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28/03/2023 | FRANCE | N°22BX03043

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 28 mars 2023, 22BX03043


Vu la procédure suivante :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 24 juin 2019 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1903669 du 6 novembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 20BX01258 du 1er février 2021

, la présidente de la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel for...

Vu la procédure suivante :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 24 juin 2019 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1903669 du 6 novembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 20BX01258 du 1er février 2021, la présidente de la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.

Par une décision n° 461868 du 12 décembre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par M. A..., annulé l'ordonnance n° 20BX01258 du 1er février 2021 et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Procédure devant la cour :

Par un mémoire enregistré le 18 janvier 2023, M. A..., représenté par Me Da Ros, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 6 novembre 2019 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 24 juin 2019 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et prononcé une interdiction de retour sur le territoire d'une durée d'un an ;

3°) de lui accorder l'aide juridictionnelle ;

4°) d'enjoindre au préfet de Lot-et-Garonne à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour "mention vie privée et familiale", à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail, et de procéder à l'effacement de l'interdiction de retour sur le territoire français, assorti d'une astreinte de 100 euros par jour de retard au profit du requérant, à compter de huit jours suivant la date de notification de l'arrêt à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit ; le juge ne peut se borner aux conclusions de l'enquête réalisée par la police de l'air et des frontières (PAF) pour établir que des actes de l'état civil ou documents d'identité seraient dépourvus d'authenticité alors que l'avis technique défavorable ne porte que sur l'authenticité du jugement supplétif et non sur l'extrait du registre des actes d'état civil ; la date de naissance est identique et concordante avec les autres éléments d'état civil produits, notamment les deux cartes consulaires ; il justifie par les documents d'état civil produits de la réalité de son identité et de sa minorité lors de son arrivée sur le territoire français ainsi que de sa prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance ; le préfet de Lot-et-Garonne s'est abstenu de procéder aux vérifications utiles auprès des autorités guinéennes avant de contester la validité des actes d'état civils produits ; la comparaison des empreintes n'est pas de nature à établir une majorité et ne doit pas prévaloir sur la présomption édictée par l'article 47 du code civil ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- les dispositions de l'article L. 313-15 devenu L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues ; l'arrêté préfectoral attaqué n'a pas porté d'appréciation sur sa situation particulière au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de la formation effectuée, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française ; à la date de la décision de refus de séjour, il justifiait d'une formation professionnelle qualifiante de six mois, était inscrit en CAP charpente et disposait d'un contrat d'apprentissage depuis le mois d'octobre 2018 ; il a poursuivi sa formation en intégrant un CAP zinguerie en 2020 au CFA BTP du Lot-et-Garonne ;

- le préfet n'a pas pris en compte l'ensemble des éléments se rapportant à sa situation personnelle et familiale ;

- l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme a été méconnu ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;

- l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme a été méconnu ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- la décision est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français ;

- la décision est entachée d'une erreur de droit ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- le préfet n'a pas pris en compte l'ensemble des éléments se rapportant à sa situation personnelle et familiale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2023, le préfet de Lot-et-Garonne conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 13 février 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 1er mars 2023 à 12 heures.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 9 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code civil ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteur publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... B...,

- et les observations de Me Da Ros, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant guinéen, déclare être né le 17 mars 2001 et entré en France au mois de mai 2017. Il a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance du département de Lot-et-Garonne à compter du 3 juillet 2017 jusqu'à sa majorité et a demandé le 18 mars 2019 son admission au séjour en qualité de mineur placé de 16 à 18 ans. Par un arrêté du 24 juin 2019, le préfet de Lot-et-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Par un jugement n° 1903669 du 6 novembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 juin 2019. Par une ordonnance n° 20BX01258 du 1er février 2021, la présidente de la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement. Le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur saisine de M. A..., a annulé cette ordonnance par une décision n° 461868 du 12 décembre 2022 et a renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Sur la régularité du jugement :

2. Si M. A... soutient que le jugement serait entaché d'une erreur de droit, une telle critique du jugement relève de son bien-fondé et non de sa régularité.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

3. En premier lieu, aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article L. 111-6 du même code, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". L'article 47 du code civil, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée, prévoit que : " Tout acte de l'état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

4. L'article 47 du code civil pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays. Il résulte également de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

5. D'une part, le refus de séjour litigieux est fondé sur le motif tiré de ce que l'intéressé a fait l'objet d'un placement au service d'aide sociale à l'enfance alors qu'il était majeur lors de son arrivée en France. M. A... produit un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance du 22 novembre 2017 du tribunal de première instance de Conakry II, une transcription du jugement supplétif en date du 23 novembre 2017, faite par l'officier d'état civil de la commune de Ratoma, et deux cartes d'identité consulaires, délivrées l'une, le 27 juin 2019 par le ministère des affaires étrangères et des guinéens de l'étranger, l'autre, le 3 août 2018 par l'ambassade de Guinée à Paris le 23 novembre 2020, mentionnant qu'il est né le 17 mars 2001 à Conakry. Pour écarter ces documents au motif de leur caractère non authentique, le préfet s'est fondé sur un rapport d'examen technique documentaire de la police des frontières qui, s'il ne relève aucun problème matériel ou formel dans ces documents, émet un avis défavorable en raison de l'existence d'un réseau frauduleux de délivrance de jugements supplétifs alimentant les candidats au statut de mineur non accompagné. Toutefois, une telle circonstance est insuffisante pour retenir que la demande de titre de séjour de M. A... serait entachée d'une telle fraude et remettre en cause la date de naissance mentionnée sur l'acte d'état civil de l'intéressé, régulièrement établi en Guinée. D'autre part, si le préfet fait également valoir qu'en réponse à la demande de correspondance des empreintes digitales, formée par les autorités de police, dans le cadre d'une enquête diligentée pour escroquerie, identité imaginaire, faux et usage de faux, les autorités espagnoles ont indiqué qu'elles appartenaient à M. A..., né le 1er janvier 1998 à Conakry et entré illégalement à Ceuta, en Espagne le 23 février 2017, de tels faits, que le requérant admet et justifie par l'intention d'obtenir un laisser passer, qu'il n'aurait pu, selon lui obtenir en tant que mineur, ne sont pas de nature à remettre en cause les documents d'état civil produits. Dans ces conditions, l'administration ne peut être regardée comme établissant que la demande de titre de séjour de M. A... serait entachée d'une telle fraude. Dès lors le refus de titre en litige est entaché d'une erreur d'appréciation eu égard au jugement supplétif produit.

6. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance à compter du 23 août 2017. Il n'est ni établi, ni même allégué que sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public. Le préfet ne conteste pas le sérieux de la scolarité professionnelle, dans le secteur de la charpente-zinguerie, suivie par l'intéressé, à l'origine d'une promesse d'embauche en contrat à durée indéterminée. Il ne ressort pas enfin des pièces du dossier que le requérant entretiendrait des liens avec sa famille adoptive, restée dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le préfet de Lot-et-Garonne a, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de la situation de l'intéressé prise dans sa globalité et, en particulier, des éléments favorables sur son intégration dans la société française, entaché son refus de titre de séjour, d'une erreur d'appréciation.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Dès lors, il y a lieu d'annuler la décision de refus de titre de séjour du 24 juin 2019 ainsi que, par voie de conséquence, les décisions du même jour portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, fixant le pays de renvoi et l'interdisant de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

8. Eu égard aux motifs qui la fondent, l'annulation de l'arrêté du préfet de Lot-et-Garonne implique nécessairement la délivrance d'une carte de séjour à l'intéressé. Par suite, il y a lieu, en l'absence de changement de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, d'enjoindre au préfet de Lot-et-Garonne de délivrer à M. A... un titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

9. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me Da Ros.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1903669 du 6 novembre 2019 et l'arrêté du préfet de Lot-et-Garonne du 24 juin 2019 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de Lot-et-Garonne, dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt, de délivrer à M. A... un titre de séjour, et, dans l'attente, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.

Article 3 : L'Etat versera à Me Da Ros une somme de 1 200 euros en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Me Mylène Da Ros et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de Lot-et-Garonne.

Délibéré après l'audience du 7 mars 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Bénédicte Martin, présidente,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,

Mme Pauline Reynaud, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 mars 2023.

Le premier conseiller,

Michaël KauffmannLa présidente-rapporteure,

Bénédicte B...La greffière,

Caroline Brunier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX03043


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX03043
Date de la décision : 28/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MARTIN
Rapporteur ?: Mme Bénédicte MARTIN
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : POUDAMPA

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-03-28;22bx03043 ?
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