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25/04/2023 | FRANCE | N°21BX03902

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 25 avril 2023, 21BX03902


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 15 novembre 2019 par laquelle la secrétaire générale du centre hospitalier universitaire de Martinique (CHUM) a refusé de lui verser les indemnités pour participation à l'enseignement et à la formation des personnels des établissements publics de santé à raison des heures d'enseignements qu'il a réalisées au centre d'enseignement des soins d'urgence, depuis le mois de décembre 2016, et au centre d'enseignement

et de simulation en santé de la Martinique, depuis le mois d'avril 2017.

Par...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision du 15 novembre 2019 par laquelle la secrétaire générale du centre hospitalier universitaire de Martinique (CHUM) a refusé de lui verser les indemnités pour participation à l'enseignement et à la formation des personnels des établissements publics de santé à raison des heures d'enseignements qu'il a réalisées au centre d'enseignement des soins d'urgence, depuis le mois de décembre 2016, et au centre d'enseignement et de simulation en santé de la Martinique, depuis le mois d'avril 2017.

Par un jugement n° 2000284 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de la Martinique a annulé la décision de la secrétaire générale du centre hospitalier universitaire (CHU) de Martinique du 15 novembre 2019 et a enjoint au CHU de réexaminer la situation de M. D... dans un délai de deux mois.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 8 octobre 2021, 14 novembre 2021 et 17 juin 2022, le CHU de Martinique, représenté par le cabinet Earth avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 8 juillet 2021 ;

2°) de rejeter la demande de M. D... ;

3°) de mettre à la charge de M. D... la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation lorsqu'il écarte le moyen de défense tiré de l'abrogation implicite de l'arrêté du 23 décembre 1987, et d'une omission à statuer faute d'avoir répondu à la demande de substitution de motifs, tirée de ce que la décision en litige est justifiée par l'inapplicabilité à la situation de M. D... de l'arrêté du 23 décembre 1987 ;

- l'arrêté du 23 décembre 1987 n'est pas applicable au litige dès lors qu'il a été implicitement abrogé du fait de l'abrogation du décret du 24 février 1984 pour l'application duquel il a été pris ; il ne peut d'ailleurs être mis en œuvre indépendamment des textes auxquels il se réfère et qui fixent le taux d'indemnisation ; les heures d'enseignement que M. D... a réalisées ne peuvent dès lors donner lieu à indemnisation que si cette activité peut être qualifiée d'activité accessoire, conformément à l'article 1er du décret

du 5 mars 2010 ; en l'occurrence, elles ont été effectuées à titre d'activité principale, puisqu'elle relèvent de la charge normale des missions de M. D... et qu'elles ont été données durant les heures de service ; les mentions de la fiche de poste qui ne sauraient lier le juge sur la qualification du temps de travail d'un agent doivent être regardées comme ne prévoyant une indemnisation que lorsqu'elles sont effectuées au-delà de la durée contractuelle de travail ;

- à supposer que l'arrêté du 23 décembre 1987 était toujours en vigueur, la décision du 15 novembre 2019 est légalement justifiée par l'inapplicabilité de cet arrêté à la situation de M. D... ; cet arrêté concerne les enseignements dispensés dans les écoles gérées par des établissements d'hospitalisation publics ou des écoles privées, et non, comme en l'espèce, des unités fonctionnelles internes au CHU ;

- contrairement ce que soutenait M. D... en première instance, le CHU pouvait mettre fin pour l'avenir à une indemnisation à laquelle les praticiens hospitaliers n'avaient pas droit.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 mars 2022, 3 avril 2022 et 13 juillet 2022, M. D..., représenté par la SELAS JurisCarib, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du CHUM de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que " les entiers dépens ".

Il fait valoir que :

- le moyen tiré de l'omission à statuer sur la demande de substitution de motifs doit être écarté, cette demande ayant été présentée dans une note en délibéré ;

- le principe de l'indemnisation des praticiens hospitaliers pour les heures d'enseignement et de formation ne peut être remis en cause, pas plus que le calcul de ces indemnités dès lors que l'on est en présence d'une décision individuelle créatrice de droits résultant du fait que ces indemnités lui ont toujours été versées ; le volume horaire des heures d'enseignement démontre qu'il ne s'agit que d'une activité accessoire ;

- le CHUM n'a pas exécuté le jugement alors qu'il lui est dû 11 472,30 euros au titre du CESU et 12 237,75 euros au titre du CESISMA.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 2005-840 du 20 juillet 2005 ;

- le décret n° 2010-235 du 5 mars 2010 ;

- l'arrêté du 23 décembre 1985 portant application de l'article 31 du décret n° 84-131 du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers ;

- l'arrêté du 23 décembre 1987 portant application de l'article 28-3 du décret n° 84-131 du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... A...,

- et les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., praticien hospitalier au sein du centre hospitalier universitaire de Martinique, a été affecté à deux unités fonctionnelles de l'hôpital, le centre d'enseignement et de simulation en santé de la Martinique (CESISMA) dont il est devenu responsable, à hauteur de 50 % de son temps de service, et le centre d'enseignement en soins d'urgence (CESU), à hauteur de 10 %. Dans ce cadre, il a accompli des heures d'enseignement et de formation des personnels des établissements publics de santé pour lesquelles il a perçu une indemnisation pécuniaire. Estimant que cette rémunération était illégale, le CHU de Martinique a cessé de verser cette indemnisation à compter respectivement des mois de décembre 2016 s'agissant du CESU et d'avril 2017 s'agissant du CESISMA. Par une décision du 15 novembre 2019, la secrétaire générale du CHU a rejeté la demande de M. D... de paiement des heures d'enseignement effectuées, au motif qu'elles étaient réalisées à titre principal, dans le cadre de son service et des heures normales de travail. M. D... a alors saisi le tribunal administratif de la Martinique afin d'obtenir l'annulation de cette décision. Par un jugement du 8 juillet 2021, le tribunal a annulé la décision de la secrétaire générale du CHU de Martinique du 15 novembre 2019 et a enjoint au CHU de réexaminer la situation de M. D... dans un délai de deux mois. Par la présente requête, le CHU de Martinique relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 6152-23 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : " Les praticiens perçoivent, après service fait, attesté par le tableau mensuel de service réalisé, validé par le chef de pôle ou, à défaut, par le responsable du service, de l'unité fonctionnelle ou d'une autre structure interne : 1° Des émoluments mensuels variant selon l'échelon des intéressés. (...) / 2° Des indemnités et allocations dont la liste est fixée par décret. ". Aux termes de l'article D. 6152-23-1 de ce code : " Les indemnités et allocations mentionnées au 2° de l'article R. 6152-23 sont : (...) 2° Des indemnités pour participation aux jurys de concours, à l'enseignement et à la formation des personnels des établissements publics de santé. (...) / Le montant, conditions d'attribution et les modalités de versement des indemnités et allocations mentionnées au présent article font fixés par arrêté des ministres chargés du budget et de la santé. ". Aux termes de

l'article R. 6152-29 du même code : " Les praticiens hospitaliers régis par la présente section doivent participer aux jurys de concours et d'examens organisés par le ministère de la santé ou sous son contrôle ainsi que dans les conditions définies par le ministère de la santé, à l'enseignement et à la formation des personnels des hôpitaux ou organismes extra-hospitaliers du secteur. Ces activités donnent lieu au versement d'indemnités de participation aux jurys de concours, à l'enseignement et à la formation des personnels. ". Ces dispositions se sont substituées à celles résultant du décret n° 84-131 du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers, abrogé par l'article 5 du décret n° 2005-840 du 20 juillet 2005.

3. D'autre part, l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 1987 portant application de l'article 28-3 du décret n° 84-131 du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers dispose : " Les praticiens hospitaliers participant à l'enseignement et à la formation des personnels des établissements hospitaliers ou organismes extrahospitaliers de secteur dans les conditions définies par l'arrêté du 23 décembre 1985 susvisé perçoivent au titre de cette activité des indemnités calculées sur la base de 75 p. 100 ou de 100 p. 100 des taux fixés par le décret du 12 juin 1956 modifié et l'arrêté du 13 octobre 1953 modifié susvisés suivant que le temps consacré à cette activité par les intéressés est pris ou non sur leurs horaires normaux de service hospitalier. ". Selon l'article 3 de l'arrêté du 23 décembre 1985 portant application de l'article 31 du décret n° 84-131 du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers, " les formations et enseignements (...) peuvent être dispensés soit dans les écoles gérées par des établissements d'hospitalisation publics, soit des écoles privées ayant passé convention avec des établissements d'hospitalisation publics ". Le décret n° 56-585 du 12 juin 1956 portant fixation de rétribution des agents de l'Etat et des personnels non fonctionnaires assurant à titre d'occupation accessoire soit une tâche d'enseignement, soit le fonctionnement de jurys d'examens ou de concours, auquel renvoie l'arrêté du 23 décembre 1987, a été abrogé et remplacé par le décret n° 2010-235 du 5 mars 2010 relatif à la rémunération des agents publics participant, à titre d'activité accessoire, à des activités de formation et de recrutement. Aux termes de l'article 6 de ce dernier décret : " Cette rémunération est exclusive de toute autre rémunération versée au titre de la même activité. ".

4. Si l'arrêté interministériel du 23 décembre 1987 prévoyait les conditions d'indemnisation des praticiens hospitaliers pour les heures consacrées à l'enseignement et à la formation des personnels des établissements publics de santé, que celles-ci aient été réalisées ou non sur le temps de service, cet arrêté a été implicitement mais nécessairement abrogé par l'intervention du décret du 5 mars 2010, applicable aux établissements publics de santé, qui exclut une telle indemnisation lorsque l'activité d'enseignement et de formation fait déjà l'objet d'une rémunération.

5. Il ressort des pièces du dossier que les activités d'enseignement et de formation qu'a accomplies M. D... au sein des deux unités fonctionnelles du CHU de Martinique, le CESU et le CESISMA, l'ont été dans le cadre de son service et de ses heures normales de travail. Par suite M. D..., qui a été rémunéré pour cette activité par le versement de ses émoluments, ne peut prétendre à des indemnités supplémentaires.

6. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur l'arrêté du 23 décembre 1987 et sur le fait qu'il n'excluait pas l'indemnisation les heures d'enseignement et de formation accomplies dans le cadre du service et des heures normales de travail, pour annuler la décision du 15 novembre 2019.

7. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de la Martinique et la cour.

8. Aux termes des dispositions du I de l'article L. 6152-4 du code de la santé publique, relatif aux praticiens hospitaliers : " Sont applicables aux personnels mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 6152-1 : 1° Les articles 11, 25 septies et 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (...) ". Aux termes de l'article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 : " I.- Le fonctionnaire consacre l'intégralité de son activité professionnelle aux tâches qui lui sont confiées. Il ne peut exercer, à titre professionnel, une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit, sous réserve des II à V du présent article. (...) IV.- Le fonctionnaire peut être autorisé par l'autorité hiérarchique dont il relève à exercer à titre accessoire une activité, lucrative ou non, auprès d'une personne ou d'un organisme public ou privé dès lors que cette activité est compatible avec les fonctions qui lui sont confiées et n'affecte pas leur exercice. Par dérogation au 1° du I du présent article, ces activités peuvent être exercées sous le régime prévu à l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale. (...) ".

9. Si M. D... soutient que les heures d'enseignement et de formation qu'il a dispensées sont accessoires eu égard à leur volume horaire, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que ces heures auraient été effectuées en dehors de son temps de service et constitueraient ainsi une activité accessoire. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que ces heures devraient être indemnisées à titre d'activité accessoire.

10. Aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. ". Aux termes de l'article L. 242-2 de ce code : " Par dérogation à l'article L. 242-1, l'administration peut, sans condition de délai : 1° Abroger une décision créatrice de droits dont le maintien est subordonné à une condition qui n'est plus remplie (...) ".

11. Il ressort des pièces du dossier que le CHU de Martinique a cessé de verser les indemnités pour l'activité d'enseignement et de formation assurée par M. D..., à compter de décembre 2016 s'agissant du CESU et d'avril 2017 s'agissant du CESISMA, après avoir constaté que la condition tenant à ce que cette activité ne soit pas rémunérée par ailleurs n'était pas remplie. Il n'a en revanche pas remis en cause les versements effectués auparavant. Par suite, le CHU de Martinique pouvait légalement abroger la décision consistant à rémunérer ces heures d'enseignement et de formation au motif que les conditions légales n'étaient pas respectées.

12. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, que le CHU de Martinique est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Martinique a annulé la décision du 15 novembre 2019 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. D... dans un délai de deux mois.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHU de Martinique la somme que M. D... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la M. D... la somme demandée par le CHU de Martinique au même titre.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 8 juillet 2021 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de la Martinique est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de Martinique et à M. C... D....

Délibéré après l'audience du 28 mars 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 avril 2023.

Le rapporteur,

Olivier A...La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX03902


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03902
Date de la décision : 25/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : EARTH AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-04-25;21bx03902 ?
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