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06/04/2023 | FRANCE | N°22BX02593

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 06 avril 2023, 22BX02593


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler, d'une part, l'arrêté du 21 mai 2022 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et, d'autre part, les deux décisions du 28 août 2022 prolongeant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 22028

81 et 2204655 du 5 septembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribun...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler, d'une part, l'arrêté du 21 mai 2022 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et, d'autre part, les deux décisions du 28 août 2022 prolongeant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et l'assignant à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Par un jugement n° 2202881 et 2204655 du 5 septembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Lanne, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 septembre 2022 ;

2°) d'annuler les arrêtés préfectoraux des 21 mai 2022 et 28 août 2022, ainsi que la décision d'assignation à résidence du 28 août 2022 ;

3°) d'enjoindre au préfet de Lot-et-Garonne de lui remettre sa carte nationale d'identité marocaine dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de prendre sans délai toute mesure propre à mettre fin à son signalement dans le système d'information Schengen ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français du 21 mai 2022 est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'il remplissait les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour de plein droit, sur le fondement de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il ne représente pas une menace pour l'ordre public ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'un détournement de pouvoir dès lors que la décision a été prise pour faire obstacle au dépôt d'une demande de titre de séjour à la suite de son mariage ;

- l'arrêté du 28 août 2022 lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans est illégal en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- il est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'une prolongation d'une interdiction de retour sur le territoire français ne pouvait être prononcée alors qu'il n'a pas fait l'objet d'une précédente décision portant interdiction de retour sur le territoire français ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision l'assignant à résidence est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 février 2023, le préfet de Lot-et-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- M. B... ne peut prétendre à l'obtention sur place du visa de long séjour " conjoint de français ", dans la mesure où il s'est maintenu de manière irrégulière sur le territoire national et qu'il ne justifiait pas, à la date de la décision en litige, d'une communauté de vie effective d'au moins six mois avec son épouse ; de surcroît, il a été interpellé

le 21 mai 2022 pour des faits de violences sur conjoint et d'infraction à la législation des étrangers ; il ne fait état d'aucune impossibilité de retour momentané au Maroc pour solliciter le visa de long séjour ;

- il ne se prévaut d'aucun motif exceptionnel ou d'aucune circonstance humanitaire qui justifierait une admission exceptionnelle au séjour ;

- il a été signalé en qualité d'auteur le 17 avril 2021 pour conduite d'un véhicule en ayant fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants, le 21 avril 2021 pour des faits de violences sur conjoint et le 28 août 2022 pour des faits de conduite sans permis, conduite sous l'empire d'un état alcoolique et refus d'obtempérer ; son comportement représente dès lors une menace pour l'ordre public ;

- eu égard à l'absence d'ancienneté de la communauté de vie avec son épouse et de la menace pour l'ordre public qu'il représente, le moyen tiré de la méconnaissance de

l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;

- le moyen tiré du détournement de pouvoir doit être écarté, la seule manifestation de volonté d'effectuer une demande de carte de séjour par mail ne saurait valoir démarche effective dès lors qu'une procédure particulière est prévue pour le dépôt d'une demande ; en outre, l'intéressé ne remplit pas les conditions pour se prévaloir d'un droit à obtenir un titre de séjour ;

- l'intéressé s'étant maintenu irrégulièrement sur le territoire français après l'expiration du délai de départ volontaire qui lui avait été accordé, il était exposé au risque de se voir opposer une interdiction de retour ; il ne saurait se prévaloir d'une erreur matérielle dans la formulation de la décision ; au vu de la menace à l'ordre public qu'il représente, la durée de l'interdiction de retour d'une durée de deux ans est justifiée ;

- l'exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français et le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés ;

- n'étant pas en mesure de présenter un passeport en cours de validité et la carte d'identité marocaine étant insuffisante, il a été assigné à résidence le temps d'obtenir un laissez-passer consulaire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

-le rapport de M. A... ;

-les observations de Me Lanne, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant marocain, est entré sur le territoire français

le 30 décembre 2018 muni de son passeport revêtu d'un visa de long séjour " travailleur saisonnier ". Il s'est vu délivrer le 20 mars 2019 une carte de séjour pluriannuelle " travailleur saisonnier ", sur le fondement des dispositions de l'article L. 421-34 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, valable jusqu'au 25 février 2022. Le 21 mai 2022, il a été interpellé par les agents du groupement de gendarmerie départementale de Lot-et-Garonne pour des faits de violences sur conjoint et d'infraction à la législation des étrangers. Par un arrêté du même jour, le préfet de Lot-et-Garonne a fait obligation à l'intéressé de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. A la suite de son interpellation, le 28 août 2022, pour conduite sous l'emprise de l'alcool et refus d'obtempérer, le préfet

de Lot-et-Garonne a édicté un nouvel arrêté prolongeant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par une décision du même jour, il a assigné M. B... à résidence. M. B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, par deux requêtes distinctes, l'annulation des deux arrêtés des 21 mai et 28 août 2022, ainsi que celle de la décision du 28 août 2022 l'assignant à résidence. Par un jugement n° 2202881 et 2204655 du 5 septembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes. M. B... relève appel de ce jugement.

Sur la légalité de l'arrêté du 21 mai 2022 :

2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; (...) 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; (...) ".

3. Lorsque la loi prescrit l'attribution de plein droit d'un titre de séjour à un étranger, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français.

4. Aux termes de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, entré régulièrement et marié en France avec un ressortissant français avec lequel il justifie d'une vie commune et effective de six mois en France, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ". Aux termes de l'article L. 412-5 de ce code : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré sur le territoire français, le 30 décembre 2018, sous couvert d'un visa de long séjour " travailleur saisonnier ", valable jusqu'au 24 mars 2019, et que la communauté de vie avec la ressortissante française qu'il a épousée le 20 mai 2022 a débuté en septembre 2021. Par suite, M. B... remplissait les conditions d'entrée régulière et de communauté de vie en France d'une durée d'au moins six mois, prévues à l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour bénéficier de l'exemption de visa de long séjour, sans que les circonstances qu'il se soit maintenu sur le territoire en situation irrégulière après l'expiration de sa carte de séjour pluriannuelle " travailleur saisonnier " ou que son mariage n'ait eu lieu que la veille de l'arrêté en litige, ne soient de nature à remettre en cause le bénéfice de cette exemption.

6. Par ailleurs, M. B... a fait l'objet d'une suspension de permis de conduire d'une durée de six mois pour conduite d'un véhicule en ayant fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants le 17 avril 2021, a été placé en garde à vue le 21 mai 2021 pour des faits de violences sur conjoint et a été interpellé le 28 août 2022 pour des faits de conduite sous l'empire d'un état alcoolique et de refus d'obtempérer. Si le préfet de Lot-et-Garonne fait valoir que le comportement de M. B... représente une menace pour l'ordre public, il ressort des pièces du dossier que la réalité des violences conjugales dont M. B... serait l'auteur n'est pas établie, et que les délits de circulation routière ne sont pas, dans les circonstances de l'espèce, de nature à caractériser, à eux seuls, une menace à l'ordre public susceptible de justifier un refus de titre de séjour en qualité de conjoint de français. Par suite, en édictant une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, le préfet de Lot-et-Garonne a méconnu les dispositions de l'article L. 423-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et entaché son arrêté d'illégalité.

Sur la légalité de l'arrêté préfectoral et la décision d'assignation à résidence datés du 28 août 2022 :

7. L'illégalité de l'arrêté du 21 mai 2022 emporte nécessairement l'illégalité de l'arrêté du 28 août 2022 prolongeant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, ainsi que celle de la décision assignant M. B... à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Aux termes de l'article L. 613-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile : " L'étranger auquel est notifiée une interdiction de retour sur le territoire français est informé qu'il fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, conformément à l'article 24 du règlement (UE) n° 2018/1861 du Parlement européen et du Conseil du 28 novembre 2018 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen (SIS) dans le domaine des vérifications aux frontières, modifiant la convention d'application de l'accord de Schengen et modifiant et abrogeant le règlement (CE) n° 1987/2006. Les modalités de suppression du signalement de l'étranger en cas d'annulation ou d'abrogation de l'interdiction de retour sont fixées par voie réglementaire. ". Selon l'article R. 613-7 du même code : " Les modalités de suppression du signalement d'un étranger effectué au titre d'une décision d'interdiction de retour sont celles qui s'appliquent, en vertu de l'article 7 du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées, aux cas d'extinction du motif d'inscription dans ce traitement. ". Aux termes de cette dernière disposition : " Les données à caractère personnel enregistrées dans le fichier sont effacées sans délai en cas d'aboutissement de la recherche ou d'extinction du motif de l'inscription. (...) ".

9. D'une part, le présent arrêt, qui annule l'arrêté portant interdiction de retour sur le territoire français, implique l'effacement du signalement de M. B... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. Le requérant est ainsi fondé à demander qu'il soit enjoint dans un délai de quinze jours au préfet de Lot-et-Garonne de saisir les services ayant procédé à son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, en vue de la mise à jour du fichier en tenant compte de cette annulation, laquelle constitue un motif d'extinction au sens de l'article 7 du décret du 28 mai 2010 précité.

10. D'autre part, l'annulation de la décision d'assignation à résidence implique que soit restituée à M. B... sa carte d'identité marocaine, remise aux autorités en application de l'article L. 814-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu d'enjoindre au préfet de Lot-et-Garonne d'y procéder dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande à fin d'annulation des arrêtés des 21 mai et 28 août 2022 et de la décision d'assignation à résidence du 28 août 2022, ainsi que et celles à fin d'injonction.

Sur les frais liés au litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Les arrêtés du préfet de Lot-et-Garonne des 21 mai 2022 et 28 août 2022, ainsi que la décision d'assignation à résidence du 28 août 2022, sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de Lot-et-Garonne de faire procéder à la suppression du signalement de M. B... aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen et de lui restituer sa carte d'identité marocaine, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 septembre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 200 euros sur le fondement de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de Lot-et-Garonne.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 avril 2023.

Le rapporteur,

Olivier A... La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX02593


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02593
Date de la décision : 06/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : LANNE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-04-06;22bx02593 ?
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