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16/12/2022 | FRANCE | N°22BX00510

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 16 décembre 2022, 22BX00510


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 20 août 2021 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2104400 du 25 novembre 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requ

ête, enregistrée le 15 février 2022, M. C..., représenté par Me Cesso, demande à la cour :

1°) d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 20 août 2021 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2104400 du 25 novembre 2021, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 février 2022, M. C..., représenté par Me Cesso, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 25 novembre 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Gironde du 20 août 2021 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois et sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

Sur l'arrêté pris dans son ensemble :

- il n'est pas démontré que le signataire de l'arrêté attaqué était bien compétent ;

Sur la décision portant refus de titre de séjour :

- la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; ainsi que l'a estimé le collège des médecins de l'OFII, son état de santé nécessite un traitement dont le défaut aurait des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; il démontre qu'il ne peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il vit en France depuis deux ans, y est soigné et s'est intégré ;

- il justifie d'une situation exceptionnelle au sens de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- il ne peut pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement dès lors qu'il peut bénéficier d'un titre de séjour de plein droit ;

- la décision méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

- la décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2022, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 janvier 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant nigérian né le 5 février 1994, déclare être entré en France le 2 novembre 2018. Il a présenté une demande d'asile qui a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 27 août 2019 et une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 20 février 2020. Par arrêté du 20 janvier 2021, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le 22 mars 2021, M. C... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23, L. 425-9 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 20 août 2021, la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. C... relève appel du jugement du 25 novembre 2021 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...) /La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé ".

3. Il résulte des dispositions précitées qu'il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), que cette décision ne peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque ce défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'intéressé fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou en l'absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.

4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'OFII qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment d'un certificat médical établi le 13 août 2021 par un médecin psychiatre du centre hospitalier Charles Perrens (Bordeaux), que M. C... souffre d'un état de stress post traumatique consécutif à des évènements dramatiques survenus au cours de son trajet vers la France et d'une schizophrénie entraînant des hallucinations auditives et un sentiment de persécution. Par un avis du 20 mai 2021, le collège de médecins de l'OFII a estimé que si l'état de santé de M. C... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut est susceptible d'entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, celui-ci peut, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Pour contredire cet avis, M. C... produit le certificat médical ci-dessus mentionné du 13 août 2021 et un second certificat établi le 7 janvier 2022 par la même psychiatre. Il ressort de ces éléments médicaux, certes postérieurs à l'arrêté attaqué mais révélant une situation antérieure à celui-ci, que M. C..., suivi par l'équipe mobile de psychiatrie et précarité du centre hospitalier Charles Perrens depuis juillet 2019, poursuit un traitement médicamenteux lourd et non interchangeable comprenant deux neuroleptiques, l'olanzapine et la cyamamezine, ainsi qu'un antidépresseur, la mirtazapine. M. C... soutient qu'il ne peut avoir accès à ce traitement dans son pays d'origine, le Nigéria, ce que confirme le certificat médical du 13 août 2021. Le requérant produit en outre un courrier du 9 août 2021 par lequel un médecin généraliste de l'hôpital public Iruekpen de Bénin City affirme que M. C... y a été admis en 2015, y a reçu un traitement à base de chlorpromazine et de risperidone et que les traitements dont il bénéficie aujourd'hui ne sont pas disponibles dans la pharmacie de cet hôpital. De son côté, en se bornant à indiquer qu'il existe des structures prodiguant des soins psychiatriques au Nigéria, la préfète ne produit aucune source ou élément permettant d'établir que le requérant pourrait bénéficier, en réalité, d'un accès effectif aux traitements que requiert son état de santé s'il devait retourner dans son pays d'origine. Dans ces conditions, la préfète de la Gironde, en estimant que M. C... pouvait effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine et en refusant, en conséquence, de lui délivrer un titre de séjour en qualité d'étranger malade, a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Ce jugement doit, dès lors, être annulé, ainsi que l'arrêté en litige du 20 août 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Eu égard au motif retenu, l'annulation de l'arrêté de la préfète de la Gironde implique nécessairement la délivrance d'un titre de séjour à l'intéressé. Il y a lieu, en l'absence de changement de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, d'enjoindre à la préfète de la Gironde de délivrer un titre de séjour à M. C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à Me Cesso, conseil de M. C..., sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2104400 du 25 novembre 2021 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 20 août 2021 de la préfète de la Gironde est annulé.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Gironde de délivrer à M. C... un titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Cesso une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre de l'intérieur et des Outre-mer, à la préfète de la Gironde et à Me Cesso.

Délibéré après l'audience du 6 décembre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2022.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve B...

Le président,

Didier Artus La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX00510


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00510
Date de la décision : 16/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : CESSO

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-12-16;22bx00510 ?
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