Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux, sous
le n° 1901256 d'annuler la décision du 15 janvier 2019 par laquelle le directeur du centre hospitalier Charles Perrens l'a suspendue à titre conservatoire de ses fonctions de cadre de santé paramédicale à compter du 16 janvier 2019, et sous le n° 1902611 d'annuler la décision
du 26 mars 2019 par laquelle la même autorité a prononcé à son encontre la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée d'un an dont six mois avec sursis, ainsi que d'enjoindre au directeur du centre hospitalier de la réintégrer dans ses fonctions, de lui verser les traitements correspondant à la période de suspension, et de la rétablir dans ses droits sociaux et de retraite.
Par un jugement nos du 1901256, 1902611 du 31 décembre 2020, le tribunal a rejeté
ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 15 février 2021, Mme A..., représentée par Me Georges, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions du directeur du centre hospitalier Charles Perrens
du 15 janvier 2019 et du 26 mars 2019 ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Charles Perrens une somme
de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision de suspension du 15 janvier 2019 :
- Mme C..., cadre supérieure de santé, lui a violemment reproché d'avoir divulgué des données confidentielles provenant de la direction des ressources humaines lors de son entretien d'évaluation du 18 octobre 2017, ce qui était faux ; cette hostilité s'est à nouveau manifestée par un courriel adressé le 10 août 2018 à tous les cadres de santé ; alors que ces incidents répétés étaient à l'origine de son arrêt maladie à compter du 7 septembre 2018, Mme C... a débuté le 8 septembre une série d'entretiens dans le but de donner du crédit à la fiction selon laquelle elle aurait commis des manquements professionnels ; ainsi, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la décision est entachée de détournement de pouvoir car le directeur s'est ainsi dispensé de régler un conflit entre cadres ;
- aucun lien n'est établi entre le prétendu comportement excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique qui lui est reproché et le suicide de l'un des agents qui avait témoigné, survenu deux mois après qu'elle ait été placée en arrêt maladie ; contrairement à ce que retient le tribunal, les éléments de l'enquête n'établissent l'existence d'aucun manquement professionnel, et les prétendues souffrances au travail des agents placés sous sa responsabilité ne sauraient lui être imputées ;
- le caractère de vraisemblance et de véracité des faits qui lui sont reprochés n'est pas rapporté, alors que ses qualités professionnelles, et notamment d'animation d'équipe, de communication et de relations interpersonnelles ont été constamment reconnues, notamment lors de l'entretien d'évaluation pour l'année 2020 ;
- il découle de la chronologie des faits que le directeur du centre hospitalier, nommé à compter du 15 janvier 2019, n'a pas été en mesure de prendre connaissance du mode de fonctionnement des équipes, des organisations des plannings et des relations entre les équipes et les cadres, de sorte que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il n'a pas pu prendre une décision personnelle dès sa prise de fonction;
En ce qui concerne la sanction du 26 mars 2019 :
- la décision, qui se borne à énoncer une série d'évènements ponctuels, ne permet pas de comprendre en quoi elle aurait eu un comportement de nature à caractériser une faute professionnelle ;
- elle a toujours respecté scrupuleusement les procédures administratives de pose de jours de congés, avec une bienveillance constante envers son équipe, et n'a pas manqué à ses obligations professionnelles concernant la gestion des plannings des agents qu'elle encadre ; le comportement autoritaire et l'absence de dialogue qui lui sont reprochés ne sont pas caractérisés ; aucun des faits rapportés par les agents n'apparaît constitutif d'un manquement professionnel ; ainsi, l'existence d'une faute disciplinaire n'est pas établie ;
- si sa gestion des plannings et son attitude managériale ne convenaient pas à la direction, la voie disciplinaire ne devait être employée qu'après l'échec d'autres mesures ; la sanction d'exclusion de fonctions d'un an dont six mois avec sursis est ainsi entachée d'erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 juin 2022, le centre hospitalier Charles Perrens, représenté par la SELARL Racine, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de Mme A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens invoqués par Mme A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Georges, représentant Mme A... et celles de Me Caïjeo, représentant le centre hospitalier spécialisé Charles Perrens.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., recrutée initialement en 1996 par le centre hospitalier spécialisé Charles Perrens en qualité d'infirmière contractuelle, titularisée en dernier lieu en qualité de cadre de santé le 4 décembre 2008 et affectée à l'unité " Lescure 1 " du centre hospitalier à compter
du 1er février 2016, a fait l'objet d'une suspension de fonctions à titre conservatoire par une décision du 15 janvier 2019, puis d'une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée d'un an, dont six mois avec sursis, par une décision du 26 mars 2019. Elle relève appel du jugement du 31 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux, après les avoir jointes, a rejeté ses demandes d'annulation de ces deux décisions.
Sur la légalité de la décision du 15 janvier 2019 :
2. Aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations
des fonctionnaires : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / (...). " Ces dispositions trouvent à s'appliquer dès lors que les faits imputés à l'intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité.
3. Il ressort des pièces du dossier qu'en septembre 2018, alors que Mme A... se trouvait en congé de maladie, plusieurs agents placés sous sa responsabilité se sont plaints de son comportement auprès de la cadre supérieure de santé, en invoquant notamment des faits à l'origine d'une grande souffrance au travail pour un infirmier, un aide-soignant et une agente des services hospitaliers. La cadre supérieure de santé a entendu huit agents, ainsi qu'une ancienne étudiante infirmière ayant effectué un stage dans le service. Une enquête administrative a ensuite été conduite par le directeur des soins et le directeur des ressources humaines, lesquels ont reçu en entretien, entre le 22 octobre 2018 et le 3 janvier 2019, chacun des vingt-trois agents encadrés par Mme A.... Il ressort des comptes rendus de ces entretiens que Mme A... pratiquait une gestion inéquitable des plannings et des congés, notamment en remettant en cause sans nécessité des congés posés de longue date, qu'elle réprimandait certains agents de façon disproportionnée pour des incidents mineurs, et qu'elle avait à plusieurs reprises mis en difficulté des étudiants en stage lors d'entretiens en tête à tête dont ils étaient ressortis en larmes. Si les personnes auditionnées n'ont pas toutes exprimé des plaintes personnelles, elles ont presque unanimement fait état d'un management inéquitable ayant des répercussions négatives sur la cohésion de l'équipe, ainsi que des difficultés rencontrées par l'infirmier, l'aide-soignant et l'agente des services hospitaliers, dont la dégradation de l'état de santé avait été constatée. Les personnes entendues ont qualifié ces agents de bons professionnels malmenés par Mme A..., les deux premiers ayant fini par adopter une stratégie d'évitement en privilégiant le travail de nuit. Plus précisément, il ressort des témoignages que l'infirmier a été sévèrement admonesté pour avoir quitté son travail avec 20 minutes d'avance un jour de juin 2017 alors qu'il en avait informé la cadre de santé, cet incident qualifié d'abandon de poste et de faute professionnelle grave ayant été mentionné dans son évaluation de l'année 2017. Mme A... a ensuite réduit ses congés d'été, le privant de vacances avec ses enfants, puis ses congés de fin d'année, le contraignant à travailler les deux jours de fête. Après avoir exercé des pressions sur l'aide-soignant pour qu'il change son planning à l'arrivée d'un nouveau collègue, ce qu'il ne souhaitait pas, Mme A... lui a violemment reproché d'avoir changé d'avis lorsqu'il a fini par accepter, et ne lui a plus adressé la parole durant plusieurs jours. Elle a eu en outre une attitude méprisante envers cet agent en l'interrogeant de manière répétée sur sa maîtrise de l'écrit et en exprimant des doutes sur sa capacité à mener à bien son projet de devenir infirmier lors de l'entretien d'évaluation de 2018, à la suite duquel l'intéressé, qui s'est senti profondément humilié, a été placé en congé de maladie pour trois semaines. L'agente des services hospitaliers a fait l'objet d'une remise en cause de congés programmés de longue date pour son voyage de noces, alors qu'un remplacement était possible et a finalement été accepté. Mme A... lui a fait des remontrances violentes et injustifiées pour un incident, au demeurant non fautif, dont elle n'était pas responsable. Selon de nombreux témoignages, ces trois agents n'étaient pas traités équitablement, et d'une manière générale, Mme A... avait tendance à malmener les personnes introverties, qu'elle déstabilisait en mettant en cause leurs compétences lors d'entretiens en tête à tête.
4. Contrairement à ce que soutient Mme A..., qui ne peut utilement se prévaloir de son évaluation de l'année 2020 postérieure à la décision contestée, et dont l'évaluation de 2017 avait conclu à la nécessité de réfléchir et travailler sur son mode de communication en lien avec son positionnement de cadre, les éléments précis et concordants exposés au point précédent sont suffisamment vraisemblables et caractérisent un manquement grave aux obligations professionnelles d'équité et de respect du personnel incombant à un cadre de santé.
5. Les éléments recueillis lors de l'enquête administrative suffisaient à caractériser une faute grave permettant de prononcer une suspension de fonctions à l'encontre de Mme A.... Par suite, la circonstance que le nouveau directeur du centre hospitalier Charles Perrens avait été nommé et avait pris ses fonctions le 15 janvier 2019 n'est pas de nature à le faire regarder comme insuffisamment informé pour décider le même jour la suspension de fonctions de Mme A....
6. Dès lors que la décision du 15 janvier 2019 n'est pas entachée d'erreur d'appréciation, le moyen tiré du détournement de pouvoir ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité de la décision du 26 mars 2019 :
7. En premier lieu, en vertu des dispositions de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983, la décision prononçant une sanction disciplinaire doit être motivée. L'autorité qui prononce la sanction est tenue de préciser les griefs qu'elle entend retenir à l'encontre du fonctionnaire, de sorte que ce dernier puisse, à la seule lecture de la décision, connaître les motifs de la sanction qui le frappe.
8. Après avoir indiqué que Mme A... avait adopté, à partir de l'année 2017, un comportement managérial incompatible avec l'exercice de ses fonctions, ayant entraîné de graves répercussions sur les conditions de travail des agents de son service, notamment de l'infirmier, de l'aide-soignant et de l'agente des services hospitaliers mentionnés au point 3, ainsi que d'élèves infirmiers, la décision du 26 mars 2019 fait état de l'utilisation des congés et plannings comme un moyen de pression, du rappel d'agents en congé, d'un comportement autoritaire accompagné d'une absence de dialogue, ainsi que d'une attitude et de propos méprisants et désobligeants, notamment auprès des élèves infirmiers. Elle détaille les faits précis, corroborés par les témoignages d'agents nommément désignés, caractérisant chacun des comportements fautifs reprochés. Contrairement à ce que soutient Mme A..., cette décision ne se borne pas à énoncer une série d'évènements ponctuels, mais permet de comprendre, à la lecture, les motifs de la sanction. Elle est ainsi suffisamment motivée.
9. En second lieu, en se bornant à affirmer qu'elle aurait fait preuve d'une bienveillance constante envers son équipe, Mme A... ne conteste pas sérieusement la matérialité du comportement reproché. Contrairement à ce qu'elle soutient, les faits rapportés par ses subordonnés lors de l'enquête administrative sont fautifs, ainsi qu'il a été dit au point 4. Alors que Mme A... avait été alertée, lors de son évaluation de l'année 2017, sur la nécessité d'approfondir la question du travail en équipe et de réfléchir et travailler sur son mode de communication en lien avec son positionnement de cadre, la sanction d'exclusion de fonctions d'un an dont six mois avec sursis n'est pas entachée d'erreur d'appréciation. Si Mme A... allègue avoir été victime d'un harcèlement moral par sa supérieure hiérarchique, ce que les pièces produites ne démontrent pas, une telle circonstance ne saurait justifier son propre comportement à l'encontre de ses subordonnés.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
11. Mme A..., qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à sa charge une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le centre hospitalier Charles Perrens à l'occasion du présent litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Mme A... versera au centre hospitalier Charles Perrens une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... et au centre hospitalier Charles Perrens.
Délibéré après l'audience du 28 février 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 mars 2023.
La rapporteure,
Anne B...
La présidente,
Catherine GiraultLe greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21BX00571