Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler les décisions du président du centre communal d'action sociale (CCAS) de l'Etang-Salé lui ayant implicitement refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle sollicitée le 14 mars 2017 et le 12 juin 2017.
Par un jugement n° 1700919 du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de La Réunion a annulé la décision implicite de rejet née le 12 août 2017 du silence gardé par le président du centre communal d'action sociale (CCAS) de la commune de l'Etang-Salé sur la demande de protection fonctionnelle de Mme A... et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 février 2021, le CCAS de l'Etang-Salé, représenté par Me Boniface, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 19 novembre 2020 du tribunal administratif de La Réunion ;
2°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est devenue sans objet dès lors que le tribunal correctionnel a accordé à Mme A... des indemnités et une somme au titre de la participation à ses frais d'avocat ;
- le jugement attaqué est irrégulier faute de comporter les signatures exigées par les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- la demande de première instance était irrecevable dès lors que la décision implicite de refus attaquée par Mme A... n'existe pas : il a été répondu de manière expresse à sa demande du 14 mars 2017 sur laquelle elle a été invitée à apporter des précisions le 15 mars suivant, le courrier du 12 juin 2017 est un recours gracieux et non une nouvelle demande de protection fonctionnelle ;
- la demande de protection fonctionnelle de Mme A... n'était pas justifiée dès lors qu'aucun des griefs invoqués ne présentaient le caractère d'attaques au sens de la loi du 13 juillet 1983 ; ces griefs n'ont pas été retenus par le tribunal correctionnel.
Par un mémoire enregistré le 29 avril 2021, Mme A..., représentée par Me Maillot, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 170 euros soit mise à la charge du CCAS de l'Etang-Salé sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de première instance était recevable ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... B...,
- et les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., attachée principale territoriale, a été nommée directrice du centre communal d'action sociale (CCAS) de l'Etang-Salé au mois de septembre 2013. Par un courrier en date du 14 mars 2017, l'intéressée, qui était placée en congé de maladie pour un syndrome anxio-dépressif depuis le 8 novembre 2016, a demandé au président de ce CCAS de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par un courrier en date du 15 mars 2017, ledit président a demandé à Mme A... de préciser les termes de sa demande en vue de l'instruire. Par un courrier en date du 12 juin 2017, Mme A... a notamment saisi le président du CCAS de l'Etang-Salé d'une contestation du " refus implicite de protection fonctionnelle " opposé à " sa demande du 14 mars 2017 ". Ce courrier est demeuré sans réponse. Mme A... a alors demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler les décisions du président du CCAS de l'Etang-Salé lui ayant implicitement refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle sollicitée le 14 mars 2017 puis le 12 juin 2017.
2. Par un jugement du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de La Réunion, après avoir rejeté comme irrecevables les conclusions dirigées contre la " prétendue décision implicite de refus de protection fonctionnelle consécutive à la demande du 14 mars 2017 ", a annulé la décision implicite née le 12 août 2017 du silence gardé par le président du CCAS de l'Etang-Salé sur la demande de protection fonctionnelle présentée le 12 juin 2017 par Mme A.... Le CCAS de l'Etang-Salé doit être regardé comme relevant appel de ce jugement en tant que, par son article 1er, il a annulé cette décision implicite de refus d'octroi de la protection fonctionnelle.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
3. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande d'octroi de la protection fonctionnelle de Mme A... ait été satisfaite. Dès lors, et alors même que, par un jugement du 25 avril 2019, le tribunal correctionnel de Saint-Pierre a condamné l'auteur des faits de harcèlement moral subis par Mme A... à l'indemniser des préjudices en résultant et au paiement des frais liés au litige, la requête n'a pas perdu son objet. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer opposée par le CCAS de l'Etang-Salé ne peut qu'être écarté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
5. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement attaqué a été signée conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée à l'appelant ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
6. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier en date du 14 mars 2017, réceptionné par l'administration le jour même, Mme A... a demandé au président du CCAS de l'Etang-Salé de lui accorder " le bénéfice de la protection fonctionnelle, l'assistance juridique ainsi que la prise en charge des frais d'avocat (qu'elle était) amenée à engager ". Par un courrier en date du 15 mars 2017, ledit président a demandé à Mme A... de préciser les termes de sa demande afin de l'instruire. Par un courrier en date du 12 juin 2017, Mme A... a exposé les agissements constitutifs selon elle de harcèlement moral dont elle estimait avoir été victime au sein du service et la dégradation de son état de santé en étant résulté. Toutefois, ce courrier, eu égard aux termes dans lesquels il est rédigé, ne peut être regardé ni, ainsi que l'a à tort estimé le tribunal administratif, comme une nouvelle demande de protection fonctionnelle ni comme une réponse à la demande de précisions adressée le 15 mars 2017 à Mme A... pour procéder à l'instruction de sa demande. Ainsi que le relève le CCAS de l'Etang-Salé, après y avoir expliqué qu'elle " a sollicité la protection fonctionnelle le 14 mars 2017 " et indiqué " que cette protection ne lui a pas été accordée ", Mme A... y précise qu'elle conteste " ce refus explicite " contre lequel elle entend exercer un " recours " qu'elle qualifie de " recours gracieux " dans ses propres écritures tant de première instance que d'appel. Dans ces conditions, Mme A... doit être regardée comme ayant exercé, par son courrier en date du 12 juin 2017, un recours gracieux contre la décision implicite de rejet qui est née le 14 mai 2017 du silence gardé par le président du CCAS de l'Etang-Salé sur la demande de protection fonctionnelle, alors même qu'elle était dépourvue de précision, dont elle l'avait saisi le 14 mars 2017.
7. Il résulte de ce qui précède que le CCAS de l'Etang-Salé n'est pas fondé à se plaindre de ce que les premiers juges ont écarté la fin de non-recevoir opposée aux conclusions dirigées contre la décision implicite de rejet née le 12 août 2017 du silence gardé par son président sur le recours gracieux exercé le 12 juin 2017.
En ce qui concerne le moyen retenu par le tribunal administratif :
8. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ". Aux termes de l'article 11 de la même loi : " La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ". Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
9. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
10. Mme A... a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle à raison d'agissements selon elle constitutifs de harcèlement moral de la part du président du CCAS de l'Etang-Salé dont elle avait souligné le comportement particulièrement hostile lors de la période au cours de laquelle elle était en congé de maladie pour un syndrome anxio-dépressif et à l'issue de ce congé. Il ressort à cet égard des pièces du dossier qu'elle a fait l'objet, dans un courrier du 25 novembre 2016, d'insinuations outrageantes puis de vives pressions destinées à l'inciter à présenter une demande de mutation. Elle a été finalement déchargée de son emploi de directrice et affectée sur un poste de " chargée de mission habitat-logement " dépourvu de consistance, par une décision du président du CCAS de l'Etang-Salé du 19 mai 2017 que le tribunal administratif a annulée par un jugement du 24 juin 2019, confirmé par un arrêt de la cour du 13 juillet 2022. Le même jugement a en outre annulé les trois arrêtés du 12 juin 2017 par lesquels le président du CCAS de l'Etang-Salé avait par ailleurs supprimé l'indemnité d'exercice des missions des préfectures, l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires et la nouvelle bonification indiciaire dont Mme A... bénéficiait. Il ressort enfin des pièces du dossier que, par un jugement du 25 avril 2019 devenu définitif, le tribunal correctionnel de Saint-Denis-de-La-Réunion a déclaré le président du CCAS de l'Etang-Salé coupable de faits de harcèlement sur Mme A... et a condamné le prévenu à une peine de trois mois d'emprisonnement assortie d'un sursis et à 5 000 euros d'amende ainsi qu'à l'indemnisation des préjudices subis par Mme A.... Alors que les éléments avancés par cette dernière sont de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral de la part de sa hiérarchie, l'administration ne développe aucune argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause étaient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.
11. Il résulte de ce qui précède que le CCAS de l'Etang-Salé n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé comme étant entachée d'erreur d'appréciation la décision implicite de rejet de la demande de protection fonctionnelle présentée par Mme A....
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CCAS de l'Etang-Salé une somme de 1 500 euros à verser à Mme A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soient accueillies les conclusions présentées par le CCAS de l'Etang-Salé, partie perdante dans la présente instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête du CCAS de l'Etang-Salé est rejetée.
Article 2 : Le CCAS de l'Etang-Salé versera à Mme A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au CCAS de l'Etang-Salé et à Mme D... A....
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Florence Demurger, présidente,
Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,
M. Anthony Duplan, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 février 2023.
La rapporteure,
Karine B...
La présidente,
Florence Demurger
La greffière,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au préfet de La Réunion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21BX00674