La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/11/2022 | FRANCE | N°21BX03593

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 17 novembre 2022, 21BX03593


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F... a demandé au tribunal administratif de la Réunion de condamner le centre hospitalier Gabriel Martin de Saint-Paul à lui verser, d'une part en qualité de représentante légale de son fils mineur G..., la somme de 2 466 206 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait des conditions de sa prise en charge dans les jours qui ont suivi sa naissance en 2008, ainsi qu'une rente temporaire provisionnelle mensuelle de 9 450 euros dans l'attente du prochain rapport d'étape et, d'autre part e

n son nom personnel, une indemnité de 100 000 euros, ces sommes devant ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... F... a demandé au tribunal administratif de la Réunion de condamner le centre hospitalier Gabriel Martin de Saint-Paul à lui verser, d'une part en qualité de représentante légale de son fils mineur G..., la somme de 2 466 206 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait des conditions de sa prise en charge dans les jours qui ont suivi sa naissance en 2008, ainsi qu'une rente temporaire provisionnelle mensuelle de 9 450 euros dans l'attente du prochain rapport d'étape et, d'autre part en son nom personnel, une indemnité de 100 000 euros, ces sommes devant être assorties des intérêts et de la capitalisation des intérêts.

H... un jugement n° 1900076 du 1er juillet 2021, le tribunal administratif de la Réunion a condamné le centre hospitalier Gabriel Martin de Saint-Paul à verser à Mme F... :

- la somme de 820 200 euros au titre des préjudices subis H... son fils G..., sous réserve, le cas échéant, des sommes perçues H... la requérante sur la période intéressée au titre de la prestation de compensation du handicap et de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, cette somme étant assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts ;

- la somme de 62 800 euros au titre de ses préjudices propres, cette somme étant assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts ;

- une rente couvrant les frais d'assistance H... tierce personne, d'un montant annuel de 44 026 euros, sous déduction des sommes versées à Mme F... H... le département de La Réunion au titre de la prestation de compensation du handicap et de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé.

Il a également condamné le centre hospitalier à verser à la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion la somme de 56 133,79 euros, assortie des intérêts au taux légal, ainsi que la somme de 1 098 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et à prendre à sa charge les frais d'expertise.

Procédure devant la cour :

H... une requête et un mémoire, enregistrés les 3 septembre 2021 et 17 février 2022, le centre hospitalier Gabriel Martin de Saint-Paul, représenté H... le cabinet Fabre et associées, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Réunion du 1er juillet 2021 ;

2°) d'ordonner une nouvelle expertise avant dire droit, confiée à un collège composé d'un pédiatre néonatologue, d'un neuropédiatre et d'un radio pédiatre ;

3°) à titre subsidiaire, et compte tenu d'un taux de perte de chance de 20 %, de limiter le montant de l'indemnité provisionnelle au titre des préjudices temporaires personnels de l'enfant G..., à 66 500 euros et celui de l'indemnité au titre des préjudices subis H... Mme F... à 7 000 euros ;

4°) de fixer la créance provisoire de la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion à la somme de 12 226,75 euros, compte tenu d'un taux de perte de chance de 20 % ;

5°) de limiter la somme éventuellement allouée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à 1 500 euros ;

6°) de rejeter les conclusions présentées H... Mme F....

Il soutient que :

- aucune faute n'a été commise dans la prise en charge pédiatrique de l'enfant G... entre sa naissance et sa sortie de la maternité le 21 juin 2008 ; l'enfant n'étant pas sorti précocement, les pratiques et recommandations en vigueur à l'époque des faits n'imposaient pas un dépistage instrumental systématique de l'ictère ; les recommandations de l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation de la santé (ANAES) de 2004, qui ne concernent que les sorties précoces, n'étaient pas applicables ; Mme F... ne peut utilement se prévaloir des recommandations des sociétés savantes d'autres pays dès lors que la durée de séjour en maternité varie d'un pays à l'autre, ni d'un document de travail de l'académie de médecine de 2003, antérieur aux recommandations de l'ANAES ;

- il n'est pas établi que G... présentait un ictère néonatal pathologique qui aurait pu être dépisté avant sa sortie de la maternité, aucun professionnel de santé ne l'ayant relevé avant le 28 juin ; l'enfant a bien bénéficié d'un dépistage clinique de l'ictère ; le taux de bilirubine s'est probablement dégradé après la sortie de la maternité ; une mesure instrumentale de la bilirubine avant la sortie n'aurait pas changé le cours des évènements ;

- aucune faute n'a été commise lors de l'hospitalisation de l'enfant le 27 juin 2008 ; l'absence de réalisation d'exsanguino-transfusion (EST) ne saurait lui être imputable, puisque cette décision relève de la responsabilité du médecin référent de réanimation néonatale du Centre hospitalier universitaire de Saint-Denis, qui a dicté la conduite à tenir H... téléphone ;

- ni l'expert ni les premiers juges n'ont tenu compte de l'existence d'une atrophie cortico-sous corticale sans lien possible avec un ictère nucléaire, comme le démontre la littérature scientifique ; l'état neurologique de l'enfant peut donc être lié à cette autre pathologie ;

- à titre subsidiaire, si la responsabilité du centre hospitalier devait être retenue, elle ne serait engagée qu'en raison d'une perte de chance qui ne saurait excéder 20 % ; les indemnités demandées devraient donc être ramenées à de plus justes proportions ;

- le tribunal a commis une erreur pour le calcul de l'indemnité au titre de la tierce personne, s'agissant du nombre d'heures passées au centre " Les champs de Merle " qu'il convient de déduire pour 12 196 heures et non 1 219 ; en outre, dans l'attente d'une nouvelle expertise sur les préjudices subis, l'indemnité sera forfaitaire et calculée sur une base de 250 000 euros, soit 50 000 euros après application du taux de perte de chance ; en tout état de cause, elle ne saurait être calculée à partir des tarifs de sociétés prestataires, qui ne sont pas intervenues en l'espèce ;

- l'indemnisation des autres préjudices de l'enfant doit être ramenée à de plus justes proportions : le préjudice scolaire ne saurait excéder 10 000 euros, avant application du taux de perte de chance ; l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire total et des souffrances endurées doit se voir appliquer le taux de perte de chance ; le déficit fonctionnel temporaire partiel doit être ramené à 80 %, et non 90 % comme l'ont retenu les premiers juges, et ne pourrait donner lieu qu'au versement d'une provision de 62 400 euros, soit 12 480 euros après application du taux de perte de chance ;

- l'indemnisation des préjudices personnels de Mme F... sera calculée sur la base de 10 000 euros pour le préjudice d'affection et 25 000 euros pour le préjudice d'accompagnement, avant application du taux de perte de chance ; le tribunal a statué ultra petita sur le préjudice d'accompagnement en accordant 52 000 euros alors que l'intéressée avait demandé 50 000 euros ;

- la créance de la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion devra également être limitée en fonction du taux de perte de chance.

H... un mémoire, enregistré le 12 janvier 2022, Mme F..., agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale de son fils mineur G..., représentée H... le cabinet Preziosi, Ceccaldi et Albenois, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) H... la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement du tribunal administratif de la Réunion du 1er juillet 2021 en tant qu'il a limité le montant de l'indemnisation allouée et à la condamnation du centre hospitalier Gabriel Martin de Saint-Paul à lui verser :

- la somme de 2 466 206 euros au titre des préjudices subis H... son fils G... ;

- une rente temporaire provisionnelle mensuelle de 9 450 euros dans l'attente du prochain rapport d'étape, à valoir sur l'indemnisation définitive du besoin en aide humaine et du déficit fonctionnel temporaire ;

- la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice personnel d'affection ;

3°) à ce que soient mis à la charge du centre hospitalier Gabriel Martin de Saint-Paul une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens dont les frais d'expertise.

Elle fait valoir que :

- aucune raison ne justifie que le rapport de l'expert soit écarté ;

- le centre hospitalier est responsable d'un défaut de prise en charge puisque le nourrisson présentait plusieurs facteurs de risques connus qui auraient dû conduire à un dépistage de l'ictère H... bilirubinomètre transcutané (BTC) ; il a également manqué à son obligation d'information sur le risque lié à l'ictère ;

- c'est au vu de la littérature scientifique internationale que l'expert a conclu à un manquement dans le dépistage de l'ictère ;

- le dossier médical ne permet pas d'affirmer qu'un tel dépistage, ne serait-ce que visuel, a été réalisé avant la sortie de l'enfant de la maternité ; Mme F... a constaté le teint jaune de son fils dès sa sortie de l'hôpital ;

- le nouveau-né est sorti précocement de la maternité, sans qu'un test BTC soit réalisé, en contradiction avec les recommandations de la littérature médicale ; les recommandations de l'ANAES sont sujettes à interprétation et le nouveau-né est sorti en l'occurrence moins de 72 heures après sa naissance ; le centre hospitalier n'avait pas de protocole pour le suivi des ictères, ce qui traduit un défaut d'organisation ;

- les nombreux facteurs de risques justifiaient également le recours à un test H... BTC ;

- il n'existe pas d'autres causes aux séquelles que l'ictère nucléaire, ainsi que l'a estimé l'expert judiciaire après avoir écarté les hypothèses qui lui ont été soumises ; le centre hospitalier n'est pas fondé à demander une nouvelle expertise au vu d'une hypothèse qu'il n'a pas soumise à l'expert ;

- le centre hospitalier a également commis une faute dans le retard de prise en charge de l'hyperbilirubinémie et la non réalisation d'une exsanguino-transfusion (EST) lors de l'hospitalisation du 27 juin 2008 ; toutefois, les lésions de l'enfant sont totalement imputables à la faute constituée H... le défaut de dépistage initial, il est donc surabondant de retenir une perte de chance liée à la prise en charge insuffisante lors de la nouvelle hospitalisation ;

- à supposer qu'une nouvelle expertise soit ordonnée, elle ne saurait porter sur la conformité des soins prodigués en 2008 aux recommandations de 2004, qui ne reflètent pas à elles seules les données acquises de la science ;

- l'état de santé de G... ne sera consolidé qu'à la fin de sa croissance ; les préjudices dont il est demandé réparation sont des préjudices temporaires ; pour les préjudices permanents, la rente qui sera allouée viendra en déduction des sommes ultérieurement allouées après le dépôt d'un nouveau rapport d'expertise ;

- une indemnité de 1 100 euros sera versée au titre des frais divers, pour le recours à deux médecins dans le cadre de l'action en responsabilité et l'expertise ;

- l'aide humaine est, depuis la naissance de l'enfant, nécessaire en continu et le coût horaire des associations prestataires de service n'est pas inférieur à 24 euros ; jusqu'au 23 juin 2014, Mme F... a rempli le rôle de tierce-personne, ce qui représente une indemnisation de 1 256 256 euros ; pour la période du 23 juin 2014 au 31 janvier 2019, lors de laquelle l'enfant a été pris en charge en journée H... l'établissement " Les Champs de Merle ", le besoin en tierce personne s'élève à 778 752 euros sur la base de 24 euros de l'heure ; une rente temporaire d'un montant mensuel de 8 640 euros sera allouée à titre provisionnel, à compter de février 2019 ; l'allocation pour l'éducation d'un enfant handicapé, qui ne présente pas de caractère indemnitaire, n'a pas à venir en déduction ;

- le préjudice scolaire sera indemnisé à hauteur de 6 000 euros pour les années d'école maternelle, 25 000 euros pour les années d'école primaire, et 16 000 euros pour les deux premières années de collège ; ce poste devra être réévalué pour tenir compte des deux dernières années de collège et des années de lycée à hauteur de 10 000 euros chacune ;

- le déficit fonctionnel temporaire donnera lieu au versement de la somme de 180 euros pour la période d'incapacité totale de six jours et de la somme de 810 euros mensuels pour la période d'incapacité partielle, qui doit être évaluée à 90 %, soit un total de 127 278 euros, auquel doit s'ajouter une rente mensuelle provisionnelle de 810 euros pour la période courant jusqu'à la consolidation ;

- la somme de 15 000 euros devra être allouée pour réparer les souffrances endurées évaluées à 4 sur 7 ;

- le préjudice d'affection et le préjudice d'accompagnement subis H... Mme F... peuvent être évalués à 50 000 euros pour le premier et, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, à 52 800 euros pour le second.

H... un mémoire enregistré le 18 février 2022, la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion, représentée H... le cabinet Laydeker Sammarcelli Mousseau, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de toute partie succombante la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- elle ne s'oppose pas à la réalisation d'une nouvelle expertise confiée à un collège d'experts ;

- elle s'en remet à la juridiction s'agissant de la détermination de la responsabilité du centre hospitalier ;

- le montant de ses débours s'élève, dans l'attente de la consolidation de l'état de santé de l'enfant qui interviendra, selon l'expert, à ses 18 ans, à 56 133,79 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E... B...,

- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Tordjman, représentant le centre hospitalier Ouest Réunion, de Me Fort, représentant Mme F... et de Me Davous, représentant la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion.

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... a accouché le 18 juin 2008 à la maternité du centre hospitalier Gabriel Martin (CHGM) de Saint-Paul (La Réunion) de son premier enfant, prénommé G..., et a regagné son domicile le 21 juin suivant. Après que la sage-femme libérale qui suivait l'enfant a constaté qu'il présentait un ictère, ce dernier a été hospitalisé le 27 juin vers 14 heures 30. Les examens réalisés à son arrivée ont confirmé un ictère cutanéo-muqueux généralisé, une importante hyperbilirubinémie ainsi qu'un déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD). Un traitement consistant en une photothérapie intensive, associée à l'injection d'albumine, a été mis en place à partir de 20 heures le jour même, permettant un retour à la normale de la bilirubine et une sortie de l'enfant de l'hôpital le 8 juillet. Lors d'une nouvelle hospitalisation le 21 février 2009 due à une déshydratation sévère dans un contexte de gastro-entérite aiguë, il a été constaté que l'enfant présentait une hypotonie axiale et une hypertonie des membres, laissant penser à une séquelle neurologique de l'hyperbilirubinémie néonatale. Une imagerie H... résonance magnétique effectuée le 25 mars 2009 a confirmé cette suspicion en révélant un hypersignal T2 des noyaux pâles, compatible avec une encéphalopathie à bilirubine. G... est atteint depuis lors d'une tétraplégie dystonique, et entièrement dépendant de l'aide de sa mère même s'il est partiellement pris en charge dans un institut médico-social.

2. En mars 2016, Mme F... a saisi le tribunal administratif de la Réunion d'une demande d'expertise. L'expert désigné H... une ordonnance du juge des référés du 13 avril 2017 a déposé son rapport le 18 octobre 2017, qui conclut à des fautes du centre hospitalier du fait de l'absence de dépistage correct de l'ictère néonatal de l'enfant et d'une prise en charge non optimale lors de la nouvelle hospitalisation du 27 juin 2008, en raison d'un retard à mettre en place la photothérapie intensive à défaut d'une exsanguino-transfusion. Mme F... a alors déposé une requête au fond, présentée en son nom propre et en qualité de représentante légale de son fils, pour obtenir la condamnation du centre hospitalier à réparer les préjudices qu'ils ont subis du fait de ces fautes. H... jugement du 1er juillet 2021, le tribunal administratif de la Réunion a condamné le centre hospitalier à verser une somme de 820 200 euros au titre des préjudices subis H... l'enfant G..., une somme de 62 800 euros au titre des préjudices propres de Mme F..., et une rente couvrant les frais d'assistance H... tierce personne, d'un montant annuel de 44 026 euros. Il a également condamné le centre hospitalier à verser à la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion une somme de 56 133,79 euros correspondant à ses débours. H... la présente requête, le centre hospitalier de Saint-Paul demande l'annulation de ce jugement. H... la voie de l'appel incident, Mme F... demande la réformation du jugement en tant qu'il a limité le montant de l'indemnisation allouée.

3. Aux termes des dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, (...) tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".

4. Pour retenir la responsabilité du centre hospitalier, les premiers juges ont admis l'existence d'une faute à n'avoir pas procédé à un test H... bilirubinomètre transcutané (BTC) avant la sortie de maternité, l'existence d'un lien de causalité avec le dommage dès lors que l'expert avait confirmé que l'encéphalopathie était l'origine unique des séquelles neurologiques et la responsabilité intégrale du centre hospitalier dès lors que l'expert affirmait qu'un ictère nucléaire, tel que celui présenté H... G... F..., est la première cause d'encéphalopathie évitable dès lors qu'il peut être traité efficacement s'il est détecté à temps. Le centre hospitalier conteste l'ensemble de ce raisonnement et sollicite, comme en première instance, une contre-expertise, que le tribunal a écartée aux motifs que l'ictère nucléaire est la seule cause des séquelles neurologiques et que l'atrophie cortico-sous-corticale découverte en 2013, qui n'a pas été soumise à discussion pendant l'expertise de 2017, n'était pas suffisamment étayée H... les pièces du dossier comme autre cause possible de ces séquelles.

Sur les fautes alléguées :

En ce qui concerne la nécessité d'un test BTC :

5. En premier lieu, il est constant que G... F... est sorti de la maternité le 21 juin 2008 sans que la présence d'un ictère ait été détectée. Si la feuille de soins de l'enfant ne comporte aucune indication aux lignes " surveillance photothérapie " et " surveillance coloration de la peau ", le pédiatre a noté avant sa sortie qu'il ne présentait pas d'ictère. Les mentions portées dans le dossier médical et le carnet de santé confirment qu'un dépistage visuel de l'ictère a été réalisé H... les équipes de la maternité. Mme F... ne saurait remettre en cause pour la première fois en appel la réalité de ce contrôle visuel en se fondant sur ses propres déclarations à l'interne de garde lors de l'hospitalisation de l'enfant le 27 juin 2008 selon lesquelles il était jaune depuis sa sortie de maternité.

6. Bien qu'une mesure du taux de bilirubine H... dispositif transcutané n'était pas imposée systématiquement H... les recommandations alors en vigueur, qui la limitaient aux sorties précoces de maternité, ce qui n'était pas le cas à J+3, la fiabilité d'un dépistage clinique visuel de l'ictère est, ainsi que l'a relevé l'expert, sujette à caution pour les nourrissons de peau foncée. Outre l'origine comorienne de l'enfant et sa couleur de peau, son sexe et sa naissance avant la 38ème semaine d'aménorrhée constituaient des facteurs aggravants d'un risque d'hyperbilirubinémie qui aurait dû conduire l'établissement à pratiquer un " bilicheck ", dont l'appareil était à sa disposition depuis 2003. H... suite, ainsi que l'ont jugé les premiers juges, le centre hospitalier a commis une faute en ne réalisant pas de test transcutané pour vérifier le taux de bilirubine dans le sang chez cet enfant.

En ce qui concerne l'information de Mme F... à la sortie de la maternité :

7. Il résulte du rapport d'expertise que Mme F... n'a pas reçu, à la sortie de la maternité, de préconisations spécifiques pour la surveillance d'un éventuel ictère chez son fils alors que celui-ci présentait plusieurs facteurs de risque, tels que rappelés au point 6. Le centre hospitalier n'apporte aucun élément de nature à démontrer que des recommandations à ce sujet auraient été faites à la mère. H... suite, le centre hospitalier a également commis une faute de nature à engager sa responsabilité en n'attirant pas l'attention de la mère sur l'existence d'un tel risque.

En ce qui concerne l'absence de protocole de suivi des ictères :

8. Si Mme F... soutient que l'absence de protocole relatif au suivi des ictères révèle une faute dans l'organisation des soins, il ne résulte pas de l'instruction qu'il existerait une obligation générale pour les centres hospitaliers d'élaborer de tels documents.

En ce qui concerne la prise en charge lors de l'hospitalisation du 27 juin 2008 :

9. Il résulte de l'instruction que le pédiatre qui a examiné G... à son arrivée au centre hospitalier a demandé un avis au service référent du centre hospitalier Félix Guyon de Saint-Denis. Le réanimateur néonatologue de garde dans ce dernier établissement n'a pas jugé utile de réaliser une exsanguino-transfusion et a conseillé une photothérapie intensive, associée à une perfusion d'albumine. La décision d'écarter l'exsanguino-transfusion, qui n'aurait d'ailleurs pu être réalisée qu'au centre hospitalier de Saint-Denis, relève donc de la responsabilité de ce centre hospitalier, dont la responsabilité n'est pas recherchée dans la présente instance, et non du centre hospitalier Gabriel Martin.

10. Toutefois, la photothérapie intensive, associée à une perfusion d'albumine, n'a été réalisée qu'à 20 heures, soit cinq heures après l'arrivée de G... au centre hospitalier Gabriel Martin. Eu égard aux signes cliniques que présentait l'enfant, à savoir une hypotonie, une léthargie et des cris anormaux, qui étaient de nature à caractériser une encéphalopathie, la mise en place de ce traitement aurait dû, ainsi que le relève l'experte, être faite sans attendre les résultats de la prise de sang. Ce retard de prise en charge lors de l'hospitalisation du 27 juin 2008 est, contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier Gabriel Martin.

Sur le lien de causalité avec le dommage :

11. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés H... sa décision. (...). ". Il appartient au demandeur qui engage une action en responsabilité à l'encontre de l'administration d'apporter tous éléments de nature à établir devant le juge l'existence d'une faute et la réalité du préjudice subi. Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui revient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile.

12. En premier lieu, l'état du dossier ne permet pas d'affirmer qu'un test BTC réalisé avant la sortie de la maternité aurait déjà donné un taux de bilirubine élevé et permis de détecter la sévérité de l'ictère, ni d'apprécier si le retard dans la mise en place de la photothérapie le 27 juin 2008 a eu une incidence sur le dommage subi H... G..., ni d'envisager un taux de perte de chance.

13. En second lieu, il résulte de l'instruction qu'une IRM réalisée le 21 février 2013 a révélé une atrophie cortico-sous-corticale dont il résulte tant de l'expertise que des avis médicaux recueillis H... le centre hospitalier qu'elle est sans lien avec l'ictère. Alors que l'experte a écarté tout lien avec les conditions de la naissance de l'enfant, pourtant en grande souffrance avec un score d'Apgar de 1, 7 puis 8, respectivement à 1, 5 et 10 minutes de vie et avec un petit périmètre crânien dont elle a regardé la mention comme une erreur, la question du lien de causalité entre cette atrophie et les séquelles dont souffre le jeune G... n'a pas été abordée au cours de l'expertise, et nécessite un avis médical impartial.

Sur les préjudices :

14. L'experte avait envisagé un examen intermédiaire de G... à l'âge de 13 ans. Il ne résulte pas de l'instruction que l'enfant ait fait l'objet de cet examen alors qu'il a atteint aujourd'hui l'âge de 14 ans. H... suite, il y a lieu de donner pour mission à l'expert qui sera désigné sur les points cités ci-dessus de se prononcer également sur les préjudices de l'enfant dans les conditions fixées ci-après.

DECIDE :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la requête de Mme F..., procédé H... un expert, désigné H... le président de la cour administrative d'appel, à une expertise au contradictoire de Mme F..., du centre hospitalier Gabriel Martin de Saint-Paul et de la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion.

L'expert aura pour mission de :

1°) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de G... F... et, notamment, tous documents relatifs au suivi prénatal, à son séjour à la maternité, à son suivi médical, aux actes de soins et aux diagnostics réalisés depuis sa naissance ; prendre connaissance du rapport d'expertise du Dr C... du 18 octobre 2017, de l'IRM du 21 février 2013 et de l'avis du Dr D... du 30 juin 2019 ; convoquer et entendre les parties, ainsi que procéder à un examen médical de G... F... ;

2°) indiquer si l'absence de réalisation d'un dépistage instrumental du taux de bilirubine avant la sortie de maternité de G... F... est de nature à l'avoir privé d'une chance d'échapper aux conséquences d'un ictère sévère ; préciser si l'importance du taux de bilirubine constaté le 27 juin 2008 implique nécessairement la présence d'un taux déjà élevé à la sortie de maternité le 21 juin ; le cas échéant, quantifier la perte de chance ;

3°) préciser dans quelle mesure le retard de prise en charge lors de l'hospitalisation du 27 juin 2008 a pu avoir des conséquences sur les séquelles neurologiques constatées chez G... ;

4°) indiquer si l'ictère a pu se développer chez G... F... après sa sortie de la maternité, en détailler le mécanisme et préciser les possibilités de traitement plus précoce que la prise en charge dont il a bénéficié ;

5°) indiquer les origines possibles de l'atrophie cortico-sous-corticale diagnostiquée en 2013 et si celle-ci est à l'origine d'une partie des séquelles dont souffre G... ; le cas échéant, quantifier cette proportion ;

6°) dire si l'état de G... F... est consolidé au regard de l'ictère nucléaire ou s'il est susceptible d'amélioration ou de dégradation ;

7°) décrire, dans les conditions fixées ci-dessous, la nature et l'étendue des préjudices ayant résulté, pour G... F..., du retard de diagnostic et de traitement de son ictère :

a) préjudices patrimoniaux :

- préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation) : dépenses de santé et frais divers, assistance d'une tierce personne, dont la nature et le volume horaire seront précisés ;

- préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation) : dépenses de santé et frais divers, assistance d'une tierce personne dont la nature et le volume seront précisés, incidence professionnelle ;

b) préjudices extra patrimoniaux :

- préjudices extra patrimoniaux temporaires (avant consolidation) : déficit fonctionnel temporaire, souffrances endurées, préjudice esthétique temporaire ;

- préjudices extra patrimoniaux permanents (après consolidation) : déficit fonctionnel permanent, préjudice sexuel, préjudice d'agrément, préjudice esthétique permanent ;

8°) donner à la cour tout autre élément d'information qu'il estimera utile.

Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues H... les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. L'expert déposera son rapport au greffe de la cour sous forme dématérialisée, et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé H... le président de la cour dans sa décision le désignant. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.

Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué H... le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier Gabriel Martin, à Mme A... F... et à la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion.

Délibéré après l'audience du 25 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Luc Derepas, président,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public H... mise à disposition au greffe, le 17 novembre 2022.

Le rapporteur,

Olivier B...

Le président,

Luc Derepas

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX03593


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03593
Date de la décision : 17/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. DEREPAS
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : CABINET PREZIOSI CECCALDI

Origine de la décision
Date de l'import : 20/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-11-17;21bx03593 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award