Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 9 août 2021 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire, a fixé un délai de départ volontaire de trente jours, a désigné un pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, ainsi que sa décision du 19 novembre 2021 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 2106814 du 17 mars 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 juin 2022, et un mémoire enregistré le 4 novembre 2022 M. A..., représentée par Me Pornon-Weidknnet, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2106814 du 17 mars 2022 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 août 2021 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire, a fixé un délai de départ volontaire de trente jours, a désigné un pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans, ainsi que sa décision du 19 novembre 2021 rejetant son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui octroyer sans délai un titre de séjour " vie privée et familiale " sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme à verser à son conseil de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé et révèle un défaut d'examen sérieux de sa situation personnelle ;
- l'arrêté est entaché d'un vice de procédure ; la commission du titre de séjour devait être saisie, dès lors qu'il justifie d'une présence en France depuis plus de dix ans ; il était en France depuis au moins le mois d'avril 2011 et déjà en 2009 et 2010 ;
- il ne constitue pas une menace à l'ordre public ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur de droit ; la durée de sa présence en France constitue un motif exceptionnel pour lequel il peut se voir délivrer un titre de séjour en application de l'article 11 de l'accord franco-tunisien du 17 juin 1988 et de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il produit des promesses d'embauche ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français assortie d'un délai de départ volontaire de trente jours, de la décision fixant le pays de destination et l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans :
- ces décisions sont illégales dès lors qu'elles sont dépourvues de base légale ;
- la situation médicale du requérant ne plaide pas pour un retour en Tunisie, où il n'est pas sûr de trouver le niveau et la qualité des soins spécifiques à sa pathologie et son handicap ;
- sa situation de santé nécessite un maintien sur le territoire, notamment au titre de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il souffre d'une coronaropathie ayant occasionné à la fois une intervention en urgence en 2019 en raison d'un infarctus du myocarde, ainsi que depuis lors un suivi drastique par un service de cardiologie et un traitement médicamenteux qu'il ne doit pas arrêter sous peine de danger pour sa vie.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 octobre et 16 novembre 2022, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que les moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 28 avril 2022.
Par une ordonnance du 7 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 2 décembre 2022, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2003-976 du 8 octobre 2003 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... C...,
- et les observations de Me Bokolombé, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant tunisien né le 7 août 1974, déclare être entré sur le territoire français le 1er février 2005. L'intéressé a fait l'objet de deux mesures d'éloignement, l'une prise le 4 avril 2011 par le préfet d'Indre et Loire, la seconde prise le 14 mai 2013 par le préfet de police de Paris. Le 11 mars 2021, il a présenté une demande d'admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 7 ter d) de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988. Par un arrêté du 9 août 2021, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a assorti sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Il a contesté cet arrêté devant le tribunal administratif de Bordeaux qui a rejeté sa demande par un jugement n° 2106814 du 17 mars 2022. Le requérant relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 7 ter de l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne en matière de séjour et de travail, modifié par l'avenant du 19 décembre 1991 : " (...) d) Reçoivent de plein droit un titre de séjour renouvelable valable un an et donnant droit à l'exercice d'une activité professionnelle dans les conditions fixées à l'article 7 : /- les ressortissants tunisiens qui justifient par tous moyens résider habituellement en France depuis plus de dix ans, (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, dans sa rédaction applicable à la date de la décision de refus de titre de séjour : " (...) Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. (...) ". L'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, n'est pas applicable aux ressortissants tunisiens, dont la situation est régie de manière exclusive par l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988. Cependant, bien que cet accord ne prévoie pas de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, le préfet peut, en vertu du pouvoir dérogatoire dont il dispose, même sans texte, pour apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation, décider de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit.
4. La consultation obligatoire de la commission du titre de séjour, telle qu'elle est prévue par les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a pour objet d'éclairer l'autorité administrative sur la possibilité de régulariser la situation administrative d'un étranger et constitue pour ce dernier une garantie substantielle. Le préfet n'est tenu de saisir cette commission que si l'étranger sollicitant un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions justifie d'une présence continue de dix ans sur le territoire français.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a sollicité de la préfecture de la Gironde, le 11 mars 2021, son admission au séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 7 ter d) de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988. Le requérant soutient que sa présence en France est établie depuis au moins l'année 2009, en dépit de l'appréciation portée par la préfète. L'intéressée a produit devant le tribunal administratif de nombreuses pièces, pour la période postérieure au 1er octobre 2011, notamment des pièces à caractère médical, des attestations d'octroi de l'aide médicale d'Etat, des justificatifs de remboursement de soins, des avis d'imposition sur le revenu, comportant la mention de ressources déclarées en 2014, 2015 et 2019, des certificats de travail justifiant de contrats à durée déterminée en qualité d'ouvrier agricole entre 2017 et 2019. Le directeur du centre social et culturel " La maison du Bas Belleville " atteste le suivi d'ateliers sociolinguistiques par M. A... du 2 octobre au 15 juin, de 2010 à 2015. M. A... a fait l'objet d'une comparution immédiate le 7 janvier 2012 devant le tribunal de grande instance de Paris pour des faits délictueux commis à Paris le 1er janvier 2012. Il a été hospitalisé le 7 août 2012. Au titre de l'année 2014, M. A... a également présenté un certificat de vaccination en date du 13 mars, un bilan audiométrique du 2 septembre et sa déclaration de médecin traitant du 13 novembre. S'agissant de l'année 2011, le requérant a produit de nouvelles pièces en appel dont un certificat médical du 5 juin. Une mesure d'éloignement lui est notifiée le 4 avril 2011 à la suite de son interpellation la veille pour consommation d'alcool sur la voie publique, laquelle n'a pas été exécutée. L'ensemble de ces pièces, eu égard à leur nature, leur nombre et leur diversité, établissent la résidence habituelle en France de M. A... depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté attaqué du 9 août 2021, alors même que doivent être décomptés les huit mois d'emprisonnement exécutés à la suite de l'arrêt du 11 octobre 2016 de la chambre des appels correctionnels de Paris, le condamnant pour les faits délictueux commis le 7 janvier 2012. Par suite, la préfète était tenue de soumettre la demande de l'intéressé, présentée notamment sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à la commission du titre de séjour. En l'absence d'une telle saisine, qui constitue une garantie pour M. A..., l'arrêté en litige a été pris au terme d'une procédure irrégulière, et est entaché d'illégalité ainsi que par voie de conséquence, l'obligation de quitter le territoire français, la décision fixant le pays de destination et l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, et après avoir vérifié qu'aucun autre moyen opérant et fondé n'était susceptible d'être accueilli et d'avoir une influence sur la portée de l'injonction à prononcer, le présent arrêt implique seulement que la préfète de la Gironde procède à un nouvel examen de la demande de l'intéressé, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative. Il y a lieu d'enjoindre à la préfète de la Gironde de procéder à ce réexamen dans le délai de trois mois suivant la date de notification du présent arrêt et, dans l'attente, de munir sans délai M. A... d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me Pornon-Weidknnet.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2106814 du 17 mars 2022 du tribunal administratif de Bordeaux et l'arrêté de la préfète de la Gironde du 9 août 2021 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Gironde, dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt, de réexaminer la demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée par M. A..., et, dans l'attente, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 3 : L'Etat versera à Me Pornon-Weidknnet une somme de 1 200 euros en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Jehanne Pornon-Weidknnet et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 16 décembre 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2023.
La rapporteure,
Bénédicte C...La présidente,
Evelyne Balzamo
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX001545