Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler l'arrêté du 23 octobre 2020 par lequel le préfet de la Guadeloupe lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n°2001163 du 12 avril 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé l'arrêté du 23 octobre 2020 et a enjoint au préfet de délivrer une carte de séjour temporaire à Mme B....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 mai 2022, le préfet de la Guadeloupe demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 12 avril 2022 ;
2°) de rejeter la demande de Mme B....
Il soutient que :
- il n'a pas été mis à même de discuter de la force probante de l'acte de naissance de 2004 pris en compte par le premier juge et produit en cours d'instance ;
- le caractère frauduleux de l'acte de naissance du 18 décembre 2018 est établi ce qui justifiait le rejet de la demande en l'absence de preuve de l'identité de l'intéressée ;
- Mme B... ne maîtrise pas la langue française ;
- dès lors qu'elle relève de la catégorie du regroupement familial, elle ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté attaqué ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er juillet 2022, Mme B..., représentée par Me Cotellon, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante haïtienne née en 1972, déclare être entrée en Guadeloupe en 1994 à l'âge de 22 ans. Ses demandes de titre de séjour présentées en 2005, 2007 et 2013 ont fait l'objet de refus assortis d'obligations de quitter le territoire français pour ceux de 2007 et 2013 et elle a fait l'objet, le 4 juillet 2016, d'une obligation de quitter le territoire français à la suite de son interpellation par la police aux frontières. Elle a présenté une nouvelle demande de titre de séjour en novembre 2019 que le préfet de la Guadeloupe a rejetée par un arrêté du 23 octobre 2020 portant également obligation de quitter le territoire français et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Le préfet de la Guadeloupe relève appel du jugement du 12 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à Mme B....
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que l'acte de naissance du 2 juillet 2004 pris en compte par les premiers juges au point 5 du jugement attaqué a été produit par Mme B... dans les pièces jointes à l'appui de sa requête enregistrée le 17 décembre 2020 qui a été communiquée au préfet le 20 décembre suivant. Il a été dès lors mis à même de prendre connaissance de cette pièce et d'en discuter la valeur probante, ce qu'il n'a pas fait malgré une mise en demeure de produire. Par suite, il n'est pas fondé à soutenir que le tribunal aurait dû ordonner avant dire droit une mesure d'instruction pour lui permettre de se prononcer sur l'authenticité de cette pièce et que le jugement aurait été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. D'une part, aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version en vigueur à la date de la décision attaquée : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité et, le cas échéant, de ceux de son conjoint, de ses enfants et de ses ascendants ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Selon l'article 47 du code civil dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
5. En l'espèce, pour estimer que Mme B... ne justifiait pas de son identité, le préfet de la Guadeloupe s'est fondé sur le rapport de la direction départementale de la police aux frontières du 10 décembre 2019 qui concluait que l'acte de naissance établi le 26 décembre 2018 qu'elle avait présenté à l'appui de sa demande n'était pas authentique et avait été falsifié en raison de plusieurs anomalies. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., qui se prévaut des difficultés d'obtenir des actes d'état-civil auprès des autorités haïtiennes, produit un acte de naissance établi le 2 juillet 2004, dont l'authenticité n'avait pas été remise en cause lors de ses précédentes demandes de titre de séjour, ainsi que des passeports délivrés les 8 janvier 2003, 14 novembre 2007, 4 décembre 2012 et 27 mars 2018, dont l'authenticité n'est pas remise en cause par le préfet. Dans ces conditions, Mme B... doit être regardée comme justifiant de son état-civil et de sa nationalité.
6. En second lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... réside de manière habituelle et continue en Guadeloupe depuis au moins 2014 et qu'elle est mariée à un compatriote titulaire d'une carte de résident depuis octobre 2016, avec lequel elle établit une vie commune de plus de trois ans à la date de la décision attaquée. Dans ces conditions, et quand bien même l'intéressée relèverait des catégories ouvrant droit au regroupement familial, l'arrêté attaqué a porté au droit au respect de la vie familiale de Mme B... une atteinte disproportionnée et a, ainsi, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Guadeloupe n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé pour ce motif l'arrêté du 23 octobre 2020 et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à Mme B.... Par suite sa requête d'appel doit être rejetée.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros à verser à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Guadeloupe est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée pour information au préfet de la Guadeloupe.
Délibéré après l'audience du 17 novembre 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 décembre 2022.
La rapporteure,
Christelle D...La présidente,
Marianne Hardy
La greffière,
Stéphanie LarrueLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22BX01329 2