan urodynamique au centre de rééducation de Garches, le 26 août 2020 et le 18 octobre 2021, pour lesquelles il s'est déplacé en voiture depuis son domicile d'Aix-en-Provence, ainsi que de la prescription par son médecin traitant, les 23 août 2020 et 12 mars 2021, de deux séries de 30 séances de rééducation fonctionnelle par un kinésithérapeute situé à une distance de 6 km de son domicile, à raison d'une séance hebdomadaire, et d'un déplacement annuel en région parisienne au titre du bilan fonctionnel. Dans ces conditions, il y a lieu d'allouer à M. B... une indemnité représentative des frais de transport qu'il a effectivement engagés pour les consultations et séances précitées déjà effectuées à la date du présent arrêt, soit 8 274 km, sur la base d'un indice fiscal de 0,601 euro/km pour un véhicule de 7 chevaux fiscaux et plus, chiffrages qui ne sont pas contestés, ce qui correspond à la somme de 5 257,47 euros, à laquelle il y a lieu d'ajouter 145 euros de frais de péage dont M. B... justifie, soit un montant de 5 402,47 euros. S'agissant en revanche des frais de déplacement futurs, l'intéressé ne justifie pas qu'il devra poursuivre les séances de kinésithérapie ou qu'il devra les poursuivre au même rythme, l'expertise du 25 avril 2017 ordonnée par le tribunal administratif ne le précisant pas. Le préjudice lié à ces frais de transport, qui ne présente pas un caractère certain, ne peut donc être indemnisé par capitalisation comme le demande M. B.... En revanche, il aura besoin à vie d'un bilan urodynamique, pour lequel il est suivi en région parisienne au centre de rééducation de Garches (CHU Raymond Poincaré). Sur ce point, il y a lieu de faire droit à sa demande sur la base d'un coût annuel de 1 075 euros, et de capitaliser ces frais pour le futur sur la base du barème 2022 de la Gazette du Palais pour un homme de 72 ans, soit une somme de
14 914,55 euros. Il y a donc lieu d'allouer à M. B... une indemnité représentative de ses frais de transport pour la somme totale de 20 317,02 euros.
12. En quatrième lieu, M. B... demande à être indemnisé à hauteur de
66 485 euros des frais de relogement qu'il a engagés pour acquérir un logement plus adapté à son handicap. Il fait valoir que sa résidence antérieure, en région parisienne était répartie sur deux niveaux avec la salle d'eau à l'étage et qu'il a cherché un nouveau logement, adapté à sa mobilité diminuée et aux préconisations du corps médical, en particulier de l'équipe médicale du CHU Raymond Poincaré de Garches, qui a relevé, à travers les rapports de consultation produits, que ses douleurs lombaires et dorsales persistantes au niveau de l'ostéosynthèse pouvaient être aggravées par un climat humide. Dans ces conditions, M. B... et son épouse ont acquis à Aix-en-Provence, dont ils sont originaires tous deux, une maison de plain-pied et située sur un terrain plat, desservie par les transports en commun. Si l'expertise ne se prononce pas, comme l'ont relevé les premiers juges, sur la nécessité d'un relogement de M. B... dans une maison située à Aix-en-Provence, il est constant que celui-ci avait acquis ce nouveau domicile avant la réalisation de cette expertise. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de lui allouer la somme qu'il réclame de 66 485 euros, qui correspond aux frais de déménagement et aux frais de notaire engagés, et dûment justifiés.
13. En cinquième lieu, les premiers juges ont accordé à M. B... la somme de 36 859,68 euros pour ses frais d'assistance par tierce personne. M. B... demande une réactualisation de ces frais à hauteur de 44 425, 92 euros. Il fait valoir à juste titre que le taux horaire de la tierce personne doit être fixé à 14 euros pour la période postérieure à 2018. Sur cette base, le préjudice échu à la date du présent arrêt s'élève à 11 491 euros, et la somme annuelle de 2 465 euros doit être capitalisée sur la base du barème 2022 de la Gazette du Palais pour un homme de 72 ans, soit une indemnité pour l'avenir de 34 199 euros. La somme totale que le tribunal a allouée pour ce poste de préjudice doit donc être portée de
36 859,68 euros à 45 690 euros.
14. En sixième lieu, M. B... réclame l'indemnisation de ses pertes de gains professionnels entre sa consolidation et l'âge de 70 ans à hauteur de 215 423 euros, ou, à titre subsidiaire, pour tenir compte d'une perte de chance de 95 %, de 204 651,85 euros. Cependant, comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges, il résulte de l'instruction que M. B..., qui était ingénieur chez EDF, a été admis à la retraite en 2008, à l'âge de 57 ans, qu'il perçoit une pension de la caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG) et de l'AGIRC-ARRCO et qu'il a atteint le taux plein pour la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (CIPAV). S'il soutient qu'il aurait travaillé en indépendant jusqu'à l'âge de 70 ans, en réduisant progressivement sa quotité de travail, il s'agit d'une simple éventualité qui ne peut être tenue pour établie, même s'il avait reçu des propositions de missions l'année de son accident et s'il n'a fait liquider sa pension complémentaire qu'à l'âge de 69 ans. C'est donc à juste titre que le jugement attaqué a rejeté sa demande sur ce point.
15. En septième et dernier lieu, M. B... estime que l'incidence professionnelle de son accident au titre de la perte de droits supplémentaires à la retraite doit être évaluée à la somme de 61 034,88 euros. Il soutient en effet qu'il subit une perte de pension de retraite résultant de l'absence de nouvelles cotisations à la suite de son accident et de la radiation conséquente de la CIPAV à compter du 31 mars 2015, estimée par cette caisse à hauteur de 963 euros par an à partir de l'année 2015. Toutefois, comme l'ont également relevé à bon droit les premiers juges, il résulte de l'instruction, et notamment de la simulation Info Retraite en date du 22 novembre 2019 que, sans l'acquisition de nouveaux droits et tenant compte de son accident de travail, M. B... avait déjà atteint le taux plein pour la CIPAV. S'il fait valoir qu'il envisageait de poursuivre son activité de consultant jusqu'à l'âge de 70 ans, il s'agit, comme cela a été dit au point précédent, d'une simple éventualité. Par suite, M. B... n'est pas fondé à demander une indemnisation au titre d'une incidence professionnelle en raison du perte de retraite.
En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :
16. En premier lieu, il résulte du rapport d'expertise du 20 août 2019 que M. B... a subi une période de déficit fonctionnel temporaire total de 28 jours, du 24 janvier 2015 au 13 février 2015, du 8 mars au 10 mars 2015, et du 20 juin au 24 juin 2016. Il ne ressort pas de la motivation du jugement que le tribunal ait indemnisé ce chef de préjudice. Il y a lieu de lui accorder une somme de 560 euros à ce titre.
17. En deuxième lieu, M. B... conteste comme insuffisante l'indemnisation de son préjudice esthétique temporaire, qui a été coté par l'expert à 2 sur une échelle de 7 et dont il estime qu'il devait être indemnisé de façon séparée. Il ressort du rapport de l'expert qu'il a évalué de la même façon les deux préjudices temporaire et permanent. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de porter l'indemnisation du préjudice esthétique dans son ensemble de 2000 à 2500 euros.
18. En troisième lieu, M. B... demande que l'indemnisation de son déficit fonctionnel permanent soit portée de 60 000 à 70 000 euros. Il ressort du rapport d'expertise que ce déficit s'élève à 42 % " en raison de l'atteinte du cône terminal et de ses conséquences objectives définitives (troubles sensitivomoteurs L5-S1, insuffisance sphinctérienne, déficit génitosexuel), de séquelles rachidiennes majeures inhérentes à une arthrodèse lombaire du fait de la fracture initiale et de ses conséquences, de douleurs neuropathiques persistantes et enfin d'un retentissement psychologique justifiant un suivi spécifique ". Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en portant la somme allouée à 65 000 euros. En cas de mise en jeu de la garantie d'invalidité prévue au contrat, il appartiendra à la MAIF de faire prendre en compte l'indemnité mise à la charge de l'Etat pour éviter une double indemnisation du préjudice, sans qu'elle puisse à ce stade demander que la cour " réserve ses droits ".
19. En quatrième lieu, M. B... demande une indemnisation de 20 000 euros au titre de son préjudice d'agrément, en faisant valoir qu'antérieurement à son accident, d'une part, il pratiquait de nombreuses activités de loisir, de façon individuelle, libre et non réglementée, telles que la marche et la randonnée, la bicyclette, la plongée et les activités aquatiques, le bricolage et le jardinage, et d'autre part, il voyageait énormément à travers le monde.
20. Il résulte en effet de l'instruction et du rapport d'expertise du 20 août 2019 que M. B... ne peut plus avoir d'activités sportives en charge et nécessitant une bonne activité des membres inférieurs. Toutefois, le requérant ne justifie pas qu'il pratiquait de telles activités sportives, ni au demeurant une activité spécifique sportive ou de loisirs régulière. S'il évoque une activité de plongée en produisant son passeport de plongée, celui-ci est daté de 1985, et ne permet pas d'établir que M. B... avait, dans les mois ou les années qui ont précédé son accident, une pratique régulière de ce sport. Dans ces conditions, faute pour M. B... de justifier d'activités de loisir pratiquées, avant son accident, avec une intensité telle qu'elle justifierait une indemnisation distincte de celle déjà accordée au titre du déficit fonctionnel permanent, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré qu'il n'était pas fondé à demander une indemnisation au titre d'un préjudice d'agrément.
21. En dernier lieu, M. B... conteste, compte tenu des séquelles que lui a laissées son accident, l'insuffisance de la somme qui lui a été allouée au titre de son préjudice sexuel. Il résulte en effet du rapport d'expertise que M. B... présente des troubles vésico-sphinctériens et génito-sexuels très importants et invalidants, rendant, selon l'expert, le préjudice sexuel " total pour la libido et l'érection ". Dans ces conditions, il sera fait une juste évaluation de ce préjudice en portant l'indemnisation de 2 000 à 10 000 euros.
22. Enfin, le jugement n'est pas contesté en tant qu'il a alloué à M. B... les sommes de 3 000 euros au titre des frais d'assistance lors des expertises, 15 325,65 euros pour l'assistance temporaire d'une tierce personne jusqu'à la consolidation, 1 037,49 euros pour les frais de transport restés à charge avant consolidation, 16 200 euros au titre du déficit temporaire partiel, et 19 000 euros au titre des souffrances endurées.
23. Il résulte de tout ce qui précède que la somme que l'Etat et la commune ont été solidairement condamnés à verser à M. B... doit être portée à 606 385,79 euros, dont il y aura lieu de déduire d'une part la provision accordée en référé pour 116 000 euros, et d'autre part les sommes que M. B... percevra définitivement de son assureur au titre des garanties relatives aux pertes de revenus et à l'invalidité.
Sur les conclusions de la CAMIEG tendant à l'actualisation de l'indemnité forfaitaire de gestion :
24. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 21 décembre 2015 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale : " Les montants maximum et minimum de l'indemnité forfaitaire de gestion visés aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 1 047 euros et à 104 euros à compter du 1er janvier 2016 ".
25. Le jugement attaqué du 22 février 2021 a accordé à la CAMIEG, au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, la somme de 1 091 euros correspondant au plafond fixé par l'arrêté du 27 décembre 2019. La caisse se borne à demander que cette indemnité soit revalorisée pour tenir compte de l'arrêté du 14 décembre 2021 fixant à 1 114 euros le montant maximal pour l'année 2022. Toutefois, elle n'obtient ni ne demande de majoration en appel des sommes allouées, et ne peut donc prétendre à une telle majoration de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur les intérêts et la capitalisation :
26. M. B... est recevable à demander pour la première fois en appel que les sommes que le tribunal a condamné l'Etat et la commune de Mamoudzou à lui verser soient majorées des intérêts à compter de la réception le 9 juin 2018 de sa demande préalable du 4 juin 2018.Toutefois les intérêts ne courront pas sur la somme de 116 000 euros à compter de la date du versement de la provision. La capitalisation a été demandée pour la première fois dans la requête d'appel du 20 avril 2021. A cette date, il était dû plus d'une année d'intérêts. Par suite, la capitalisation doit être ordonnée au 20 avril 2021 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les frais liés au litige :
27. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la commune de Mamoudzou une somme de 2 000 euros à verser à M. B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la CAMIEG et par la MAIF sur ce même fondement.
DECIDE :
Article 1er : : L'Etat et la commune de Mamoudzou sont condamnés solidairement à verser à M. B... la somme de 317 052 euros au titre de sa perte de gains professionnels, dont sera déduite la somme que l'intéressé percevra définitivement de son assureur dans le cadre de la garantie contractuelle qu'il avait souscrite.
Article 2 : L'Etat et la commune de Mamoudzou sont condamnés solidairement à verser à M. B... la somme de 65 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent dont il est atteint, dont sera déduite la somme que M. B... percevra de son assureur au titre de la garantie contractuelle invalidité.
Article 3 : L'Etat et la commune de Mamoudzou sont condamnés solidairement à verser à M. B..., pour l'ensemble des autres préjudices, la somme de 224 333,79 euros. Il en sera déduit la somme de 116 000 euros, accordée à titre de provision par la cour administrative d'appel de Bordeaux par ordonnance du juge des référés du 7 juin 2019.
Article 4 : Les sommes que l'Etat et la commune ont été condamnés à verser selon les articles précédents porteront intérêts à la date du 9 juin 2018. Les intérêts sur la somme de
116 000 euros cesseront de courir à compter du versement de la provision. Les intérêts échus à la date du 20 avril 2021 seront capitalisés à cette date et à chacune des échéances annuelles ultérieures.
Article 5 : Le jugement n° 1801362 du 22 février 2021 du tribunal administratif de Mayotte, rectifié pour erreur matérielle par ordonnance du 11 mars 2021, est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : L'Etat et la commune de Mamoudzou sont condamnés solidairement à verser à M. B... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... B..., à la commune de Mamoudzou, à la ministre de la transition énergétique, à la caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières et à la mutuelle d'assurance des instituteurs de France, à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine, et à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 juin 2023.
La rapporteure,
Florence Rey-Gabriac
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne et à la ministre de la transition énergétique en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
21BX01653 2