Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... F... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 22 octobre 2021 par lequel le préfet de la Charente-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2103048 du 31 mars 2022, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 19 avril 2022, le 8 juillet 2022 et le 13 septembre 2022, M. F..., représenté par Me Guillard, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 31 mars 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 22 octobre 2021 du préfet de la Charente-Maritime ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Charente-Maritime de lui délivrer un titre de séjour en qualité de salarié dans un délai d'un mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision portant refus de titre de séjour est affectée d'une erreur de fait dès lors que les documents produits pour justifier de son identité et de son âge ne sont pas des faux ;
- la décision portant refus de titre de séjour est affectée d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation en estimant que ses résultats scolaires seraient insuffisants ; il justifie du caractère sérieux des études poursuivies car il a obtenu un CAP carreleur ;
- la décision portant refus de titre de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 mai 2022.
Par lettre du 1er décembre 2022, la cour a informé les parties à l'instance, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, qu'elle était susceptible de relever d'office l'irrecevabilité du moyen tiré de la méconnaissance du contradictoire soulevé devant la cour, à défaut pour lui d'être d'ordre public et de se rattacher à la même cause juridique que les moyens soulevés devant le tribunal administratif.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... C... a été entendu au cours de l'audience publique :
Considérant ce qui suit :
1. M. F... est un ressortissant malien qui déclare être entré sur le territoire français en septembre 2018 à l'âge de seize ans. Il a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance par un jugement du tribunal judiciaire de La E... du 21 janvier 2019. Le 17 juin 2021, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de travailleur temporaire. Par arrêté du 22 octobre 2021, le préfet de la Charente-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. F... a alors saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 22 octobre 2021 du préfet de la Charente-Maritime. M. F... relève appel du jugement du 31 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. En premier lieu et d'une part, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ". Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française.
3. D'autre part, l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur à la date de la décision contestée : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : 1° Les documents justifiants de son état civil ; 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; (...) La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents. (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Cet article 47 du code civil prévoit que : " Tout acte de l'état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Aux termes de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet. ".
4. Il résulte des dispositions de l'article 47 du code civil que, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger et pour écarter la présomption d'authenticité dont bénéficie un tel acte, l'autorité administrative procède aux vérifications utiles. Si l'article 47 du code civil pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays, il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve, par tout moyen, du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. En revanche, l'autorité administrative n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont elle dispose sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.
5. Le requérant soutient qu'il n'a jamais été invité à présenter ses observations ni à participer à l'expertise des documents dont il se prévalait pour établir sa minorité. Toutefois, il n'est pas recevable à présenter pour la première fois en appel un moyen de légalité externe tiré de la méconnaissance du contradictoire, dès lors que ce moyen se rattache à une cause juridique distincte de celle de la légalité interne uniquement invoquée en première instance.
6. Il ressort des termes de l'arrêté contesté que, pour refuser de délivrer le titre de séjour sollicité par M. F... sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de la Charente-Maritime s'est fondé, notamment, sur l'absence de caractère probant des documents d'état civil présentés à l'appui de sa demande.
7. Il ressort des pièces du dossier que, pour établir sa naissance au 29 août 2002 et, partant, son état de minorité lors de sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance, M. F... a transmis à l'administration, dans le cadre de l'instruction de sa demande, un passeport délivré par les autorités maliennes le 25 juillet 2018, un jugement supplétif d'acte de naissance n°3164/2017 délivré par le tribunal de première instance de Nioro du Sahel du 12 juillet 2017, un acte de naissance n°543 du 18 juillet 2017 et deux extraits d'acte de naissance du 19 juillet 2017. Ces documents ont tous reçus un avis technique défavorable de la cellule de fraude documentaire et à l'identité de Bordeaux de la direction zonale sud-ouest de la police aux frontières. Selon le rapport de cette cellule du 31 mai 2021 et s'agissant du jugement supplétif produit, il est relevé qu'il est incomplet au regard de l'identité du tribunal, du nom du requérant et des témoins. Si le requérant fait valoir que l'incomplétude du jugement supplétif s'explique par le fait qu'il ne s'agit que d'un extrait conforme et que l'administration a commis une erreur d'appréciation, la seule circonstance que le document produit ne constitue qu'un extrait de jugement supplétif, alors que le préfet précise dans sa décision quelles sont les mentions qui seraient manquantes, ne constitue pas une garantie d'authenticité des informations que cet extrait conforme contient.
8. Pour contester les conclusions du rapport s'agissant de l'acte de naissance, dont seul le volet n°3 est produit, qui affirme qu'il s'agit d'un faux du fait de la présence d'une découpe de la bordure gauche alors qu'il devrait provenir d'un registre à souches détachables et de l'absence du nom de l'imprimeur, le requérant se borne à alléguer qu'il n'est pas à l'origine de la falsification, qu'il ne conteste pas, ce faisant. Par ailleurs, si le requérant verse au dossier une carte d'identité consulaire délivrée par les autorités maliennes sur la base de l'acte de naissance n°543, ce document, qui ne constitue pas un acte d'état civil, n'est pas de nature à justifier de son identité dès lors qu'il a été établi sur le fondement d'un acte d'état civil non probant. Enfin, le rapport de la direction zonale sud-ouest de la police aux frontières affirme que le passeport produit est un faux en raison de l'absence de certaines sécurités. Toutefois, la circonstance que M. F... a été placé à l'aide sociale à l'enfance par ordonnance de placement provisoire du juge du tribunal pour enfants de A... E... du 21 janvier 2019 ne permet pas davantage d'établir sa minorité, puisque la décision du juge des enfants dont il se prévaut n'est pas une constatation de faits retenue par le juge judiciaire répressif de nature à s'imposer au juge administratif. Enfin, si le requérant soutient que les signalements pour falsification de documents d'identité au titre de l'article 40 du code de procédure pénale faits par le préfet auprès du Procureur de la République près le tribunal judiciaire de La E... les 15 juin et 17 juillet 2021 n'auraient pas eu de suites, l'appréciation que porte l'autorité préfectorale sur les documents produits n'est pas conditionnée par l'intervention du juge pénal. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le motif de l'arrêté litigieux selon lequel M. F... n'est pas mineur soit entaché d'erreur de fait.
9. Par suite, alors même que les autres conditions prévues par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile seraient satisfaites, l'autorité administrative n'a pas méconnu les dispositions de cet article en rejetant la demande de titre de séjour présentée par le requérant.
10. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. /2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". M. F..., entré irrégulièrement en France en septembre 2018, muni de faux documents d'identité et de circulation, soutient en appel qu'en refusant de l'admettre au séjour, le préfet a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors qu'il est dépourvu de tout lien au Mali, à la suite du décès de son père en 2004 et de sa mère en avril 2022, décès dont il n'a eu connaissance qu'en août dernier, et qu'il a tissé des liens étroits en France sur le plan professionnel où il réside depuis quatre ans. Toutefois, M. F..., qui est célibataire et sans personne à charge, n'apporte aucune précision quant à la stabilité et l'intensité des liens personnels qu'il aurait noués sur le territoire français. Il est constant qu'il n'a aucune attache familiale en France et que l'essentiel de sa famille réside au Mali. La circonstance du décès de sa mère est postérieure à la décision contestée du 22 octobre 2021. Dans ces conditions, en raison de la durée et des conditions de séjour de l'intéressé en France, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le refus de titre de séjour contesté porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Si M. F... a présenté des conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours que comporte l'arrêté du 22 octobre 2021 du préfet de la Charente-Maritime, il ne soulève toutefois aucun moyen à l'encontre de cette décision. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation de l'obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours ne peuvent qu'être rejetées.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande. Les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées par voie de conséquence.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Une copie en sera adressée au préfet de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 6 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
Mme Agnès Bourjol, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 décembre 2022.
La rapporteure,
Agnès C...Le président,
Didier ARTUSLa greffière,
Sylvie HAYET
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX01138