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26/04/2023 | FRANCE | N°20BX01383

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 26 avril 2023, 20BX01383


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 20 avril 2020, le 14 septembre 2021, le 14 octobre 2021 et le 12 novembre 2021, l'association limousine pour la défense du tourisme et de l'environnement et pour la sauvegarde des sites (ALTESS) du Haut-Limousin, l'association Défense nature environnement bois des Echelles et vallées de la Gartempe (ADNE), M. D... I..., M. H... C..., M. J... F... et M. B... G... représentés par Me Cadro, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 20 décembre 2019 par lequel le préfet de la Haute-Vienne

a délivré à la société Quadran une autorisation environnementale pour l'ex...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 20 avril 2020, le 14 septembre 2021, le 14 octobre 2021 et le 12 novembre 2021, l'association limousine pour la défense du tourisme et de l'environnement et pour la sauvegarde des sites (ALTESS) du Haut-Limousin, l'association Défense nature environnement bois des Echelles et vallées de la Gartempe (ADNE), M. D... I..., M. H... C..., M. J... F... et M. B... G... représentés par Me Cadro, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 20 décembre 2019 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a délivré à la société Quadran une autorisation environnementale pour l'exploitation d'une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent constituée de 4 aérogénérateurs sur le territoire de la commune de Laurière ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'étude d'impact est insuffisante en ce qui concerne le volet acoustique dès lors qu'une seule campagne de mesure du vent a été réalisée entre le 17 et 27 octobre 2017 ; par ailleurs, les points de mesure 1, 2 et 7 ne sont pas représentatifs, les tonalités marquées n'ont pas été analysées et l'impact cumulé avec les autres projets d'installations classées pour la protection de l'environnement n'a pas été analysé ;

- cette étude est insuffisante en ce qui concerne les incidences du raccordement au poste source ;

- le volet naturel de l'étude d'impact est insuffisant ; en effet, cette étude reprend en grande majorité les études réalisées en 2007 ; seules deux prospections ont été assurées, sur des journées qui n'étaient pas représentatives, pour la phase de migration prénuptiale de l'avifaune ; il en est de même pour la phase de migration postnuptiale ; en ce qui concerne les chiroptères, aucune prospection de gîtes d'hibernation n'a été effectuée en 2015 et seulement six soirées d'inventaires ont été réalisées ; ce volet ne contient aucune analyse des effets cumulés avec d'autres installations classées pour la protection de l'environnement ;

- de graves irrégularités ont entaché l'enquête publique ; la commission d'enquête a rencontré le porteur de projet avant la tenue de l'enquête publique ; sur le mois au cours duquel l'enquête publique s'est déroulée, la mairie de Laurière a été fermée au public pendant cinq jours ;

- le projet porte atteinte à la protection de la biodiversité ; le site d'implantation abrite des corridors pour la faune et les habitats naturels, le projet se situe au cœur d'un axe de migration notamment pour le milan royal, la grue cendrée, la linotte mélodieuse et la famille des busards ;

- le projet porte également atteinte aux chiroptères ; les éoliennes seront en effet implantées à moins de 100 mètres des haies et boisements ;

- il n'existe pas de dérogation aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1 du code de l'environnement ;

- le projet porte atteinte au paysage, au patrimoine bâti et au cadre de vie des riverains ; il se situe à proximité immédiate des Monts d'Ambazac, et 22 monuments inscrits sont compris dans l'aire d'étude rapprochée ; le site d'implantation se situe sur une ligne de crête et 16 hameaux sont localisés dans un rayon de 2 kilomètres.

Par des mémoires en défense enregistrés le 8 mars 2021, le 15 octobre 2021 et le 3 novembre 2021, la société Total Quadran, représentée par Me Gelas, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de chacun des requérants la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les associations requérantes et les requérants n'ont pas d'intérêt à agir ; leur requête est donc irrecevable ;

- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 septembre 2021, la ministre de la transition écologique a conclu au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- les riverains n'ont pas d'intérêt à agir ;

- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage ;

- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'arrêté du 19 février 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et de la ministre de l'écologie et du développement durable fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées ;

- l'arrêté du 23 avril 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et de la ministre de l'écologie et du développement durable, fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- l'arrêté du 29 octobre 2009 du ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, et du ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme K... E...,

- les conclusions de M. Romain Roussel Cera, rapporteur public,

- les observations de Me Cadro, représentant l'ALTESS du Haut-Limousin et autres, et les observations de Me Kerjean-Gauducheau, représentant la société Total Quadran.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 20 décembre 2019, le préfet de la Haute-Vienne a délivré à la société Quadran, devenue la société Total Quadran, une autorisation environnementale pour l'exploitation d'un parc de quatre aérogénérateurs sur le territoire de la commune de Laurière. L'association limousine pour la défense du tourisme et de l'environnement et pour la sauvegarde des sites (ALTESS) du Haut-Limousin et autres demandent l'annulation de cet arrêté.

Sur l'insuffisance de l'étude d'impact :

2. D'une part, l'article R. 122-5 du code de l'environnement définit le contenu de l'étude d'impact, qui doit être proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et à la nature des travaux, ouvrages et aménagements projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. D'autre part, les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

En ce qui concerne le volet acoustique :

3. L'étude acoustique jointe au dossier qui a été réalisée, notamment, selon les normes NF S 31-010 et NF S 31-110, définies par l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations éoliennes soumises à autorisation, et du projet de norme Pr A... 31-114, est basée sur les relevés effectués, entre le 17 et le 27 octobre 2017, à partir de sept points de mesure, répartis de façon homogène, à des distances variant entre 500 mètres et 850 mètres autour du parc éolien. Les données ont été recueillies au cours d'une période présentant des conditions météorologiques variées, qui a permis de déterminer les niveaux de bruit résiduels pour la direction prédominante du vent, centrée Sud-Ouest. La seule circonstance que cette étude relève une " végétation générale du site assez dense " au mois d'octobre ne permet pas de conclure qu'une campagne complémentaire aurait dû être réalisée en hiver, alors qu'aucun élément au dossier ne permet de considérer que la présence de ladite végétation aurait eu une influence de nature à fausser les résultats recueillis lors de la campagne d'octobre 2017. Par ailleurs, les requérants se bornent à soutenir que les points de mesure 1, 2 et 7 ne seraient pas représentatifs sans apporter de précision permettant d'apprécier le bien-fondé de ces allégations. En outre, si cette étude relève que l'estimation par calcul des tonalités marquées n'est pas possible au stade de l'étude d'impact, elle comporte un tableau présentant le spectre non-pondéré de la puissance acoustique des éoliennes pour la vitesse de vent standardisée de 10 m/s, qui permet de donner des estimations suffisantes des tonalités marquées que présenterait le projet, alors par ailleurs que rien n'impose que celles-ci soient estimées par calcul. Enfin, l'étude d'impact comporte, contrairement à ce que soutiennent les requérants, une partie dédiée aux impacts cumulés avec les autres projets d'installation classées pour la protection de l'environnement, laquelle conclut que ces effets sont nuls en matière acoustique compte-tenu de la distance de ces autres projets.

En ce qui concerne le poste de raccordement source :

4. Le raccordement d'une installation de production d'électricité aux réseaux de transport de distribution et de transport d'électricité incombe aux gestionnaires de ces réseaux et relève d'une autorisation distincte de celle de l'autorisation environnementale. Ainsi, alors que l'étude d'impact n'avait pas à comporter de mentions relatives aux modalités de raccordement envisagées ni à faire apparaître avec précision le tracé des câbles de liaison, les indications figurant à la partie 5.2.7 de l'étude d'impact, qui précisent que le raccordement sera réalisé sous la maîtrise d'ouvrage de la société Enedis, que le poste source sera probablement situé à La-Ville-sous-Grange et qui sont accompagnées d'un plan figurant le tracé des câbles électriques enfouis, sont suffisantes.

En ce qui concerne l'étude avifaunistique et chiroptérologique :

5. Il résulte de l'instruction que le volet naturel de l'étude d'impact comprend, en ce qui concerne l'état initial de l'avifaune, des données émanant d'études réalisées entre 2005 et 2009 dans le cadre d'un précédent projet éolien, ainsi que des données issues d'observations réalisées en 2015. Les informations recueillies au cours de ces deux périodes ont été évoquées et analysées et permettent, dans la majorité des cas, d'établir un état comparatif des espèces observées, sans pour autant créer de confusion ou rendre " les enjeux illisibles ". Par ailleurs, le diagnostic ornithologique établi en 2015 a été réalisé à partir des résultats constatés lors de quatre sorties, le 19 mars et le 14 avril 2015 pour migration prénuptiale, et le 15 octobre et le 5 novembre 2015 pour la migration postnuptiale, au cours des deux mois principaux dans le cycle biologique pour chaque type de migration. Si les requérants soutiennent que les journées de prospection présentaient des conditions météorologiques ne permettant pas une bonne représentation de l'avifaune présente, ils ne précisent pas quelles espèces n'auraient pas pu être observées. A cet égard, la circonstance qu'un nombre d'espèces moindre a été observé en 2015 par rapport à 2008 ne permet pas à elle seule de conclure que les prospections de 2015 n'étaient pas représentatives. En outre, il résulte de l'instruction que l'inventaire des espèces en phase de nidification a été réalisé depuis dix points d'écoute, selon des modalités suffisantes. L'absence de carte faisant apparaître les zones de nidification potentielle et les zones de halte en période migratoire n'était pas de nature à nuire à l'information de la population ou à fausser l'appréciation de l'autorité administrative, qui disposaient par ailleurs de toutes les informations utiles concernant ces éléments. Enfin, si l'étude d'impact ne reprend que les données issues des études de 2008 concernant la période de l'hivernage, il ne résulte pas de l'instruction que les informations qui avaient alors été recueillies auraient dû faire l'objet d'une actualisation, les requérants ne précisant d'ailleurs pas quelles espèces n'auraient pas été recensées ou prises en compte.

6. En ce qui concerne l'état initial des chiroptères, il résulte de l'instruction que les espèces potentielles dans l'aire d'implantation du projet ont d'abord été recensées et que des écoutes ont été réalisées en 2015 par un chiroptérologue sur une soirée, en renouvelant le protocole plusieurs fois par phase biologique, ce qui a permis d'identifier treize espèces de chauves-souris depuis les dix points d'écoute, choisis de manière à couvrir les différents types d'habitats. En se bornant à soutenir que ces écoutes ont été faites sur seulement six soirées d'inventaire pour des durées de dix minutes, les requérants n'apportent aucun élément qui permettrait de remettre en cause les données ainsi recueillies. Par ailleurs, il résulte également de l'instruction que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, des prospections des gîtes d'habitations ont été organisées sur une journée en 2008 et une journée en 2015, permettant de recenser des gîtes avérés, probables et potentiels pour les différentes espèces de chiroptères, et notamment les gîtes d'hibernation.

7. Enfin, le volet naturel de l'étude d'impact comporte, dans sa partie 5.3, une analyse des effets cumulés avec les autres projets connus sur le milieu naturel, laquelle indique que l'impact cumulé est estimé comme étant nul dès lors que le projet éolien le plus proche se situe à 19,7 kilomètres au nord du site d'implantation. A cet égard, les autres projets éoliens et le projet de parc photovoltaïque évoqués par les requérants ne correspondaient pas à des " projets existants " au sens du e) du 5° du II de l'article R. 122-5 du code de l'environnement, et n'avaient ainsi pas à figurer dans l'étude d'impact.

8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 7 que le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact doit être écarté dans toutes ses branches.

Sur les insuffisances de l'enquête publique :

9. En premier lieu, la circonstance qu'une rencontre entre la commission d'enquête et le porteur de projet a eu lieu le 12 mars 2019, préalablement à l'ouverture de l'enquête publique ne peut être regardée comme ayant nui à l'impartialité de la commission d'enquête, alors même que la tenue d'une telle rencontre, qui n'a d'ailleurs pas été dissimulée, n'est pas prévue par les textes. Par suite, cet événement est sans incidence sur la régularité de l'avis rendu par la commission d'enquête.

10. En second lieu, il résulte de l'instruction que le dossier d'enquête publique était consultable, pendant la durée de l'enquête, soit du 19 mars 2019 au 20 avril 2019 à la mairie de Laurière aux jours et heures habituels d'ouverture des bureaux au public, sur un poste informatique de la préfecture de la Haute-Vienne, et depuis la plateforme dédiée aux projets soumis à une étude d'impact. Si l'accueil de la mairie de Laurière a été partiellement indisponible les 2, 3, 4, 11 et 12 avril 2019, il résulte de l'attestation du maire de Laurière du 16 avril 2019 annexée au rapport d'enquête, qui fait foi jusqu'à la preuve du contraire, que du personnel administratif ou des élus étaient présents afin de mettre à la disposition du public le dossier de consultation de l'enquête publique. Par ailleurs, il était possible au public de faire part de ses observations et propositions au cours de ces journées sur l'adresse électronique dédiée. Dans ces conditions, et alors même que le projet se situerait dans un secteur rural, les personnes intéressées n'ont pas été empêchées de présenter leurs observations, le dossier étant par ailleurs consultable sur Internet.

Sur l'atteinte à l'environnement et aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement :

11. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ". Aux termes de l'article L. 512-1 de ce code : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier ". Et aux termes de l'article L. 181-3 du même code : " I.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas ".

En ce qui concerne l'avifaune et les chiroptères :

12. S'agissant de l'avifaune, il résulte de l'instruction que les impacts liés aux risques de collision avec les aérogénérateurs pour les espèces de petite taille est faible. Si, en ce qui concerne les rapaces de grande taille tels que le balbuzard pêcheur ou le milan noir, et les grands échassiers, telle que la grue cendrée, le risque est plus important et qualifié de " modéré " par l'étude d'impact lorsque les conditions météorologiques sont défavorables, il est compensé par l'emprise du parc éolien, qui s'étend seulement sur 600 mètres, ce qui correspond à une faible emprise sur l'axe de migration de ces espèces. A cet égard, les requérants se bornent à soutenir que le phénomène d'ascendance thermique dans le couloir de migration a été occulté et que les données utilisées par l'étude d'impact sont anciennes, sans toutefois apporter d'éléments indiquant qu'une prise en compte de ce phénomène ou des données plus récentes permettraient de conclure à des impacts plus importants concernant le risque de collision pour les différentes espèces présentes dans l'aire d'implantation du projet. En outre, s'ils reprochent à cette étude de se focaliser, en ce qui concerne l'impact sur la nidification des rapaces et sur le hibou moyen-duc, il résulte de l'instruction que le milan noir, le milan royal et le faucon crécerelle avaient seulement été identifiées comme des " nicheurs potentiels " dans cette zone antérieurement à 2008, et n'étaient pas présents dans l'aire d'étude postérieurement à cette période. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la présence d'éoliennes ne sera pas de nature à affecter de manière significative l'habitat des populations nicheuses locales, telles que l'alouette lulu ou le gobemouche. En ce qui concerne les populations hivernantes, la perte potentielle d'habitat de 50 hectares est pondérée par la présence de milieux similaires situés dans la périphérie immédiate du parc éolien de la société Total Quadran. Enfin, si les requérants soutiennent que l'implantation des aérogénérateurs en cause aura pour effet de faire perdre des territoires de chasse, de reproduction et de repos pour l'avifaune, ils ne versent au dossier aucun élément concernant l'existence d'un tel phénomène ou indiquant qu'il aurait une ampleur telle qu'il serait de nature à nuire de manière significative aux espèces présentes dans la zone d'implantation du projet.

13. En ce qui concerne les chiroptères, l'étude d'impact identifie un risque de mortalité notable jugé de " très fort " pour l'éolienne E1 et de " fort " pour les éoliennes E2, E3 et E4 en raison de la distance comprise entre 46 et 73 mètres des différents aérogénérateurs aux haies bocagères et lisières forestières, dans lesquelles une activité forte a été relevée concernant les espèces présentes sur le site. Par ailleurs, cette étude qualifie, pour les espèces évoluant en altitude, le risque de mortalité de " fort " pour la noctule de Leister et la pipistrelle commune, modéré pour la grande noctule, la noctule commune, la sérotine commune, la pipistrelle de Kuhl et la pipistrelle de Nathusius. Pour répondre à ces risques, le pétitionnaire envisageait notamment, en phase d'exploitation, la réduction de l'éclairage du parc éolien par la mise en place d'éclairages automatiques par capteurs de mouvements adaptés pour être déclenchés uniquement par les mouvements au sol et d'un balisage lumineux intermittent pour les éoliennes, un protocole d'arrêt des quatre éoliennes lorsque les conditions sont les plus favorables à l'activité des chiroptères, ainsi qu'un suivi de leur comportement et de leur mortalité. En l'espèce, l'arrêté attaqué prévoit, dans son article 7.I, que l'éclairage du site sera restreint au maximum, aucun éclairage permanent automatisé n'étant autorisé en pied d'éolienne, ainsi que l'arrêt des éoliennes, entre le 15 mars et le 31 octobre, au cours des quatre premières heures après le coucher du soleil et durant les deux heures précédant le lever du soleil lorsque la pluviométrie est nulle, les températures supérieures à 8 °C et le vent inférieur à 6/m s à hauteur de moyeu. Les mesures ainsi prescrites sont renforcées par rapport à celles proposées par le pétitionnaire, qui permettaient déjà de réduire le risque de mortalité des chiroptères à un risque qualifié par les auteurs de l'étude d'impact de " non-significatif ". L'arrêté attaqué prévoit également un suivi environnemental spécifique les deux premières années de fonctionnement du parc éolien consistant en un suivi d'activité en continu en hauteur des chiroptères dès la semaine 12 et un suivi de mortalité par une prospection hebdomadaire. Au regard de ces mesures de bridage et de suivi, il résulte de l'instruction que malgré l'implantation des aérogénérateurs à une distance inférieure à 200 mètres de la canopée, l'impact du projet ne sera pas significatif pour les 16 espèces de chauve-souris contactées sur le site d'implantation de ce projet.

En ce qui concerne la commodité du voisinage :

14. En ce qui concerne les hameaux du Vondolat, de Las Fondellas, de Bagnol et de La Vergne, il résulte de l'instruction, et notamment des photomontages figurant à l'étude d'impact, que les éoliennes du projet seront visibles depuis ces lieux de vie pour des impacts jugés de " modéré " à " modéré à ponctuellement fort ". Par ailleurs, le paysage d'autres hameaux situés dans l'aire immédiate du projet sera affecté par la présence des éoliennes du parc. Toutefois, si l'impact visuel d'un projet, en particulier le phénomène de saturation visuelle qu'il est susceptible de générer, peut être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage au sens de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, en l'absence d'autres parcs éoliens dans le secteur, il ne résulte pas des photomontages produits que l'implantation des quatre éoliennes en cause à une distance de plus de 800 mètres des premières habitations, dans un secteur à faible densité, aurait pour effet de créer un effet de saturation, la visibilité de ces éoliennes n'étant pas de nature à caractériser à elle seule une atteinte à la commodité du voisinage. En outre, l'article 7.II de l'arrêté attaqué prévoit des mesures de réduction de l'impact du projet sur le paysage, en imposant à l'exploitant, sous réserve de l'accord des propriétaires, la plantation d'arbres de haut jet dans les hameaux de La Vergne, de La Pradelle et du Volondat, ainsi que l'entretien de ces plantations pendant toute la durée de l'exploitation du parc éolien.

En ce qui concerne l'atteinte au paysage :

15. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage au sens de cet article, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

16. Le projet de la société Total Quadran s'implante à 3,5 kilomètres du bourg de Laurières, sur la première marche des Monts de Saint-Goussaud. Il vient s'insérer à la limite sud de reliefs boisés et du plateau de Bénévent-l'Abbaye, qui présente un paysage de type bocager, à proximité de la vallée de l'Ardour et du ruisseau du Moulard. Ces différents sites ont été répertoriés comme étant des sites emblématiques du Limousin, mais ne font l'objet d'aucune protection particulière. Si les requérants soutiennent qu'un projet de parc naturel régional serait porté par les élus locaux, ils n'apportent pas de précisions suffisantes en ce sens, et il ne résulte pas de l'instruction qu'un tel projet pour le paysage naturel environnant serait en voie de concrétisation. Par ailleurs, le relief immédiat du parc éolien est assez marqué et présente des vallonnements. Dans un rayon de 9 kilomètres autour du site d'implantation, on dénombre 21 monuments historiques, dont néanmoins aucun n'est localisé dans ses environs immédiats, ainsi que 17 hameaux, qui ne présentent pas de caractéristiques architecturales particulières. Ainsi, le site destiné à accueillir les aérogénérateurs en cause présente un certain intérêt paysager, mais avec des sensibilités toutefois peu marquées.

17. D'une part, en ce qui concerne le paysage naturel, si une vue lointaine est possible depuis le Puy de Cros, l'impact du parc éolien en cause, situé à 12 kilomètres de ce site, est toutefois modéré en raison de sa distance et de sa faible étendue. Dans un rayon rapproché, il résulte de l'instruction que l'impact visuel des éoliennes sera faible depuis la table d'orientation du Puy du Gaud, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'angle visuel occupé à l'horizon étant limité. Si, dans cette aire rapprochée, les machines seront davantage visibles depuis les hauteurs du Petit Murat avec une co-visibilité avec le clocher de l'église de Bénévent-l'Abbaye, il résulte de l'instruction que ce point de vue, s'il offre une vue panoramique sur le bourg et les Monts de Saint-Goussaud et d'Ambazac en arrière-plan, est peu fréquenté. Par ailleurs, depuis la vallée du ruisseau du Moulard, le projet apparaît comme étant suffisamment peu étendu et éloigné pour ne pas créer d'effet d'écrasement. Enfin, il est vrai que les éoliennes seront assez visibles depuis la vallée de l'Ardour, dont elles sont séparées par seulement 2,4 kilomètres. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment des photomontages de l'étude paysagère, que cette visibilité des quatre éoliennes ne conduira pas à un effet d'écrasement de la vallée. Enfin, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la taille des aérogénérateurs n'apparaît pas comme étant disproportionnée dans le contexte paysager, et la verticalité de ces machines ne produira pas une rupture paysagère avec les monts " doux et ronds " alentours, alors que les intéressés relèvent eux-mêmes que le relief est caractérisé notamment par ondulations et des lignes de crête de nature à atténuer les effets visuels du projet. D'autre part, en ce qui concerne le paysage bâti, une vue lointaine sur le parc éolien existera depuis l'église de Bersac-sur-Rivalier, mais qui n'aura qu'un impact faible au regard de la distance à ce parc, de près de 7 kilomètres. De même, deux éoliennes seront visibles au loin depuis l'église de Pauhlac, sans toutefois qu'elles altèrent le paysage et alors que les premiers plans bâtis et végétaux limitent cette vue. De surcroit, si les aérogénérateurs seront également perceptibles depuis le calvaire de Laurière, l'effet visuel reste faible au regard de la distance séparant ce lieu des éoliennes. Enfin, il résulte de l'instruction que les machines auront un impact visuel plus important concernant les lieux de vie situés aux abords du projet, mais, ainsi qu'il a été dit, ces hameaux ne présentent aucune caractéristique architecturale ou paysagère particulière. Dans ces conditions, le parc éolien des Ailes du Puy du Rio ne peut être regardé comme portant une atteinte particulière au paysage dans lequel il s'inscrit.

18. Il résulte de ce qui a été dit du point 11 au point 17 que les moyens tirés de l'atteinte aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement doivent être écartés.

Sur l'absence de demande de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées :

19. Il résulte des articles 12 et 16 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992, de l'article 5 de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009, des articles L. 411-1, L. 411-2, R. 411-6, R. 411-11 et R. 411-12 du code de l'environnement et des articles 2 et 4 de l'arrêté du 19 février 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et de la ministre de l'écologie et du développement durable fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

20. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d'oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009 des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement, impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ". Pour déterminer, enfin, si une dérogation peut être accordée sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de porter une appréciation qui prenne en compte l'ensemble des aspects mentionnés ci-dessus, parmi lesquels figurent les atteintes que le projet est susceptible de porter aux espèces protégées, compte tenu, notamment, des mesures d'évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire, et de l'état de conservation des espèces concernées.

21. Eu égard à ce qui a été dit aux points 12 et 13, compte tenu de l'enjeu identifié et des mesures d'évitement et de réduction retenues par le pétitionnaire, il ne résulte pas de l'instruction que ce projet présente un risque suffisamment caractérisé de destruction d'individus ou d'habitats sensibles s'agissant de l'avifaune et des chiroptères. Les requérants ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que l'arrêté attaqué serait entaché d'illégalité en tant qu'il ne comporte pas la dérogation prévue par ces dispositions.

22. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que l'ALTESS du Haut-Limousin et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de la Haute-Vienne du 20 décembre 2019.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'ALTESS du Haut-Limousin et autres demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ALTESS du Haut-Limousin et autres une somme globale de 2 000 euros à verser à la société Total Quadran, en application de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'association limousine pour la défense du tourisme et de l'environnement et pour la sauvegarde des sites du Haut-Limousin et autres est rejetée.

Article 2 : L'association limousine pour la défense du tourisme et de l'environnement et pour la sauvegarde des sites du Haut-Limousin et autres verseront à la société Total Quadran une somme globale de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association limousine pour la défense du tourisme et de l'environnement et pour la sauvegarde des sites du Haut-Limousin, désignée en qualité de représentant unique des requérants en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à la société Total Quadran et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 30 mars 2023 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Claude Pauziès, président,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 avril 2023.

La rapporteure,

Charlotte E...Le président,

Jean-Claude Pauziès

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20BX01383 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01383
Date de la décision : 26/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. PAUZIÈS
Rapporteur ?: Mme Charlotte ISOARD
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : CABINET LPA-CGR AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-04-26;20bx01383 ?
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