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17/11/2022 | FRANCE | N°20BX03575

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre, 17 novembre 2022, 20BX03575


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la lettre du 13 septembre 2018 du directeur de l'École nationale de la magistrature, d'enjoindre au directeur de l'École nationale de la magistrature de retirer cette lettre ainsi que toute référence à celle-ci de son dossier, et de supprimer les propos injurieux, outrageants ou diffamatoires figurant dans les écritures et pièces produites par l'École nationale de la magistrature et de condamner l'État à lui verser la somme de 1 euro

à titre de dommages et intérêts en application de l'article L. 741-2 du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la lettre du 13 septembre 2018 du directeur de l'École nationale de la magistrature, d'enjoindre au directeur de l'École nationale de la magistrature de retirer cette lettre ainsi que toute référence à celle-ci de son dossier, et de supprimer les propos injurieux, outrageants ou diffamatoires figurant dans les écritures et pièces produites par l'École nationale de la magistrature et de condamner l'État à lui verser la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts en application de l'article L. 741-2 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1804301 du 7 octobre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la lettre du 13 septembre 2018 du directeur de l'École nationale de la magistrature, a supprimé la pièce n° 2 produite par l'École nationale de la magistrature, a réservé l'action en dommages et intérêts présentée par M. B... et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 2 novembre 2020 et le 23 août 2022, M. B..., représenté par Me Genty, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 7 octobre 2019 en tant qu'il rejette ses conclusions à fin d'injonction ;

2°) d'enjoindre au directeur de l'École nationale de la magistrature de retirer la lettre du 13 septembre 2018 de son dossier, ainsi que toute mention de celle-ci, notamment en oblitérant, dans la décision du 26 novembre 2018 lui infligeant un avertissement, les passages relatant les faits litigieux, mentionnant un acte préparatoire à la sanction et reprenant le contenu de cette lettre ;

3°) de mettre à la charge de l'École nationale de la magistrature la somme de 656,10 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'annulation de la lettre du 13 septembre 2018 impliquait nécessairement qu'elle soit retirée de son dossier, conformément à ce que prévoit l'article L. 911-1 du code de justice administrative ;

- l'École nationale de la magistrature n'a que partiellement exécuté le jugement du tribunal administratif ;

- la lettre du 13 septembre 2018 avait un caractère disciplinaire dès lors qu'elle a été versée à son dossier ;

- la pièce n° 2 avait un caractère diffamatoire, sans rapport avec les faits ayant justifié la lettre du 13 septembre 2018.

Par des mémoires en défense enregistrés le 20 juin 2022 et le 16 septembre 2022, l'École nationale de la magistrature, représentée par Me Ruffié, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M. B... ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 7 octobre 2019 en tant qu'il annule la lettre du directeur de l'École nationale de la magistrature du 13 septembre 2018 et qu'il supprime la pièce n° 2 jointe à son mémoire en défense de première instance ;

3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de 13 euros au titre du remboursement du droit de plaidoirie.

Elle soutient que :

- la demande tendant au remboursement des frais exposés par M. B... pour se déplacer à l'audience devant le tribunal administratif de Bordeaux est irrecevable dès lors qu'il n'a adressé aucune réclamation préalable à l'École nationale de la magistrature ;

- M. B... n'a pas intérêt à faire appel du jugement du 7 octobre 2019, qui a fait droit à sa demande principale ;

- les conclusions de première instance de M. B... étaient irrecevables dès lors que la lettre du 13 septembre 2018 ne constitue pas une mesure disciplinaire et ne lui fait pas grief ; il s'agissait seulement d'une lettre d'observations pédagogiques ; la seule circonstance que cette lettre a été versée à son dossier ne lui donne pas de caractère disciplinaire ;

- la pièce n° 2 ne présentait pas de caractère diffamatoire ;

- l'annulation de la lettre du 13 septembre 2018 n'impliquait pas la suppression des éléments relatifs à l'incident du 17 juillet 2018.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle par une décision du 3 septembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 72-355 du 4 mai 1972 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... A...,

- les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public,

- les observations de Me Eizaga, représentant M. B..., et de Me Ruffié, représentant l'École nationale de la magistrature.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., nommé auditeur de justice par un arrêté du 8 janvier 2018, a suivi sa scolarité à l'École nationale de la magistrature. M. B... est intervenu au cours d'une conférence-débat animée par le délégué interministériel à la sécurité routière le 17 juillet 2018. A la suite de cette intervention, le directeur de l'École nationale de la magistrature lui a adressé, le 13 septembre 2018, une lettre qui a été versée à son dossier. Par un jugement du 7 octobre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cette lettre, a enjoint au directeur de l'École nationale de la magistrature de supprimer la pièce n°2 qu'elle avait produite au soutien de ses écritures et a rejeté le surplus des conclusions dont il était saisi. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions à fin d'injonction. Par la voie de l'appel incident, l'École nationale de la magistrature relève appel de ce jugement en tant qu'il annule la lettre du directeur de l'école du 13 septembre 2018 et qu'il supprime la pièce n° 2 jointe à son mémoire en défense.

Sur la recevabilité de la requête :

2. En premier lieu, si le jugement attaqué a fait droit aux conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la lettre du directeur de l'École nationale de la magistrature du 13 septembre 2018, il n'a pas intégralement fait droit aux conclusions de la demande dont le tribunal était saisi dès lors qu'il a notamment rejeté ses conclusions à fin d'injonction. Ainsi, le requérant peut relever appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à ces conclusions. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par l'Ecole nationale de la magistrature doit être écartée.

3. En second lieu, alors même que la lettre du 13 septembre 2018 aurait été supprimée du dossier de M. B... à la date de l'enregistrement de sa requête d'appel, ce dernier justifie d'un intérêt pour faire appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux, qui lui fait grief, dès lors que, ainsi qu'il a été dit au point précédent, ce jugement n'a pas fait droit à ses conclusions d'injonction. Par suite, cette fin de non-recevoir doit également être écartée.

Sur la régularité du jugement :

4. L'erreur qu'auraient commise les premiers juges, qui n'ont pas méconnu leur office, en estimant qu'il n'y avait pas lieu de prononcer une mesure d'injonction n'a pas trait à la régularité du jugement mais à son bien-fondé. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement sur ce point doit être écarté.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

5. Dans la lettre du 13 septembre 2018, le directeur de l'École nationale de la magistrature indique à M. B... qu'il lui est reproché d'avoir " interpellé de manière virulente et en des termes inappropriés " le délégué interministériel à la sécurité routière lors de la conférence-débat du 17 juillet 2018 et relève le caractère " discourtois, voire insultant " de son intervention. Il rappelle ensuite à l'intéressé son devoir de délicatesse lequel doit conduire, selon ce courrier, " à s'abstenir d'utiliser des expressions ou commentaires déplacés ou méprisants " et lui indique que ses critiques concernant l'obligation du port de la ceinture de sécurité sont susceptibles de constituer une violation de son devoir de réserve. Si l'École nationale de la magistrature soutient qu'il s'agissait d'une lettre d' " observations pédagogiques " rappelant à M. B... ses obligations déontologiques, eu égard aux termes ainsi rappelés, cette lettre adresse à l'intéressé des réprimandes identifiant des manquements à ses obligations et ne peut être regardée comme rappelant en des termes généraux le contenu de l'obligation au devoir de réserve et de délicatesse. Au regard des réprimandes formulées par le directeur de l'École nationale de la magistrature et de la circonstance que cette lettre a été versée au dossier de M. B..., elle a le caractère d'une mesure disciplinaire. C'est ainsi à bon droit que les premiers juges ont écarté la fin de non-recevoir opposée par l'École nationale de la magistrature tirée de ce que cette lettre ne ferait pas grief à l'intéressé, alors même que le directeur de l'École nationale de la magistrature mentionnait qu'il invitait M. B... à changer d'attitude " dans un souci pédagogique ", et qu'il indiquait que le comportement de dernier était " susceptible " de constituer un manquement à ses devoirs.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne légalité de la mesure disciplinaire du 13 juillet 2018 :

6. La lettre de réprimande du 13 juillet 2018, qui a le caractère d'une mesure disciplinaire, est intervenue sans que la procédure disciplinaire prévue notamment par l'article 62 du décret du 4 mai 1972 relatif à l'École nationale de la magistrature n'ait été suivie. M. B... ayant été privé d'une garantie, cette irrégularité est de nature à entacher la décision du 13 juillet 2018 d'illégalité.

En ce qui concerne la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires :

7. En vertu des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, les tribunaux administratifs peuvent, dans les causes dont ils sont saisis, prononcer, même d'office, la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires.

8. La pièce n° 2 jointe au mémoire en défense de première instance de l'École nationale de la magistrature, qui consiste en une lettre adressée par les anciens colocataires de M. B... à la directrice-adjointe de l'école, est étrangère à la cause et présente un caractère diffamatoire, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, et il y avait lieu d'en prononcer la suppression.

En ce qui concerne l'injonction :

9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. /La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ".

10. Au regard de ses motifs, le jugement du tribunal administratif de Bordeaux impliquait nécessairement qu'il soit enjoint à l'École nationale de la magistrature que la lettre de réprimande, ainsi que toute référence à celle-ci soient supprimées du dossier de M. B.... Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont rejeté les conclusions à fin d'injonction du requérant au motif qu'elles présentaient un caractère superfétatoire.

11. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner la demande d'injonction présentée par M. B....

12. Il résulte de l'instruction que l'École nationale de la magistrature a supprimé la lettre du 13 septembre 2018 ainsi que toute référence qui y était faite du dossier de M. B.... L'exécution du présent arrêt n'implique pas que toutes les références aux événements qui ont conduit à la rédaction de la lettre du 13 septembre 2018 soient également supprimées, contrairement à ce que soutient le requérant. Dès lors que l'École nationale de la magistrature a procédé, à la date du présent arrêt, aux suppressions qu'impliquaient nécessairement l'annulation de la lettre du directeur de l'École nationale de la magistrature du 13 septembre 2018 par le tribunal administratif de Bordeaux, les conclusions présentées par M. B... à fin d'injonction doivent être rejetées.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande à fin d'injonction. Par ailleurs, l'École nationale de la magistrature n'est fondée, par la voie de l'appel incident, ni à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé la lettre de réprimande du 13 juillet 2018, ni à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a prononcé la suppression de la pièce n° 2 jointe à son mémoire en défense.

Sur les frais d'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'École nationale de la magistrature, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par l'École nationale de la magistrature. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme à verser à cette école sur le fondement de cet article.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'École nationale de la magistrature sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à l'École nationale de la magistrature.

Délibéré après l'audience du 27 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Marianne Hardy, présidente,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Charlotte Isoard, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022.

La rapporteure,

Charlotte A...La présidente,

Marianne Hardy

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 20BX03575 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03575
Date de la décision : 17/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme HARDY
Rapporteur ?: Mme Charlotte ISOARD
Rapporteur public ?: M. ROUSSEL
Avocat(s) : CABINET LEXIA

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-11-17;20bx03575 ?
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