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02/02/2023 | FRANCE | N°22BX01855

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 02 février 2023, 22BX01855


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. J... D... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler l'arrêté du 12 juin 2022 par lequel le préfet de la Martinique lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 220366 du 17 juin 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de la Martinique a annulé l'arrêté du 12 juin 2022, a enjoint au

préfet de la Martinique de réexaminer la situation de M. D... dans un délai de deux ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. J... D... a demandé au tribunal administratif de la Martinique d'annuler l'arrêté du 12 juin 2022 par lequel le préfet de la Martinique lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 220366 du 17 juin 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de la Martinique a annulé l'arrêté du 12 juin 2022, a enjoint au préfet de la Martinique de réexaminer la situation de M. D... dans un délai de deux mois et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 juillet 2022, le préfet de la Martinique demande à la cour d'annuler ce jugement du 17 juin 2022 du tribunal administratif de la Martinique.

Il soutient que c'est à tort que le tribunal a considéré que l'arrêté du 12 juin 2022 méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le récit de Mme G..., dans les deux attestations qui n'ont pu être rédigées que par celle-ci, est contradictoire avec les propos tenus par M. D... lors de ses interpellations par les services de police en 2017, 2018 et 2019 qui laissaient entendre qu'il n'avait alors pas de relation avec une ressortissante française

et qu'il avait peu de contacts avec sa mère et son frère qui résident en France ; en outre, l'intéressé ne démontre pas avoir, pendant sa minorité, rendu visite à plusieurs reprises à ces derniers ; il ne produit aucune pièce démontrant une communauté de vie effective avec Mme G... et il a précisé, lors de son audition par les services de police en 2019, que son fils âgé de 12 ans ainsi que la majorité de ses proches résident à H....

Par une ordonnance du 24 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée

au 24 novembre 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant de H..., est entré irrégulièrement sur le territoire français en 2016. Par un arrêté du 17 janvier 2017, qui a été exécuté, le préfet de la Martinique lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Il est cependant revenu en France, et par un arrêté du 19 avril 2018, le préfet de la Martinique lui a, à nouveau, fait obligation quitter le territoire français sans délai et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Le 25 juillet 2019, il a à nouveau été interpellé par les services de police pour séjour irrégulier. Le même jour, il a fait l'objet d'une mesure d'éloignement. Le 11 juin 2022, M. D... a été placé en garde à vue pour défaut de permis de conduire, défaut d'assurance et conduite sous l'emprise de stupéfiants, ce qui a permis de constater un nouveau séjour irrégulier. Par un arrêté du 12 juin 2022, le préfet de la Martinique lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans. Par un jugement n° 2200366 du 17 juin 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de la Martinique a annulé l'arrêté du 12 juin 2022, a enjoint au préfet de la Martinique de réexaminer la situation de M. D... dans un délai de deux mois et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le préfet de la Martinique relève appel de ce jugement.

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. D... est arrivé pour la première fois sur le territoire français en 2016, a fait l'objet de plusieurs mesures d'éloignement effectivement exécutées et n'a pas respecté les interdictions de retour qui lui avaient été notifiées. L'intéressé soutient qu'il entretient une relation avec une ressortissante française depuis 2017. Toutefois, il ressort des procès-verbaux de ses auditions par les services de police en date

des 17 janvier 2017, 19 avril 2018 et 25 juillet 2019 qu'il a déclaré être célibataire et n'a pas fait mention d'une telle relation. En outre, s'il se prévaut de la présence de sa mère et de son demi-frère en France, il ressort du procès-verbal de son audition par la police

du 25 juillet 2019 qu'il a déclaré entretenir peu de liens avec ceux-ci. Le contrat de location et l'attestation établie par la mairie de Fort-de-France selon laquelle un mariage est prévu entre l'intéressé et Mme B... A..., de nationalité française, ne suffisent pas à attester de l'ancienneté de leur communauté de vie. Si M. D... produit deux attestations

du 13 juin 2022, qui auraient été rédigées par sa mère et Mme B... A..., celle-ci sont contradictoires avec ses propres déclarations. En revanche, il ressort des pièces du dossier que M. D... a un fils à H..., pays où réside la majorité des proches de l'intéressé. Par ailleurs, M. D... a été interpellé et placé en garde à vue par les services de police de Fort de France le 11 juin 2022 pour des faits de défaut de permis de conduire, de défaut d'assurance et de conduite sous l'emprise de stupéfiants. Enfin, il ressort du procès-verbal de son audition du 11 juin 2022, durant laquelle il a déclaré être entré sur le territoire français il y a trois ans, que l'intéressé ne s'est pas conformé à la dernière interdiction de retour dont il a fait l'objet le 25 juillet 2019. Dans ces conditions, la décision obligeant M. D... à quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard du but en vue duquel elle a été prise.

4. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de la Martinique s'est fondé sur une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour annuler l'arrêté en litige.

5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le tribunal administratif de la Martinique.

6. L'arrêté a été signé par M. F... C..., sous-préfet de l'arrondissement du Marin. Si le préfet a produit devant le tribunal un arrêté du 24 janvier 2022, publié au recueil des actes administratifs le même jour, donnant délégation à M. C... pour signer tous actes et arrêtés en toutes matières intéressant l'arrondissement, il est constant que M. D... réside à Fort de France, où il a été interpellé par les services de police. Toutefois, l'article 5 du même arrêté donne délégation à M. C... pendant les permanences de week-end pour signer toute mesure justifiée par l'urgence. Le 11 juin 2022 étant un samedi, et l'éloignement d'un étranger interpellé pour infractions et situation irrégulière devant être regardé comme relevant de l'urgence, le moyen tiré de l'incompétence de M. C..., pour tous les aspects de la décision, doit être écarté.

7. Contrairement à ce que soutenait M. D..., l'obligation de quitter le territoire français est suffisamment motivée tant en rappelant les multiples mesures d'éloignement dont il a fait l'objet et son interpellation pour infraction au code de la route et détention de stupéfiants, qu'en soulignant que ses liens familiaux en France ne sont pas anciens, intenses et stables et que son fils de 12 ans et d'autres membres de sa famille résident à H.... L'intéressé n'établit pas avoir informé le préfet que son père, dont il avait lors des auditions précédentes indiqué qu'il résidait à H..., serait désormais " depuis son enfance " aux Etats-Unis, et l'auteur de la décision n'avait pas à détailler toutes les composantes de sa famille présentes respectivement en Martinique et à H....

8. S'agissant de la motivation des décisions subséquentes, le sous-préfet a visé en tête de son arrêté l'ensemble des dispositions applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment ses articles L.611-1-1°, L.612-2, L.612-6, 612-11, L.612-12, L.613-3 à L.613-5, L.614.6, L.721-3, L. 721-4, L.722-3, R.613-1. L'article L.612-2 dispose : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants :(...)3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. " L'article L.612-3 précise : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants (...) :2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;(...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement (...). " L'article L.612-6 du même code prévoit que : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. /Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. "

9. Le sous-préfet a procédé à une appréciation globale de la situation de M. D..., dont il a souligné l'entrée irrégulière en l'absence de tout tampon sur son passeport, l'absence de démarche de demande d'un titre de séjour et le non-respect des multiples mesures d'éloignement et d'interdiction de retour précédentes. Dans ces conditions, la décision de ne pas accorder de délai de départ et l'interdiction de retour qui en est la conséquence, dont la durée a été dûment expliquée au regard des particularités de la situation de M. D..., sont suffisamment motivées. Il en va de même de la désignation du pays de renvoi, qui résulte du constat de la nationalité de l'intéressé et de l'absence de craintes en cas de retour.

10. Si M. D... se plaint encore de n'avoir pas été mis en mesure de présenter ses observations sur le refus de délai de départ volontaire et le pays de renvoi, il a fait l'objet d'une audition le 11 juin 2022, à l'occasion de laquelle il pouvait faire toutes déclarations utiles sur sa situation, et a d'ailleurs mentionné le concubinage dont il fait état. Il n'établit pas qu'il aurait été privé de la possibilité de soumettre d'autres éléments de sa situation de nature à influer sur le sens de la décision. Dans ces conditions, et alors que le préfet a repris les éléments du compte-rendu de cette audition, il n'est pas fondé à soutenir que la décision aurait méconnu le principe du contradictoire.

11. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Martinique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a annulé son arrêté du 11 juin 2022, dont la légalité s'apprécie à la date à laquelle il a été pris, et que la demande présentée par M. D... devant le tribunal doit être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 17 juin 2022 est annulé.

Article 2 : La demande de M. D... devant le tribunal administratif de la Martinique est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. I.... Copie en sera adressée au préfet de la Martinique.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 février 2023.

La présidente-assesseure,

Anne MeyerLa présidente, rapporteure,

Catherine E...

Le greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX01855


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01855
Date de la décision : 02/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : ROMER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-02-02;22bx01855 ?
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