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01/06/2023 | FRANCE | N°22BX02910

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 01 juin 2023, 22BX02910


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 29 avril 2022 par lequel la préfète de la Gironde a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, lui a fait interdiction de retour pour une durée de deux ans et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre à la préfète de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", ou à défaut de réexaminer sa demande da

ns un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 29 avril 2022 par lequel la préfète de la Gironde a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, lui a fait interdiction de retour pour une durée de deux ans et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre à la préfète de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", ou à défaut de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.

Par un jugement n° 2202750 du 25 octobre 2022, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 novembre 2022, M. B..., représenté par Me Cesso, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Gironde du 29 avril 2022 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", ou à défaut de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :

- dès lors que la préfecture ne contestait pas sérieusement sa présence en France à partir de 2012, la commission du titre de séjour devait être saisie ;

- il avait une communauté de vie avec Mme C... avant de la rejoindre à Bordeaux en 2020, ils ont ensemble trois enfants nés les 26 août 2018, 26 mai 2020 et 19 octobre 2021, et les deux aînés sont scolarisés ; sa contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants est établie à la date de la décision puisqu'ils vivaient ensemble, et auparavant il se rendait régulièrement à Bordeaux et versait des espèces à sa compagne ; par un jugement du 21 juillet 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé le refus de titre de séjour opposé à cette dernière au motif qu'elle ne pouvait pas être soignée dans son pays d'origine, et un titre de séjour d'un an lui a été délivré le 8 août 2022 ; il produit de nouvelles attestations établissant sa communauté de vie avec Mme C..., et la circonstance qu'il a dans son pays d'origine des enfants dont il n'a plus de nouvelles depuis son départ est sans incidence sur le fait que sa vie familiale est désormais établie en France ; il a noué de nombreux liens d'amitié et il a une sœur titulaire d'une carte de résident ; la détention de faux documents alléguée par la préfecture n'est pas établie ; sa compagne est atteinte de graves troubles psychiatriques et ne pourrait être prise en charge au Nigéria, ce qui constitue, avec la durée de sa présence en France, des motifs humanitaires ; ainsi, la décision méconnaît les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

En ce qui concerne l'interdiction de retour :

- eu égard à sa présence en France depuis plus de dix ans, à sa situation familiale et au fait qu'il ne représente aucune menace pour l'ordre public, la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- dès lors que l'autorité administrative et les juridictions n'ont jamais expliqué en quoi les documents produits seraient douteux, les risques dont il se prévaut doivent être regardés comme établis.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 février 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le titre de séjour de Mme C... n'est valable que pour un an, du 11 août 2022 au 10 août 2023, et son renouvellement sera soumis à un nouvel avis du conseil des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ; au demeurant, il a été délivré postérieurement à l'arrêté du 29 avril 2022 ;

- pour le surplus, il s'en rapporte à ses écritures de première instance, qu'il produit.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., de nationalité nigériane, a déclaré être entré en France

le 20 novembre 2010. Il a fait l'objet d'un premier refus de titre de séjour assorti

d'une obligation de quitter le territoire français par un arrêté du préfet de police de Paris

du 29 octobre 2014. Le 24 novembre 2017, il a sollicité son admission exceptionnelle au séjour auprès de la sous-préfecture du Raincy, et par un arrêté du 20 novembre 2018, le préfet

de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de deux ans. Par un jugement du 3 mars 2020, le tribunal administratif de Montreuil, saisi par M B... d'une demande d'annulation de cet arrêté, a seulement annulé l'interdiction de retour pour erreur d'appréciation, eu égard aux attaches familiales de l'intéressé. Le 7 août 2020, M. B...

a déposé auprès des services de la préfecture de la Gironde une demande d'admission exceptionnelle au séjour, complétée le 21 septembre suivant, en se prévalant d'une présence

en France depuis plus de dix ans et de la situation régulière de sa compagne, mère de ses enfants. Par un arrêté du 29 avril 2022, la préfète de la Gironde a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, lui a interdit le retour pour une durée de deux ans et a fixé le pays de renvoi. M. B... relève appel du jugement du 25 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / (...). " Pour l'application des stipulations et dispositions précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... réside depuis le 4 octobre 2020

à Bordeaux avec Mme C..., de même nationalité, mère de ses trois enfants nés

les 26 août 2018, 26 mai 2020 et 19 octobre 2021, laquelle atteste qu'il est son compagnon depuis 2016. La circonstance que la vie commune du couple était d'une durée de moins

de dix-huit mois à la date de l'arrêté contesté n'est pas de nature à mettre en cause la réalité de la vie familiale à cette date. Mme C..., entrée en France le 26 juin 2013, y a séjourné régulièrement à partir du 28 janvier 2016 sous couvert de titres de séjour délivrés en raison de son état de santé, jusqu'à un refus de renouvellement par un arrêté de la préfète de la Gironde

du 26 janvier 2022, assorti d'une obligation de quitter le territoire français. Toutefois,

M. B... s'est prévalu devant les premiers juges d'un droit au séjour de sa compagne en produisant des certificats médicaux justifiant de l'impossibilité pour elle de bénéficier d'un traitement approprié au Nigeria, et par un jugement du 21 juillet 2022 dont il n'a pas été relevé appel, le tribunal a annulé l'arrêté du 26 janvier 2022 et a enjoint à la préfète de la Gironde de délivrer un titre de séjour à Mme C.... Si le préfet de la Gironde, qui se réfère en appel aux écritures présentées en première instance, fait valoir que M. B... serait défavorablement connu des services de police pour des faits de détention de faux document administratif commis le 13 janvier 2022, ces allégations imprécises ne permettent pas de caractériser l'existence d'une menace à l'ordre public. Dans ces circonstances, eu égard à l'état de santé de sa compagne, ainsi qu'au jeune âge de leurs trois enfants, et alors même qu'il a laissé au Nigeria deux enfants

nés en 2005 et 2007, M. B... est fondé à soutenir que le refus de titre de séjour

du 29 avril 2021 porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et aux dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

4. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision de refus de titre de séjour du 29 avril 2022 et, par voie de conséquence, des décisions du même jour portant obligation de quitter le territoire français, interdiction de retour et fixation du pays de renvoi, prises sur son fondement.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. " L'annulation prononcée au point précédent implique nécessairement, sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait, qu'il soit fait droit à la demande de titre de séjour rejetée par l'arrêté du 29 avril 2022. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté de la préfète de la Gironde du 29 avril 2022 et le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2202750 du 25 octobre 2022 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., au ministre de l'intérieur

et au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 9 mai 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juin 2023.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX02910


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02910
Date de la décision : 01/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : CESSO

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-06-01;22bx02910 ?
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