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26/04/2023 | FRANCE | N°22BX02314

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 26 avril 2023, 22BX02314


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler d'une part, l'arrêté du 9 juin 2022 par lequel le préfet de la Martinique lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et, d'autre part, la décision du même jour par laquelle le préfet a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2200380 du 27 juillet 2022, la magistrate désignée par l

e président du tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler d'une part, l'arrêté du 9 juin 2022 par lequel le préfet de la Martinique lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et, d'autre part, la décision du même jour par laquelle le préfet a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2200380 du 27 juillet 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 août 2022, M. B..., représenté par Me Corin demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 27 juillet 2022 ;

2°) d'annuler les décisions du préfet de la Martinique du 9 juin 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Martinique de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours suivant la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 10 euros par jour de retard, ou à défaut, d'enjoindre au préfet de la Martinique de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

En ce qui concerne le jugement attaqué :

- le premier juge a omis de statuer sur le moyen tiré du défaut de motivation de la décision fixant le pays de renvoi ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est entachée d'un défaut de motivation ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle et familiale ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :

- elle est entachée d'un défaut de motivation ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 612-8 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- la décision fixant le pays de renvoi est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation ;

- elle méconnait les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

La requête a été communiquée au préfet de la Martinique, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. D... C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant haïtien né le 21 novembre 1990 est entré sur le territoire français en mai 2019 selon ses déclarations. Il a déposé une demande d'asile, rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides le 10 mars 2021. Le recours formé par M. B... auprès de la Cour nationale du droit d'asile a été rejeté pour irrecevabilité par décision du 8 juin 2021. Par deux arrêtés du 9 juin 2022, le préfet de la Martinique lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux ans et a fixé le pays de renvoi. M. B... relève appel du jugement du 27 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions du 9 juin 2022.

Sur la régularité du jugement :

2. Contrairement à ce que soutient le requérant, le tribunal administratif a, par le point 14 de son jugement, examiné le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision fixant le pays de renvoi. Par suite, le jugement attaqué n'est pas entaché de l'irrégularité alléguée.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. (...) ". L'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". L'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

4. En l'espèce, la décision attaquée, qui n'avait pas à indiquer de manière exhaustive l'ensemble des éléments relatifs à la situation de l'intéressé, mentionne tant les motifs de droit que les éléments de fait caractérisant la situation du requérant, sur lesquels le préfet de la Martinique s'est fondé pour l'obliger à quitter le territoire français. La décision vise notamment le 4° de l'article L. 611-1, ainsi que les articles L. 542-1 à L. 542-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle précise par ailleurs les conditions d'entrée et de séjour en France de M. B..., la circonstance que l'OFPRA a rejeté sa demande d'asile et que ce rejet a été confirmé par ordonnance de la Cour nationale du droit d'asile, et examine les principaux éléments objectifs et concrets caractérisant la vie privée et familiale de l'intéressé avant d'en déduire que celle-ci ne lui confère aucun droit au séjour et qu'aucune circonstance ne s'oppose à ce qu'il fasse l'objet d'une mesure d'éloignement. Ces circonstances de droit et de fait sont suffisamment développées pour avoir mis utilement le requérant en mesure de comprendre et de discuter les motifs de cette décision, qui est ainsi suffisamment motivée pour l'application des dispositions de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de celles des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision contestée doit être écarté.

5. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Martinique, qui a bien pris en compte la circonstance que l'appelant vivait en concubinage avec une ressortissante française, ait entaché sa décision d'un défaut d'examen individuel de sa situation.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

7. M. B... soutient que le centre de ses intérêts personnels se trouve désormais sur le territoire national où il réside depuis plus de trois ans aux côtés de sa compagne avec laquelle il a conclu un pacte civil de solidarité le 19 août 2022. Il ajoute bénéficier d'une promesse d'embauche depuis le 7 juillet 2022. Toutefois, et d'une part, ces circonstances sont postérieures à la décision attaquée. D'autre part, M. B... n'a été autorisé à séjourner en France que le temps de l'examen de sa demande d'asile, qui a été rejetée par l'OFPRA et la CNDA, et la déclaration de concubinage, également postérieure à la date de la décision contestée, ne fait état d'une vie commune qu'à compter du 30 décembre 2021. Enfin, la circonstance que l'intéressé bénéfice d'une promesse d'embauche ne suffit pas à démontrer son intégration durable dans la société française. Par suite, l'obligation de quitter le territoire français qui lui est faite ne porte pas, au regard des buts poursuivis, une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

8. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".

9. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au préfet, s'il entend assortir sa décision portant obligation de quitter le territoire dans un délai déterminé, d'une interdiction de retour sur le territoire, dont la durée ne peut dépasser deux ans, de prendre en considération les quatre critères énumérés par l'article précité que sont la durée de présence sur territoire de l'intéressé, la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France et les circonstances, le cas échéant, qu'il ait fait l'objet d'une ou plusieurs précédentes mesures d'éloignement et que sa présence constitue une menace pour l'ordre public.

10. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes mêmes de la décision litigieuse, que le préfet de la Martinique a fondé l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, prise au visa de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sur les motifs qu'il serait récemment entré sur le territoire et ne justifierait pas de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France. Dans ces conditions, la décision attaquée comporte les considérations de droit et de fait qui la fonde. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée doit être écarté.

11. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que la brève durée de présence en France de M. B..., entré au mois de mai 2019, ne s'est provisoirement justifiée que par l'instruction de sa demande d'asile. Par ailleurs, il résulte de ce qui précède, notamment ce qui a été dit au point 7 de l'arrêt, que M. B... ne justifie pas de liens suffisamment intenses, anciens et stables sur le territoire français. Par suite, et alors même que M. B... n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et ne représente pas une menace pour l'ordre public, le préfet de la Martinique, n'a pas commis d'erreur d'appréciation en édictant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de deux ans.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

12. En premier lieu, en l'absence d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi serait illégale par voie de conséquence.

13. En deuxième lieu, la décision attaquée, qui n'avait pas à reprendre l'ensemble des éléments déclarés par le requérant à l'appui de sa demande d'asile, vise les dispositions des articles L. 721-3 et L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et précise que M. B... n'établit pas être exposé à des traitements inhumains et dégradants, contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en cas de retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision contestée doit être écarté.

14. En troisième lieu, l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". L'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

15. Si M. B..., fait état, en termes généraux, de la dégradation de la situation sécuritaire en Haïti, il n'apporte aucun élément permettant de considérer qu'il serait personnellement exposé, en cas de retour dans son pays, à des risques portant atteinte aux droits protégés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions et stipulations précitées ainsi que de l'erreur manifeste d'appréciation ne peuvent qu'être écartés.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au prononcé d'une injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Martinique.

Délibéré après l'audience du 30 mars 2023 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Claude Pauziès, président,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 avril 2023.

L'assesseure,

Christelle Brouard-Lucas

Le président-rapporteur,

Jean-Claude C...La greffière,

Marion Azam-Marche

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX02314


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02314
Date de la décision : 26/04/2023
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Président : M. PAUZIÈS
Rapporteur ?: M. Jean-Claude PAUZIÈS
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : CORIN

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-04-26;22bx02314 ?
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