Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner le centre hospitalier de Lourdes à lui verser une indemnité de 195 636,14 euros, avec intérêts et capitalisation, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait d'une prise en charge fautive dans cet établissement en décembre 2004.
Dans la même instance, la mutuelle sociale agricole (MSA) Sud-Aquitaine a demandé la condamnation du centre hospitalier à lui verser la somme de 80 142,90 euros.
Par un jugement n° 1802427 du 31 mars 2021, le tribunal a condamné le centre hospitalier de Lourdes à verser la somme de 2 050 euros à M. D..., et a rejeté le surplus des demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 31 mai 2021, M. D..., représenté par Me Poignant, demande à la cour :
1°) de surseoir à statuer dans l'attente du jugement à intervenir du tribunal judiciaire
de Bayonne ;
2°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Pau du 31 mars 2021 en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande ;
3°) " d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande " et de condamner le centre hospitalier de Lourdes lui verser une indemnité de 195 636,14 euros, avec intérêts à compter
du 29 juin 2018 et capitalisation à compter du 29 juin 2019, " sous réserve de la créance
de la MSA " ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Lourdes une somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a implicitement écarté sa demande de sursis à statuer sans même y répondre, alors que dans leurs écritures devant le tribunal judiciaire de Bayonne, la clinique Belharra venant aux droits de la clinique Lafourcade et le docteur C... avaient fait valoir que l'infection nosocomiale serait totalement imputable au centre hospitalier de Lourdes et sollicité une expertise judiciaire afin de redéfinir les responsabilités ; le jugement du tribunal administratif ne peut qu'être critiqué dès lors qu'il existe un risque qu'une nouvelle expertise ordonnée par le tribunal judiciaire nécessite la présence du centre hospitalier de Lourdes, ainsi qu'un risque, préjudiciable à la victime, d'absence totale d'indemnisation par les deux ordres de juridiction ;
- si la cour ne devait pas faire droit à sa demande de sursis à statuer, elle ne pourra qu'annuler le jugement du tribunal administratif et retenir qu'une faute du centre hospitalier de Lourdes était à l'origine des infections nosocomiales survenues à la clinique ;
- selon les experts, les deux infections sont liées aux soins du syndrome des loges ; si les experts ont conclu que les infections nosocomiales étaient entièrement imputables à la clinique, ils ont constaté que la réduction de la fracture à l'hôpital, non conforme aux bonnes pratiques, avait nécessité une réintervention à la clinique, et que l'aponévrotomie avait été réalisée avec retard au centre hospitalier ; la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) a estimé que l'infection nosocomiale avait été favorisée par la prise en charge fautive au centre hospitalier de Lourdes et par les choix thérapeutiques du docteur C... à la clinique ; c'est à tort que le tribunal n'a pas suivi l'avis de la CCI selon lequel le centre hospitalier de Lourdes était responsable du tiers des conséquences des infections, lesquelles ne seraient pas survenues en l'absence de la faute de l'hôpital ayant nécessité une autre intervention au cours de laquelle l'infection a été contractée ;
- il a exposé 1 418 euros d'honoraires du médecin conseil qui l'a assisté lors de l'expertise et 3 616,53 euros de frais de transport pour 26 consultations au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux ; ses dépenses de santé futures, constituées de frais d'orthèse, s'élèvent à 6 289,50 euros ; ses pertes de gains professionnels se sont élevées à 17 233,65 euros du 13 avril 2005 au 1er juillet 2008 et doivent être évaluées à 236 833,90 euros à compter
du 2 juillet 2008 ; le préjudice d'incidence professionnelle, correspondant à une perte de droits à la retraite et à l'impossibilité de reprendre l'activité professionnelle antérieure dans le milieu équestre, doit être fixé à 146 207,14 euros ; l'assistance par une tierce personne d'une heure par jour durant 827 jours retenue par l'expertise doit être évaluée à 14 886 euros sur la base de 18 euros par heure ; le surcoût d'adaptation du véhicule à titre viager s'élève à 12 011,20 euros ; l'évaluation de ses préjudices extra-patrimoniaux doit être fixée à 17 318,75 euros au titre des périodes de déficit fonctionnel temporaire retenues par les experts, à 34 500 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 15 %, à 25 000 euros au titre des souffrances endurées
de 4,5 sur 7, à 10 000 euros au titre du préjudice esthétique de 3 sur 7, à 20 000 euros au titre du préjudice sexuel et à 25 000 euros au titre du préjudice d'agrément ; eu égard à sa part de responsabilité d'un tiers, le centre hospitalier de Lourdes doit être condamné à lui verser la somme de 195 636,14 euros ;
- à titre subsidiaire, la faute du centre hospitalier de Lourdes lui a fait perdre une chance d'éviter le dommage qu'il a subi ; cette perte de chance doit être fixée à un tiers, et le centre hospitalier doit être condamné à lui verser la somme de 195 636,14 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 juillet 2021, le centre hospitalier
de Lourdes, représenté par la SELARL interbarreaux Racine, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- il appartient à la clinique d'indemniser les préjudices résultant de l'infection nosocomiale ; le fait du tiers éventuellement constitué par les manquements commis antérieurement, et ayant pu favoriser l'infection, ne constitue pas un cas de cause étrangère exonératoire de la responsabilité de la clinique dans ses rapports avec le patient ; la circonstance que la responsabilité de la clinique est susceptible d'être écartée par le tribunal judiciaire est sans incidence sur la responsabilité du centre hospitalier de Lourdes, recherchée pour un autre motif ; chaque juridiction étant en mesure d'apprécier si les responsabilités recherchées
par M. D... sont établies et d'évaluer les préjudices en résultant, la demande de sursis à statuer n'est pas justifiée ;
- les experts reprochent à l'hôpital un défaut de réduction de la fracture à l'origine d'une reprise chirurgicale pour prévenir le risque de déviation rotatoire, et un retard de prise en charge du syndrome des loges, lequel n'a pas entraîné de lésions musculaires ou neurologiques ; c'est le syndrome des loges lui-même, et non son retard de prise en charge, ainsi que la reprise chirurgicale trop précoce réalisée par le docteur C..., qui ont favorisé l'infection, et non la faute reprochée au chirurgien de l'hôpital ; les experts ont exclu tout lien entre les manquements retenus à l'encontre du centre hospitalier et les infections ;
- les manquements du centre hospitalier n'ont pas davantage été à l'origine d'une perte de chance d'éviter les infections survenues lors de la prise en charge de M. D... à la clinique Lafourcade ;
- la somme de 550 euros allouée par le tribunal au titre du déficit fonctionnel temporaire total lors de l'hospitalisation à la clinique Lafourcade du 16 décembre 2004 au 7 janvier 2005, nécessitée par le cal vicieux secondaire à l'intervention réalisée au centre hospitalier, doit être confirmée, ainsi que celle de 1 500 euros au titre des souffrances endurées du fait de la réintervention du 20 décembre 2004 ;
- le cal vicieux en varus de rotation externe inclus dans le déficit fonctionnel permanent n'est pas rattachable à l'intervention réalisée au centre hospitalier de Lourdes, dès lors que tout le matériel posé lors de cette intervention a été retiré le 20 décembre 2004 par le docteur C... ; ce cal ne peut être lié qu'aux multiples poses et déposes de matériel d'ostéosynthèse rendues nécessaires par l'infection, outre la pseudarthrose ; c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande présentée à ce titre ;
- les autres demandes correspondent à des préjudices en lien avec les complications infectieuses qui ne sont pas imputables à l'hôpital, et ne peuvent qu'être rejetées, alors au demeurant qu'elles ne sont pas toutes justifiées par des pièces et calculs précis ;
- si la cour devait retenir un lien entre les manquements reprochés au centre hospitalier et les infections nosocomiales, elle devrait constater que la requête de M. D... est mal dirigée dès lors qu'il appartient à la clinique de prendre en charge l'intégralité de l'indemnisation résultant des infections, à charge pour elle d'exercer une éventuelle action subrogatoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bost, représentant le centre hospitalier de Lourdes.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., victime d'un accident de ski, a été admis le 12 décembre 2004 au centre hospitalier de Lourdes, où une fracture comminutive bifocale du tibia péroné gauche a été diagnostiquée et traitée le même jour par un enclouage du tibia à foyer fermé avec mise en place d'un clou d'alignement. L'apparition d'un syndrome des loges a nécessité une aponévrotomie de libération réalisée le 15 décembre, et le patient a été transféré à sa demande le 16 décembre
à la clinique Lafourcade de Bayonne. Dans ce dernier établissement, il a subi de nouvelles interventions le 20 décembre pour remplacer le clou d'alignement par un clou verrouillé de haut en bas afin de corriger un excès de rotation externe du pied risquant d'occasionner
une consolidation vicieuse, le 23 décembre pour un pansement sous anesthésie générale,
le 28 décembre pour une suture cutanée, et le 25 janvier 2005 pour l'ablation de deux cerclages métalliques, une ostéosynthèse et un parage cutané. Les prélèvements réalisés lors de cette dernière intervention ayant révélé la présence d'un enterobacter cloacae, une antibiothérapie a été mise en place avec succès, mais un staphylococcus aureus meti S a été retrouvé
sur un prélèvement du 6 juin 2005. L'infection ayant résisté aux traitements, le patient s'est adressé au service d'infectiologie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux
le 12 septembre 2005. Il a été décidé, dans un premier temps, de déposer seulement la vis de verrouillage inférieure, ce qui a été fait le 26 septembre 2005 à la clinique Lafourcade, puis, en raison d'une évolution cutanée infectieuse défavorable, le clou centro-médullaire a été retiré dans le même établissement le 25 novembre 2005. La cicatrisation cutanée a été acquise
en février 2006, mais une pseudarthrose a persisté. Une nouvelle ostéosynthèse par enclouage centro-médullaire du tibia a été réalisée le 2 octobre 2006 au CHU de Bordeaux, où l'ablation du clou a été effectuée le 12 février 2007 en raison d'une ostéite persistante malgré l'antibiothérapie. Si l'évolution a alors été lentement favorable, M. D... a conservé comme séquelles des douleurs à la jambe gauche, un périmètre de marche réduit et une boiterie.
2. La commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de la région Midi-Pyrénées, saisie par M. D... d'une demande mettant en cause le docteur C..., chirurgien de la clinique Lafourcade, cette clinique et le centre hospitalier de Lourdes, a organisé une expertise dont le rapport, remis le 27 août 2015, a conclu qu'au centre hospitalier de Lourdes, la réduction de la fracture n'avait pas été conforme aux bonnes pratiques et le syndrome des loges avait été pris en charge avec retard, qu'à la clinique Lafourcade, le docteur C... avait exposé le patient à un risque de complications cutanées post-opératoires en intervenant précocement sur un terrain fragilisé par le syndrome des loges, et que l'infection nosocomiale, à l'origine d'une pseudarthrose infectée ayant nécessité de multiples interventions, avait été acquise à la
clinique. Le 7 octobre 2015, la CCI a émis un avis selon lequel la réparation des préjudices
de M. D... incombait aux assureurs du centre hospitalier, du docteur C... et de la clinique Lafourcade à hauteur d'un tiers chacun, au titre de l'infection nosocomiale. Après avoir présenté au centre hospitalier de Lourdes une réclamation préalable restée sans réponse,
M. D... a saisi le tribunal administratif de Pau d'une demande de condamnation de cet établissement à lui verser une indemnité de 195 636,14 euros avec intérêts et capitalisation, et de surseoir à statuer dans l'attente du jugement à intervenir du tribunal judiciaire de Bayonne, devant lequel il avait assigné le docteur C... et la clinique Belharra ayant succédé à la clinique Lafourcade. M. D... relève appel du jugement du 31 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Pau a limité à 2 050 euros l'indemnité allouée, avec intérêts à compter du 30 juin 2018 et capitalisation à compter du 1er juillet 2019, en ce qu'il a rejeté le surplus de sa demande.
Sur la régularité du jugement :
3. Le juge apprécie librement s'il y a lieu de surseoir à statuer en attendant l'issue d'une autre instance. A supposer que M. D... entende invoquer une insuffisance de motivation du jugement en faisant valoir que les premiers juges ont rejeté implicitement sa demande de sursis à statuer dans l'attente du jugement du tribunal judiciaire de Bayonne, ils n'avaient pas à y répondre expressément. Quand bien même le sursis à statuer sollicité aurait été opportun au regard d'une bonne administration de la justice, le fait de ne pas l'accorder ne saurait affecter la régularité du jugement.
Sur la demande de sursis à statuer :
4. En réponse à une mesure d'instruction, M. D... a produit devant la cour le jugement du 25 juillet 2022 par lequel le tribunal judiciaire de Bayonne a condamné solidairement la clinique Belharra venant aux droits de la clinique Lafourcade et
le docteur C... à lui verser une indemnité d'un montant total de 390 481,93 euros. Par suite, sa demande de sursis à statuer dans l'attente de ce jugement est devenue sans objet.
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Lourdes :
5. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. / (...). " Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.
6. Les fautes du centre hospitalier de Lourdes retenues par les experts sont un défaut dans la réduction de la fracture, fixée en rotation externe au niveau du foyer de fracture alors qu'un clou centro-médullaire verrouillé aurait évité cette déviation rotatoire, et un retard de prise en charge du syndrome des loges, lequel ne semble cependant pas avoir engendré de lésions musculaires ou neurologiques irréversibles, car de telles lésions auraient été constatées à la clinique lors des interventions ultérieures. Les experts ont relevé que M. D... ne présentait aucun signe infectieux avant son admission à la clinique Lafourcade le 16 décembre 2004, et ont conclu que les infections nosocomiales, à l'origine d'une évolution anormale avec l'apparition d'une pseudarthrose infectée ayant nécessité de multiples interventions, avaient été acquises
à la clinique. Le déficit fonctionnel permanent imputable aux séquelles des infections a été évalué à 15 %.
7. M. D... fait valoir que la réduction de la fracture non conforme aux règles de l'art a nécessité la réintervention à la clinique, dont la précocité a favorisé la survenue de l'infection, et que les experts ont estimé que les épisodes infectieux étaient liés aux soins nécessités par le syndrome des loges, ce qui a conduit la CCI à estimer que la réparation d'un tiers des préjudices en lien avec l'infection nosocomiale incombait à l'assureur de l'hôpital. Toutefois, alors que les dispositions citées au point 5 prévoient la réparation de l'entier préjudice de la victime par l'établissement responsable de l'infection nosocomiale, M. D... ne peut prétendre à une seconde réparation du même préjudice par le centre hospitalier de Lourdes sur le fondement de la perte de chance d'échapper à l'infection.
Sur le droit à indemnisation de M. D... :
8. M. D... ne conteste pas les sommes de 550 euros et 1 550 euros qui lui ont été allouées par le tribunal en réparation, respectivement, du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées en lien avec les fautes commises par le centre hospitalier de Lourdes. Dès lors que sa demande devant la cour se rapporte aux préjudices en lien avec les infections nosocomiales, elle ne peut qu'être rejetée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. D... doit être rejetée, y compris les conclusions tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge du centre hospitalier de Lourdes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., au centre hospitalier de Lourdes et à la mutuelle sociale agricole Sud-Aquitaine.
Délibéré après l'audience du 9 mai 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juin 2023.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
3
N° 21BX02263