Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 18 août 2021 par lequel la préfète de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, ensemble l'arrêté du même jour par laquelle la préfète de la Gironde l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 2104298 du 25 août 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 31 mars 2022, M. C..., représenté par Me Meaude, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 25 août 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 18 août 2021 par lequel la préfète de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Sur la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire :
- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur de droit dès lors que la préfète de la Gironde ne justifie pas lui avoir notifié une première décision d'éloignement et qu'il n'a pas explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à une obligation de quitter le territoire français ;
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire national :
- elle est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
La requête a été communiquée à la préfète de la Gironde qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant arménien né le 18 janvier 1999, déclare être entré en France en janvier 2018. Il a présenté une demande d'asile qui a été rejetée par des décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 9 mars 2018 et de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 22 octobre 2018. Par arrêté du 18 août 2021, la préfète de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. M. C... relève appel du jugement du 25 août 2021 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité des décisions attaquées :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Si M. C... soutient que la mesure d'éloignement contestée porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, il n'apporte aucun élément nouveau de nature à infirmer l'appréciation de la première juge, qui a relevé que l'ensemble des membres de sa famille, à l'exception d'une sœur, étaient présents sur le territoire français de façon irrégulière et qu'il n'était pas dépourvu de tout lien avec son pays d'origine où résident encore deux autres de ses sœurs et où il a lui-même vécu jusqu'à l'âge de 19 ans. Par ailleurs, s'il produit deux attestations relatives à une formation dans les métiers de la vigne et à un stage de deux mois réalisé dans un garage automobile, il ne justifie pas ainsi d'une intégration particulière dans la société française. Dans ces conditions, et au regard du caractère récent de sa présence en France, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, cette décision n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle.
En ce qui concerne le refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :
4. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ".
5. Il ressort des termes de la décision en litige que, pour refuser à M. C... l'octroi d'un délai de départ volontaire, la préfète s'est fondée sur les circonstances que l'intéressé s'était soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement et qu'il avait explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à la mesure d'éloignement prononcée. Toutefois, d'une part, s'il ressort du procès-verbal d'audition établi par les services de police le 18 août 2021 que M. C... a déclaré qu'il " [ne voulait pas] repartir en Arménie car il y a beaucoup de problèmes et [qu'il voudrait] travailler en France ", une telle déclaration ne peut en l'espèce être comprise comme exprimant une volonté explicite de l'intéressé de se soustraire à la mesure d'éloignement dont il faisait l'objet. M. C... est ainsi fondé à soutenir que, contrairement à ce qu'a estimé la première juge, la préfète de la Gironde a commis une erreur de droit en se fondant sur les dispositions précitées du 4° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour lui refuser de lui accorder un délai de départ volontaire. D'autre part, et ainsi que l'a estimé la première juge, la préfète a commis une erreur de fait en fondant sa décision sur les dispositions du 5° du même article dès lors qu'elle n'établit pas avoir notifié à M. C... l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français qu'elle allègue avoir édicté le 29 janvier 2019. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée du tribunal administratif a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision par laquelle la préfète de la Gironde a refusé de lui octroyer un délai de départ volontaire.
En ce qui concerne la décision fixant le pays du renvoi :
6. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants ".
7. M. C... soutient qu'en cas de retour en Arménie, il serait soumis à l'obligation de service militaire et serait envoyé à la frontière avec l'Azerbaïdjan, zone qui connaît des épisodes de violence dans le cadre du conflit opposant ces deux pays. Si la documentation générale qu'il fournit à l'appui de son moyen confirme que l'intéressé est concerné par l'obligation d'effectuer un service militaire d'une durée de deux ans et que le non-respect de cette obligation est sanctionné par une amende et une peine de prison, M. C... n'apporte aucun élément de nature à établir qu'à la date de la décision contestée, il était exposé à un risque actuel et personnel de subir des traitements inhumains et dégradants. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
8. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ".
9. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 du présent arrêt que la préfète de la Gironde ne pouvait pas légalement refuser d'accorder un délai de départ volontaire à l'appelant. Par suite, elle ne pouvait pas davantage lui faire interdiction de revenir sur le territoire français sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. C... est seulement fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des décisions de la préfète de la Gironde du 18 août 2021 portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Il est également fondé, par voie de conséquence, à demander l'annulation de ces décisions.
Sur les frais liés au litige :
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. C... sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 25 août 2021 est annulé en tant qu'il a rejeté les demandes de M. C... tendant à l'annulation des décisions de la préfète de la Gironde du 18 août 2021 lui refusant un délai de départ volontaire et lui faisant interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
Article 2 : Les décisions de la préfète de la Gironde du 18 août 2021 refusant à M. C... un délai de départ volontaire et lui faisant interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans sont annulées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 17 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 février 2023.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve A...
Le président,
Didier Artus La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX01029