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02/03/2023 | FRANCE | N°21BX01204

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 02 mars 2023, 21BX01204


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de la Martinique, d'une part, d'annuler l'arrêté du 27 août 2018 par lequel le recteur de l'académie de la Martinique lui a infligé un blâme et, d'autre part, de condamner l'État à lui verser la somme de 150 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 1800585 du 22 décembre 2020, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête

et un mémoire, enregistrés le 20 mars 2021 et le 8 octobre 2021, Mme C..., représentée par Me Be...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de la Martinique, d'une part, d'annuler l'arrêté du 27 août 2018 par lequel le recteur de l'académie de la Martinique lui a infligé un blâme et, d'autre part, de condamner l'État à lui verser la somme de 150 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 1800585 du 22 décembre 2020, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 mars 2021 et le 8 octobre 2021, Mme C..., représentée par Me Bel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 22 décembre 2020 ;

2°) d'annuler l'arrêté du recteur de l'académie de la Martinique du 27 août 2018 ;

3°) de condamner l'État à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a été informée de l'engagement d'une procédure disciplinaire à son encontre que deux mois après l'entretien préalable du 30 avril 2018 ;

- l'arrêté du 27 août 2018 n'est pas suffisamment motivé ;

- en vertu de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, certains des faits qui lui sont reprochés étaient prescrits ;

- la principale du collège s'est rendue coupable des faits de dénonciation calomnieuse ;

- l'arrêté litigieux est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux fautes retenues ;

- elle est victime de faits de harcèlement moral, qui ont un fort impact sur sa situation personnelle et professionnelle ;

- elle a subi un préjudice moral qui doit être évalué à hauteur de 15 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 septembre 2021, le recteur de l'académie de la Martinique conclut au rejet de la requête et demande de condamner Mme C... à une amende de 1 000 euros sur le fondement de l'article R. 741-12 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête de Mme C... est irrecevable dès lors qu'elle a été enregistrée postérieurement au délai de deux mois prévu par l'article R. 811-2 du code de justice administrative ;

- les moyens de Mme C... ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions du recteur de l'académie de la Martinique tendant à ce qu'une amende au titre de l'article R. 741-12 du code de justice administrative soit prononcée, la faculté prévue par ces dispositions relevant d'un pouvoir propre du juge.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... B...,

- et les conclusions de M. Romain Roussel Cera, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., professeure d'anglais certifiée, a été affectée au collège de Sainte-Luce (Martinique) du 1er septembre 2013 au 31 août 2018. Par un arrêté du 27 août 2018, le recteur de l'académie de la Martinique lui a infligé un blâme. Mme C... relève appel du jugement du 22 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 27 août 2018 et à la condamnation de l'État à lui verser la somme de 150 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison du harcèlement moral dont elle aurait été victime.

Sur la légalité de l'arrêté du 27 août 2018 :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite d'une alerte des services du rectorat par la principale du collège de Sainte-Luce et par des parents d'élèves sur le comportement de Mme C..., cette dernière a été convoquée par la directrice des ressources humaines du rectorat de la Martinique à un entretien, qui s'est déroulé le 30 avril 2018. Il ressort du compte-rendu de cet entretien qu'il ne revêtait pas un caractère disciplinaire, contrairement à ce que soutient la requérante, mais qu'il avait seulement pour objet d'interroger l'intéressée sur les comportements rapportés par la cheffe d'établissement et les parents d'élèves et de lui apporter des conseils. La circonstance qu'il a été décidé, à l'issue de cet entretien, d'engager une procédure disciplinaire à son encontre, est sans incidence sur la régularité de cette procédure disciplinaire, alors même que l'engagement de cette procédure n'a été porté à sa connaissance que par un courrier du 26 juin 2018. Par ailleurs, ledit courrier mentionnait la possibilité pour Mme C... d'obtenir la communication intégrale de son dossier et de se faire assister par un défenseur de son choix, conformément aux exigences de l'article 1er du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'État. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance " des dispositions du décret du 25 octobre 1984 " et des droits de la défense doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes du dernier alinéa l'article de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Le pouvoir disciplinaire appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination. (...) Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe par les dispositions statutaires relatives aux fonctionnaires publiques de l'État, territoriale et hospitalière ne peut être prononcée sans consultation préalable d'un organisme siégeant en conseil de discipline dans lequel le personnel est représenté. L'avis de cet organisme de même que la décision prononçant une sanction disciplinaire doivent être motivés ".

4. L'arrêté litigieux énumère les faits reprochés à Mme C..., tels que ses retards répétés aux premières heures des cours de la matinée, ses absences aux réunions des vendredis après-midi, les propos humiliants et dégradants qu'elle a tenus à l'encontre de ses élèves, la projection d'un film d'horreur en classe, l'absence de justification du service non fait, ou encore des postures et comportements inappropriés, qui sont qualifiés de manquements à ses missions et obligations de fonctionnaire constituant des fautes. Ces éléments, qui sont suffisamment précis, ont permis à l'intéressée de comprendre les motifs pour lesquels une sanction était prononcée à son égard, et de les contester utilement, alors même que n'étaient pas indiquées les dates des retards, la teneur des propos humiliants qui lui étaient reprochés, les circonstances dans lesquelles elle n'aurait pas accompli son service, ou encore la nature des comportements inappropriés qu'elle aurait adopté. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté du 27 août 2018 doit être écarté.

5. En troisième lieu, si Mme C... soutient qu'elle a fait l'objet de dénonciations calomnieuses de la part de la principale du collège de Sainte-Luce, notamment à travers les éléments contenus dans le rapport établi par cette dernière le 22 juin 2017, aucun des faits figurant dans ce rapport, contestés par la requérante, à savoir les retards de l'intéressée entre les interclasses, l'absence d'inscription de ses élèves au jeu-concours " The Big Challenge " ou encore la " surnotation " des élèves, n'a fondé l'arrêté du 27 août 2018 en litige. Par suite, ce moyen doit être écarté comme inopérant.

6. En quatrième lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction. (...) Passé ce délai et hormis le cas où une autre procédure disciplinaire a été engagée à l'encontre de l'agent avant l'expiration de ce délai, les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d'une procédure disciplinaire ". Aux termes de l'article 29 de la même loi : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale (...) ". Enfin, aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'État : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : - l'avertissement ; / - le blâme (...) ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

7. Le recteur de l'académie de la Martinique s'est fondé, pour infliger la sanction du blâme à Mme C..., sur les circonstances qu'elle a égaré une copie d'une élève de 6ème, que les dossiers d'histoire des arts d'élèves de 3ème en sa possession ont été dégradés, qu'elle présente des retards répétés aux premières heures de cours en matinée, qu'elle est absente aux réunions des vendredis après-midi, qu'elle tient des propos humiliants, dégradants et vexatoires à l'encontre des élèves, qu'elle a projeté des films d'horreur en classe, qu'elle n'a pas justifié du service non-fait et qu'elle adopte des postures et comportements inappropriés.

8. D'une part, le recteur de la Martinique ne conteste pas que les faits relevant de la perte de la copie d'une élève et de la dégradation des dossier d'histoire des arts des élèves de 3ème se sont déroulés respectivement au cours des années scolaires 2013-2014 et 2014-2015, plus de trois avant que la sanction en litige n'ait été prononcée. D'autre part, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que Mme C... aurait été absente à des réunions organisées les vendredis après-midi.

9. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport de la cheffe d'établissement du 22 juin 2017, que Mme C... se présente régulièrement en retard aux premières heures des cours. Par ailleurs, il ressort des courriels du 22 février 2018 et du 2 mars 2018 émanant de la cheffe d'établissement que Mme C... n'a pas justifié des absences des 5, 6, 7 et 19 février 2018. A cet égard, la requérante ne verse au dossier aucun élément, tel qu'un arrêt de maladie, permettant de justifier de ces absences, contrairement à ce qu'elle soutient. En outre, il n'est pas contesté qu'elle a projeté à plusieurs de ses classes des films d'horreur, lesquels sont susceptibles de choquer des collégiens impressionnables, alors même qu'ils auraient été âgés de plus de douze ans. Enfin, il ressort de plusieurs courriers des parents d'élèves rédigés en 2018 que Mme C... a évoqué des éléments de sa vie personnelle en classe, qu'elle a refusé de prendre en charge, le 25 avril 2018, une classe de 3ème avec laquelle elle rencontrait des difficultés, et qu'elle a tenu des propos inappropriés à l'égard de ses élèves. L'ensemble de ces faits, qui sont intervenus en 2017 ou en 2018, soit dans le délai de trois ans prévu par le deuxième alinéa de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, est de nature à caractériser une faute justifiant une sanction. Par ailleurs, la sanction du blâme, qui relève du premier groupe des sanctions disciplinaires, n'est pas disproportionnée au regard des faits ainsi décrits et reprochés à Mme C..., qui étaient à eux seuls de nature à justifier cette sanction. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation qu'aurait commise le recteur doit être écarté.

Sur les conclusions indemnitaires :

10. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " (...) Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ". Ces dispositions n'impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l'existence d'une décision de l'administration s'apprécie à la date de son introduction. Cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l'administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle. Par suite, l'intervention d'une telle décision en cours d'instance régularise la requête, sans qu'il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l'administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l'absence de décision.

11. Il résulte de l'instruction que Mme C... a demandé l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison du harcèlement moral dont elle aurait été victime par un courrier du 18 novembre 2020, reçu le 20 novembre suivant par le recteur de l'académie de la Martinique. Le jugement du tribunal administratif de la Martinique ayant été mis à disposition le 22 décembre 2020, aucune décision de l'administration susceptible de lier le contentieux n'était née à la date à laquelle les premiers juges ont statué. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de la Martinique a considéré que les conclusions indemnitaires présentées par Mme C... étaient irrecevables.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 août 2018 et à la condamnation de l'État à lui verser une somme au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur l'amende pour recours abusif :

13. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ". La faculté prévue par ces dispositions constituant un pouvoir propre du juge, les conclusions du recteur de l'académie de la Martinique tendant à ce que Mme C... soit condamnée à une telle amende ne sont pas recevables.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du recteur de l'académie de la Martinique tendant à la condamnation de Mme C... à une amende au titre de l'article R. 741-12 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Copie en sera adressée au recteur de l'académie de la Martinique.

Délibéré après l'audience du 9 février 2023 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Claude Pauziès, président,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mars 2023.

La rapporteure,

Charlotte B...Le président,

Jean-Claude Pauziès

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX01204 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01204
Date de la décision : 02/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. PAUZIÈS
Rapporteur ?: Mme Charlotte ISOARD
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : BEL

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-03-02;21bx01204 ?
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