Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 30 mars 2022 par lequel la préfète de la Creuse a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de 30 jours, lui a fait obligation de se présenter au commissariat deux fois par semaine et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n°2201038 du 20 octobre 2022, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 janvier 2023, Mme A..., représentée par Me Pion, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 octobre 2022 du tribunal administratif de Limoges ;
2°) de solliciter le Conseil d'État sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative pour avis sur l'application des dispositions de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de sursoir à statuer dans l'attente de son avis ;
3°) de sursoir à statuer en cas d'examen du pourvoi qu'elle a formé sur l'arrêt rendu par la Cour administrative d'appel de Bordeaux le 9 juin 2022 ;
4°) d'annuler l'arrêté du 30 mars 2022 de la préfète de la Creuse ;
5°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- en raison des divergences dans l'appréciation de sa situation et des divergences existant entre les cours, la question des modalités de prise en compte de l'existence d'un classement sans suite de la plainte du conjoint victime dans le cadre de la mise en œuvre de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pose une question de droit sérieuse qui justifie la saisine du Conseil d'Etat dans le cadre de l'article L. 113-1 du code de justice administrative ; le jugement du tribunal devra être reformé sur ce point ;
- cet arrêté est entaché d'un détournement de pouvoir en ce que la préfète a méconnu l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal administratif de Limoges du 9 décembre 2021 ; au vu des motifs de ce jugement qui a retenu qu'elle établissait remplir les conditions de l'article L. 423-5, elle n'avait pas à justifier de sa situation ni de ce qu'elle remplissait ces conditions ; en outre la préfète avait connaissance du classement sans suite de sa plainte qu'elle évoque dans son mémoire du 8 novembre 2021 devant le tribunal, il ne s'agit donc pas d'un élément nouveau ;
- cet arrêté est entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation au regard de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le classement sans suite ne permet pas à lui seul de justifier le refus de délivrance d'un titre de séjour dès lors que les violences sont établies par les autres pièces du dossier ;
- cette décision a été prise en méconnaissance de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au vu de sa situation, de ses efforts d'intégration et de ses attaches en France ;
- les décisions portant obligation de se présenter au commissariat et fixant le pays de destination seront annulées par voie de conséquence.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 avril 2023, la préfète de la Creuse conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas a été entendu au cours de l'audience publique.
Une note en délibéré présentée par la préfète de la Creuse a été enregistrée le 22 mai 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... épouse B..., ressortissante congolaise née en 1981, est entrée en France le 5 décembre 2018 munie d'un visa C Schengen de court séjour et a fait la connaissance de M. B..., ressortissant français né en 1936, avec lequel elle s'est mariée le 28 janvier 2020. Elle a déposé, le 9 octobre 2021, une demande de titre de séjour " vie privée et familiale " en qualité de conjoint de français. La préfète de la Creuse a pris à son encontre un arrêté du 22 juillet 2021 portant refus de séjour, assortie d'une obligation de quitter le territoire français, lui faisant obligation de se présenter au commissariat deux fois par semaine et fixant le pays de destination. Saisi par Mme A..., le tribunal administratif de Limoges a annulé cet arrêté et a enjoint à la préfète de lui délivrer un titre de séjour par un jugement du 9 décembre 2021. Par un arrêté du 30 mars 2022, la préfète de la Creuse a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours, lui a fait obligation de se présenter au commissariat deux fois par semaine et a fixé le pays de destination. Mme A... fait appel du jugement du 20 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La rupture de la vie commune n'est pas opposable lorsqu'elle est imputable à des violences familiales ou conjugales (..). En cas de rupture de la vie commune imputable à des violences familiales ou conjugales subies après l'arrivée en France du conjoint étranger, mais avant la première délivrance de la carte de séjour temporaire, le conjoint étranger se voit délivrer la carte de séjour prévue à l'article L. 423-1 sous réserve que les autres conditions de cet article soient remplies. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que la décision en litige est intervenue pour l'exécution du jugement du 9 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Limoges a annulé l'arrêté de refus de titre de séjour de la préfète de la Creuse en date du 22 juillet 2021 et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour vie privée et familiale d'une durée d'un an. Pour annuler cet arrêté, le jugement s'est fondé sur le fait que les éléments produits par Mme A..., notamment la plainte pour violences conjugales déposée le 15 janvier 2021 et les attestations de professionnels de santé et d'accompagnants sociaux permettaient d'établir qu'elle entrait dans la catégorie des personnes victimes de violences conjugales auxquelles la rupture de la vie commune avec leur conjoint français ne leur est pas imputable et qui sont en droit de bénéficier d'un renouvellement de leur titre de séjour et a retenu que cet arrêté avait été pris en méconnaissance de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Pour refuser de délivrer un titre de séjour en exécution de cette injonction, la préfète de la Creuse s'est fondée sur le fait que l'ordonnance d'orientation et sur mesures provisoires rendue par le tribunal de Guéret le 2 décembre 2021 démontrait que la procédure de divorce entre Mme A... et son époux a été initiée par ce dernier, et sur l'avis de classement sans suite du 16 août 2021 de la plainte déposée par l'intéressée contre son époux pour absence " de preuves suffisantes ", qui avait été communiqué à l'administration le 29 décembre 2021 par l'époux de Mme A... qui en avait lui-même reçu notification le 20 décembre précédent. Toutefois, alors qu'il ressort des pièces du dossier que la préfète s'était prévalu en défense dans son mémoire enregistré le 8 novembre 2021 de l'intervention de cet avis de classement sans suite, ces éléments ne peuvent être considéré comme des changements de circonstances de fait de nature à justifier la méconnaissance de l'obligation qui s'imposait alors à elle de respecter la chose jugée par le jugement du 9 décembre 2021, alors même que ce jugement était frappé d'appel à la date à laquelle a été pris l'arrêté du 30 mars 2022, et qu'il a été annulé ultérieurement par la cour administrative d'appel. Au demeurant, il était loisible à la préfète, qui contestait dans le cadre de cet appel l'appréciation portée par le tribunal, de préciser dans sa décision que cette délivrance n'était motivée que par le souci de se conformer au jugement d'annulation.
5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, ni qu'il y ait lieu de saisir le conseil d'Etat d'une demande d'avis sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative ou de surseoir à statuer dans l'attente des résultats du pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 9 juin 2022 annulant le jugement du 9 décembre 2021, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros au bénéfice de Me Pion au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges n° 2201038 du 20 octobre 2022 et l'arrêté du 30 mars 2022 de la préfète de la Creuse sont annulés.
Article 2 : L'État versera à Me Pion une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Pion.
Copie en sera adressée à la préfète de la Creuse.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente
Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 juin 2023.
La rapporteure,
Christelle Brouard-LucasL'assesseure la plus ancienne,
Birsen Sarac-Deleigne
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 23BX00056 2