Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 27 mars 2019 par lequel le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a prononcé à son encontre une sanction de révocation.
Par un jugement n° 1900916 du 27 mai 2021, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 juillet 2021, M. B..., représenté par Me Labrousse, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 27 mai 2021 du tribunal administratif de Limoges ;
2°) d'annuler l'arrêté du 27 mars 2019 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse ;
3°) d'enjoindre à l'administration de le réintégrer dans ses fonctions à la date du 24 mai 2018 avec rétablissement de sa rémunération et reconstitution de sa carrière ; à défaut de substituer la sanction d'exclusion temporaire retenue par la commission de recours du conseil supérieur de la fonction publique et d'ordonner sa réintégration et la reconstitution de sa carrière ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 8 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- cette décision a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que la commission de discipline n'avait été saisie que des propos sexistes et homophobes tenus à l'égard des élèves et non des faits de propos sexistes tenus à l'égard de ses collègues de travail ;
- cette décision a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire dès lors que l'anonymisation des témoignages et l'absence de confrontation ne lui ont pas permis de préparer utilement sa défense ;
- la matérialité des faits reprochés n'est pas établie ;
- la sanction retenue est manifestement disproportionnée ainsi que cela ressort des avis de la commission de discipline et de la commission de recours du conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat.
Par des mémoires en défense enregistrée le 22 décembre 2022 et le 16 janvier 2023, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'éducation ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... D...,
- les conclusions de M. Romain Roussel Cera, rapporteur public,
- et les observations de Mme A..., représentant le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., enseignant titulaire en sciences industrielles de l'ingénieur, affecté depuis 1994 au lycée Pierre Caraminot à Egletons, a été révoqué par un arrêté du 27 mars 2019 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Il fait appel du jugement du 27 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
2. En premier lieu, aux termes du troisième alinéa de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l'assistance de défenseurs de son choix. L'administration doit informer le fonctionnaire de son droit à communication du dossier (...) ". Aux termes de l'article 2 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat : " L'organisme siégeant en conseil de discipline (...) est saisi par un rapport émanant de l'autorité ayant pouvoir disciplinaire ou d'un chef de service déconcentré ayant reçu délégation de compétence à cet effet. / Ce rapport doit indiquer clairement les faits reprochés au fonctionnaire et préciser les circonstances dans lesquelles ils se sont produits ". Le deuxième alinéa de l'article 5 de ce décret prévoit que : " Le rapport établi par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire ou par un chef de service déconcentré ayant reçu délégation de compétence à cet effet et les observations écrites éventuellement présentées par le fonctionnaire sont lus en séance ".
3. Il ressort des pièces du dossier que d'une part, le courrier du 3 septembre 2018 de convocation devant le conseil de discipline indiquait qu'il était reproché à M. B... " d'avoir tenu des propos homophobes et sexistes à l'égard et devant les élèves " ainsi qu'" un comportement déplacé et insultant vis-à-vis de (ses) collègues ". D'autre part, le rapport de saisine du conseil de discipline établi par la rectrice de l'académie de Limoges, qui a été lu lors de la séance du conseil de discipline du 25 septembre 2018, vise notamment la tenue de " propos homophobes et sexistes à l'égard et devant les élèves ", l'existence de problèmes relationnels entre M. B... et ses collègues se traduisant notamment par de la violence verbale ainsi que des difficultés à instaurer un dialogue avec ses collègues et notamment avec sa collègue femme à l'encontre de laquelle il tiendrait des propos insultants. En outre, le rapport de situation rédigé par ses collègues du BTS EEC le 27 mars 2018 qui faisait état de propos inadaptés tenus envers sa collègue le 7 mars 2017 et le 27 février 2018 figurait dans son dossier individuel qu'il a consulté le 6 juillet 2018. Ainsi, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'aurait pas été informé de l'existence du grief tiré de l'existence de propos sexistes à l'égard de ses collègues avant la tenue du conseil de discipline. A cet égard, la circonstance que la mesure de suspension, qui a un caractère conservatoire et non disciplinaire, était uniquement fondée sur les propos tenus envers les élèves n'était pas de nature à interdire à l'administration de faire état ultérieurement d'autres griefs. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aucune disposition ni aucun principe n'exige qu'une procédure contradictoire soit organisée en amont de la procédure disciplinaire. Il est constant que M. B... a eu connaissance des témoignages joints au dossier disciplinaire, qui, s'ils ont été rendus anonymes pour ne pas exposer les élèves mineurs qui les avaient établis, contenaient des précisions suffisantes pour permettre à M. B... de présenter utilement des observations, qu'il a fait valoir lors de son recours gracieux du 28 juin 2018 à l'encontre de la décision de suspension et devant le conseil de discipline. En outre, l'identité des deux élèves victimes et le fait qu'ils avaient établi des témoignages individuels étaient mentionnés dans le rapport du conseiller principal d'éducation du 25 mai 2018. Par suite, le moyen tiré de la violation des droits de la défense ne peut qu'être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. Premier groupe : - l'avertissement ; - le blâme. Deuxième groupe : - la radiation du tableau d'avancement ; - l'abaissement d'échelon ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; - le déplacement d'office. Troisième groupe : - la rétrogradation ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation. ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
6. M. B... a été sanctionné pour des propos sexistes tenus devant des élèves et des collègues, pour des propos homophobes tenus devant des élèves et pour avoir eu un comportement insultant à l'endroit de certains de ses collègues.
7. M. B... conteste avoir tenu les propos qui lui sont reprochés à l'égard des élèves et indique de manière générale qu'il n'a jamais manifesté de mépris, de rejet ou de haine quelconque à l'égard des homosexuels ni n'avoir jamais fait œuvre de prosélytisme. Toutefois, la teneur des propos tenus lors de la pause de 10 heures le 24 mai 2018 est suffisamment établie par les deux témoignages individuels et le témoignage collectif d'élèves de terminale STI2D lesquels sont concordants et circonstanciés et sont en outre corroborés par les propres déclarations de l'intéressé devant le conseil de discipline et dans son recours gracieux du 28 juin 2018. Ainsi la matérialité des faits reprochés tenant à la tenue de propos homophobes et sexistes devant des élèves le 24 mai 2018 est établie, quand bien même une élève, par une attestation en date du 2 mai 2019, a déclaré que ces propos n'avaient pas été tenus.
8. Le rapport de situation rédigé le 27 mars 2018 par quatre de ses collègues qui fait état de propos sexistes tenus devant témoins à l'égard d'une de ses collègues le 7 mars 2017 et le 27 février 2018 est de nature à établir la matérialité de ce grief, l'intéressé n'ayant d'ailleurs pas contesté la réalité de ces propos devant le conseil de discipline mais uniquement leur interprétation.
9. En revanche, l'existence d'un comportement insultant à l'égard de ses collègues n'est pas suffisamment établi par ce même rapport, qui fait surtout état de relations de travail détériorées et conflictuelles entre l'équipe du BTS et M. B....
10. Les faits établis cités aux points 7 et 8, qui constituent une méconnaissance des obligations d'un enseignant aussi bien à l'égard des élèves que de ses collègues, sont fautifs et de nature à justifier une sanction disciplinaire.
11. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a notamment déclaré devant des élèves, lors de la pause puis à la reprise du cours, " qu'une femme ou un homme homosexuel est une personne malade qui a besoin de se faire soigner ", que " bientôt le mariage avec les animaux serait autorisé ", qu'être homosexuel était " honteux et choquant ", que " nous descendons des animaux et que les animaux ne sont pas homosexuels ", que les " femmes sont faites pour féconder ", que " la femme fait le ménage, les hommes ramènent de l'argent ". En outre, ces propos à caractère homophobe s'adressaient, pour une partie d'entre eux, à des élèves qui venaient de révéler à M. B... leur attirance pour des personnes du même sexe. Par ailleurs, il ressort des déclarations de l'intéressé dans son recours gracieux et devant le conseil de discipline qu'il assimile l'homosexualité à une pratique perverse et un désordre psychologique et estime qu'il est de sa responsabilité de protéger les élèves contre ce risque de " débauche " et qu'il n'a pris aucune conscience du caractère inadapté de ses déclarations, précisant même que " les propos que j'ai tenus et continue à tenir ne sont ni homophobes ni sexistes ". Enfin, il ressort des témoignages des élèves et de ses collègues qu'il tenait de manière régulière des propos sexistes. Dans ce contexte, au vu du caractère répété du comportement de M. B..., de son absence de remise en cause, et eu égard à l'exigence d'exemplarité et d'irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec des mineurs, y compris en dehors du service et compte tenu de l'atteinte portée, du fait de la nature des fautes commises par l'intéressé, à la réputation du service public de l'éducation nationale ainsi qu'au lien de confiance qui doit unir les enfants et leurs parents aux enseignants du service, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, en prononçant sa révocation, n'a pas pris une sanction disproportionnée à la gravité des fautes commises, quand bien même l'intéressé ne présente pas d'antécédents disciplinaires et peut se prévaloir d'une manière de servir satisfaisante.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Sa requête d'appel doit, par suite, être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2023, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 avril 2023.
La rapporteure,
Christelle D...Le président,
Jean-Claude Pauziès
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX02995 2