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13/12/2022 | FRANCE | N°22BX00981

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre (formation à 5), 13 décembre 2022, 22BX00981


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 19 août 2021 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2104315 du 25 août 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée

le 26 mars 2022, M. B..., représenté par Me Meaude, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 19 août 2021 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2104315 du 25 août 2021, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 mars 2022, M. B..., représenté par Me Meaude, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Gironde du 19 août 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- il a contesté les faits qui lui étaient reprochés lors de son audition et n'a fait l'objet d'aucune poursuite pénale ; le préfet a commis une erreur de droit en retenant l'existence d'une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ;

- dès lors qu'il n'est pas en mesure de justifier de la date de son entrée en France, il doit être réputé résider en France depuis moins de trois mois à la date de l'arrêté en application de l'article L. 231-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'obligation de quitter le territoire français a en outre porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa privée et familiale ;

- le refus de délai de départ volontaire n'est pas motivé ;

- cette décision a été prise sans examen particulier de sa situation ;

- le préfet a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en estimant qu'il existait une urgence justifiant le refus d'un délai de départ volontaire ;

- la décision portant interdiction de circulation n'est pas motivée ;

- cette décision n'a pas été prise à l'issue d'un examen particulier de sa situation ;

- le seul fait qu'il ait été interpellé ne caractérise pas une menace grave à l'ordre public justifiant une telle interdiction.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2022, le préfet de Lot-et-Garonne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'erreur de droit ; M. B... a fait l'objet d'une enquête de flagrance pour menace de mort avec arme ; s'il conteste la matérialité des faits reprochés, il a admis lors de son audition qu'il était alcoolisé au moment de son interpellation ;

- cette décision ne repose ni sur une erreur de fait ni sur une erreur de droit ; il a déclaré lors de son audition être arrivé en France depuis trois ou quatre mois ; il ne dispose pas de ressources propres, ne dispose pas d'attache en France et aucun motif ne s'oppose à son retour en Italie ;

- son refus d'octroi d'un délai de départ volontaire repose sur une exacte application des dispositions de l'article L. 215-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision d'interdiction de circulation n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation eu égard au caractère récent de l'entrée de M. B... en France et de la nature des faits qu'il a commis.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme D... A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., qui a la double nationalité italienne et marocaine, est entré en France au cours de l'année 2021. Par un arrêté du 19 août 2021, le préfet de Lot-et-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée d'un an. M. B... relève appel du jugement du 25 août 2021 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

2. Aux termes de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : 1° Ils ne justifient plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 232-1, L. 233-1, L. 233-2 ou L. 233-3 ; 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; 3° Leur séjour est constitutif d'un abus de droit (...) L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine ". Aux termes de l'article L. 233-1 du même code : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes :1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; 2° Ils disposent pour eux et pour leurs membres de famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; 3° Ils sont inscrits dans un établissement fonctionnant conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur pour y suivre à titre principal des études ou, dans ce cadre, une formation professionnelle, et garantissent disposer d'une assurance maladie ainsi que de ressources suffisantes pour eux et pour leurs conjoints ou descendants directs à charge qui les accompagnent ou les rejoignent, afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale ; 4° Ils sont membres de famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées aux 1° ou 2° ; 5° Ils sont le conjoint ou le descendant direct à charge accompagnant ou rejoignant un citoyen de l'Union européenne qui satisfait aux conditions énoncées au 3° ".

3. Pour faire obligation à M. B... de quitter le territoire le français, le préfet s'est fondé sur deux motifs, l'un tenant à l'absence de justification d'un droit au séjour au sens du 1° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'autre tenant à la menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société au sens du 2° du même article.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été interpellé le 18 août 2021 dans le cadre d'une enquête de flagrance pour des faits de menace de mort avec arme blanche commis sur le gérant d'un bar. Ce dernier ainsi que l'un des employés de l'établissement ont affirmé, lors de leur audition par les services de police, que dans la soirée du 18 août 2021, M. B..., alors ivre, avait, en réaction à un refus d'entrer dans le bar, agressé le gérant à l'aide d'un couteau. La matérialité des faits est toutefois fermement contestée par le requérant qui, lors de son audition, a admis son état d'ébriété ainsi que l'existence d'une altercation mais nié avoir agressé le gérant de l'établissement, affirmant au contraire que ce dernier l'avait poursuivi avec un bâton. Il ressort par ailleurs des éléments de l'enquête que, lors de l'interpellation de M. B..., aucun couteau n'a été retrouvé à l'issue de la palpation de l'intéressé ainsi que de la fouille des lieux environnants. Il est enfin constant que M. B... n'a pas fait l'objet de poursuites par le ministère public. Dans ces conditions, en estimant que le comportement de M. B... constituait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société pour décider de prendre à son encontre une obligation de quitter le territoire, le préfet a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le requérant a déclaré au cours de son audition par les services de police être entré en France " il y a trois ou quatre mois environ ". Eu égard à ses déclarations, et alors que l'intéressé n'apporte aucun élément de nature à justifier de la date exacte de son arrivée sur le territoire français, le préfet a estimé sans erreur qu'il séjournait en France depuis plus de trois mois à la date de l'arrêté. Or, le requérant ne conteste pas qu'il ne satisfaisait à aucune des conditions, prévues à l'article L. 233-1 du même code, auxquelles est subordonné le droit au séjour en France d'un citoyen de l'Union européenne pour une durée supérieure à trois mois. Par ailleurs, et ainsi que l'a relevé le tribunal, M. B..., arrivé récemment en France, ne justifie pas d'une insertion particulière en France et dispose de l'essentiel de ses attaches familiales en Italie, où résident son épouse et ses enfants mineurs. Dans ces conditions, le préfet n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées du 1° de l'article L. 251-1 de ce code. Or, ce motif justifiait à lui seul l'édiction d'une obligation de quitter le territoire français, et il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision s'il ne s'était pas fondé également sur le motif erroné analysé au point 4. M. B... n'est dès lors pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 août 2021 lui faisant obligation de quitter le territoire français.

En ce qui concerne la légalité de la décision de refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :

6. Aux termes de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les étrangers dont la situation est régie par le présent livre disposent, pour satisfaire à l'obligation qui leur a été faite de quitter le territoire français, d'un délai de départ volontaire d'un mois à compter de la notification de la décision. L'autorité administrative ne peut réduire le délai prévu au premier alinéa qu'en cas d'urgence et ne peut l'allonger qu'à titre exceptionnel ".

7. Eu égard à ce qui a été dit au point 4, le préfet de Lot-et-Garonne, en estimant qu'il existait une urgence à éloigner M. B... à raison de son comportement délictueux, a commis une erreur d'appréciation.

En ce qui concerne la légalité de la décision d'interdiction de circulation sur le territoire français :

8. Aux termes de l'article L. 251-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français édictée sur le fondement des 2° ou 3° de l'article L. 251-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans ".

9. Ainsi qu'il vient d'être dit, le préfet de Lot-et-Garonne ne pouvait légalement se fonder sur le 2° de l'article L. 251-1 du code précité pour faire obligation à M. B... de quitter le territoire français. Par voie de conséquence, sa décision lui faisant interdiction de circuler sur le territoire pour une durée d'un an est entachée d'illégalité.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des décisions du préfet de Lot-et-Garonne du 19 août 2021 lui refusant un délai de départ volontaire et lui faisant interdiction de circuler sur le territoire français.

Sur les frais liés au litige :

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. B... sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2104315 du 25 août 2021 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux, en tant qu'il a rejeté les demandes de M. B... tendant à l'annulation des décisions du préfet de Lot-et-Garonne du 19 août 2021 lui refusant un délai de départ volontaire et lui faisant interdiction de circuler sur le territoire français, ensemble ces décisions, sont annulés.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de Lot-et-Garonne.

Délibéré après l'audience du 22 novembre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président de la cour,

M. Didier Artus, président de la 3ème chambre,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller,

Mme Agnès Bourjol, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 décembre 2022.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve A...

Le président,

Luc Derepas

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX00981


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre (formation à 5)
Numéro d'arrêt : 22BX00981
Date de la décision : 13/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : MEAUDE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-12-13;22bx00981 ?
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