La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/11/2022 | FRANCE | N°20BX03997

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 15 novembre 2022, 20BX03997


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser une somme de 134 943,88 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'illégalité de la décision du 2 juin 2015 du recteur de l'académie de Poitiers refusant le renouvellement de son contrat à durée déterminée.

Par un jugement n° 19000127 du 13 octobre 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requê

te et un mémoire, enregistrés les 10 décembre 2020 et 13 décembre 2021, M. C..., représenté par l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser une somme de 134 943,88 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'illégalité de la décision du 2 juin 2015 du recteur de l'académie de Poitiers refusant le renouvellement de son contrat à durée déterminée.

Par un jugement n° 19000127 du 13 octobre 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 décembre 2020 et 13 décembre 2021, M. C..., représenté par la société KPL avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 13 octobre 2020 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 134 943, 88 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- son mémoire du 14 septembre 2020, qui comportait des éléments de fait nouveaux, n'a pas été communiqué ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, le refus de renouvellement de son contrat n'était pas justifié par l'intérêt du service ; la preuve de ses prétendues difficultés relationnelles n'est pas rapportée ; le rectorat n'a produit aucun témoignage émanant de témoin direct ; le seul témoignage direct émane d'un agent qui a cru qu'il avait préconisé le non renouvellement de son contrat, assertion dont il établit le caractère erroné ; il a produit de nombreux témoignages en sa faveur ;

- le non-respect des droits de la défense a vicié la procédure et a eu une incidence sur le sens de la décision ; faute de communication de son dossier, il n'a pas été mis à même de contester en temps utile les faits qui lui étaient reprochés ;

- en requalifiant la décision de sanction déguisée, le tribunal a nécessairement retenu l'existence d'une erreur de droit ;

- du fait du non renouvellement de son contrat, il a subi un préjudice financier d'un montant de 121 943, 88 euros correspondant à la perte de traitements et primes bruts qu'il aurait perçus pendant 36 mois si son contrat avait été renouvelé ;

- il établit le lien entre l'illégalité fautive et l'apparition d'un syndrome anxiodépressif ; il a subi un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence qui doivent être évalués, respectivement, à 10 000 euros et 3 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2021, la rectrice de l'académie de Poitiers conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la décision de non-renouvellement de contrat a été prise dans l'intérêt du service compte tenu des difficultés relationnelles du requérant, dont les écarts de comportement sont évoqués par les rapports successifs de sa hiérarchie ; l'intéressé a adopté un comportement inadapté à l'égard des agents dont il était le supérieur hiérarchique ; la réalité de ces difficultés relationnelles a été expressément reconnue par le jugement, devenu définitif, du tribunal administratif de Poitiers, revêtu de l'autorité de la chose jugée ;

- le vice de procédure n'a pas eu d'incidence sur le sens de la décision puisque M. A... a eu communication de l'ensemble des éléments de son dossier, a été reçu en entretien à plusieurs reprises et a présenté des observations écrites.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E... B...,

- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,

- et les observations de Me Kolenc-Le Bloch, représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... a été recruté par l'académie de Poitiers pour exercer, dans le cadre d'une mise à disposition du GRETA Charente, les fonctions de conseiller en formation continue sous couvert d'un contrat à durée déterminée conclu en 2010 et renouvelé en 2012 pour une durée de trois ans. Par une décision du 2 juin 2015, le recteur de l'académie de Poitiers a refusé de renouveler ce contrat, dont le terme était fixé au 31 août 2015. Par un jugement du 6 décembre 2017, devenu définitif, le tribunal administratif de Poitiers, après avoir relevé que cette décision revêtait un caractère disciplinaire, l'a annulée au motif qu'elle avait été prise sur une procédure irrégulière faute de communication de son dossier à M. C.... Ce dernier a saisi le même tribunal d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 134 943,88 euros en réparation des préjudices subis, selon lui, du fait de l'illégalité fautive de la décision du 2 juin 2015. Il relève appel du jugement du 13 octobre 2020 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Sur la responsabilité :

2. Un agent public qui a été recruté par un contrat à durée déterminée ne bénéficie ni d'un droit au renouvellement de son contrat ni, à plus forte raison, d'un droit au maintien de ses clauses si l'administration envisage de procéder à son renouvellement. Toutefois, l'administration ne peut légalement décider, au terme de son contrat, de ne pas le renouveler ou de proposer à l'agent, sans son accord, un nouveau contrat substantiellement différent du précédent, que pour un motif tiré de l'intérêt du service. Un tel motif s'apprécie au regard des besoins du service ou de considérations tenant à la personne de l'agent. Dès lors qu'elles sont de nature à caractériser un intérêt du service justifiant le non renouvellement du contrat, la circonstance que des considérations relatives à la personne de l'agent soient par ailleurs susceptibles de justifier une sanction disciplinaire ne fait pas obstacle, par elle-même, à ce qu'une décision de non renouvellement du contrat soit légalement prise, pourvu que l'intéressé ait alors été mis à même de faire valoir ses observations.

3. Il résulte de l'instruction que la décision du 2 juin 2015 du recteur de l'académie de Poitiers de non-renouvellement du contrat de M. C... est fondée sur " les difficultés relationnelles que vous avez rencontrées dans l'exercice de vos fonctions ". Pour établir la matérialité des faits ayant justifié cette décision, la rectrice de l'académie de Poitiers produit un courrier du 5 mai 2014 adressé par la secrétaire générale du GRETA Charente à son président, indiquant que plusieurs membres du personnel, notamment des formateurs, deux conseillères en formation et l'agent de maintenance se plaignent d'être malmenés par M. C..., que l'ancienne assistante administrative du pôle BTP a sollicité un changement d'affectation pour le même motif, et que deux des assistantes administratives de ce même pôle se déclarent " sous pression " et menacées par l'intéressé de non renouvellement de leurs contrats, l'une d'entre elles précisant prendre un traitement antidépresseur pour se rendre sur son lieu de travail. Toutefois, ce courrier n'est pas circonstancié s'agissant des agissements précisément reprochés et n'est assorti d'aucun témoignage direct d'agent. Il est en outre, pour partie, formellement contredit par les attestations rédigées en faveur de M. C... par l'agent de maintenance et l'une des assistantes administratives cités dans ce courrier. Puis, si une assistante administrative alors en fonction au sein du pôle BTP a effectivement alerté sa hiérarchie, par courriel du 17 avril 2014, de ce que M. C... lui aurait conseillé d'adopter une attitude " plus discrète et effacée " sous peine de ne pas obtenir le renouvellement de son contrat de travail, il résulte de l'instruction que ce courriel a été rédigé alors que l'intéressée croyait, à tort, que M. C... avait émis un avis défavorable au renouvellement de son contrat. Ce courriel, dont la teneur n'a pas été réitérée par d'autre témoignage de son auteure, présente dans ces conditions un caractère peu probant. La rectrice de l'académie de Poitiers produit également un courrier du 10 juillet 2014 du président par interim du GRETA Charente faisant état de " propos et gestes déplacés envers des collègues féminines " et d'une alternance entre " des moments de colère forte et de complicité presque déplacée ", mais ce courrier ne comporte aucune précision factuelle et ne précise davantage pas quels agents seraient concernés par le comportement qualifié de " déplacé " de M. C.... La rectrice produit en dernier lieu un courrier du directeur du GRETA du 1er septembre 2014 qui indique que M. C... a toujours donné une version des faits différente de celle des agents qui se plaignaient de son comportement, que les avis sont " très partagés " et mettent " souvent en cause le comportement de chacun ", qui souligne qu'aucun fait concret n'a été porté à sa connaissance à l'issue de l'enquête administrative menée au sein du GRETA Charente. Les éléments apportés par la rectrice, nullement circonstanciés, ne sont en outre assortis d'aucun témoignage d'agent ni illustrés par aucun fait précis malgré la tenue d'une enquête administrative interne. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que des difficultés auraient été relevées lors des évaluations professionnelles de M. C.... Ce dernier admet pour sa part avoir eu des difficultés relationnelles avec une assistante administrative du pôle BTP, qui a souhaité un changement d'affectation, et des désaccords avec deux formateurs du GRETA Charente, sans qu'aucune pièce ne permette de déterminer si ces difficultés ponctuelles étaient imputables à un comportement inadapté du requérant. Il produit enfin de nombreuses attestations émanant d'agents du GRETA Charente, en particulier de la proviseure et du proviseur adjoint du lycée professionnel au sein duquel il exerçait ses fonctions, de deux assistantes administratives du pôle BTP et d'une quinzaine de formateurs, qui soulignent tous son professionnalisme et son comportement respectueux à l'égard de ses collègues. Dans ces conditions, et contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, en se fondant, pour refuser le renouvellement du contrat de M. C..., sur le motif de nature disciplinaire tenant au comportement conflictuel de l'intéressé, le recteur de l'académie de Poitiers a entaché sa décision d'une erreur de fait.

4. Il s'ensuit que la responsabilité de l'Etat est engagée pour illégalité fautive de la décision litigieuse à raison non seulement de l'irrégularité de la procédure à l'issue de laquelle elle a été édictée mais encore de l'illégalité interne dont elle est entachée.

Sur la réparation des préjudices :

5. M. C... sollicite la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 121 943, 88 euros correspondant à la perte de revenus bruts calculée en fonction d'un non renouvellement de son contrat initial pour trois ans, une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et une somme de 3 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d'existence.

6. Lorsqu'un agent public sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de la décision de ne pas renouveler son contrat ou de le modifier substantiellement sans son accord, sans demander l'annulation de cette décision, il appartient au juge de plein contentieux, forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, de lui accorder une indemnité versée pour solde de tout compte et déterminée en tenant compte notamment de la nature et de la gravité de l'illégalité, de l'ancienneté de l'intéressé, de sa rémunération antérieure, et des troubles dans ses conditions d'existence.

7. Il résulte de l'instruction que M. C... a exercé ses fonctions au sein du rectorat de l'académie de Poitiers pendant une durée de six ans et percevait un revenu net mensuel d'environ 2 700 euros. Il n'a en revanche pas produit d'élément relatif à la perte de rémunération qu'il affirme avoir subie à compter du 1er juillet 2016, date à laquelle son contrat a pris fin, malgré la mesure d'instruction faite par la cour. Le requérant établit également avoir présenté un syndrome anxiodépressif en lien avec les conditions dans lesquelles a été édictée la décision litigieuse de non renouvellement de son contrat. Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la nature et de la gravité de l'illégalité commise, il sera fait une juste appréciation du dommage subi par M. C... en l'évaluant à la somme de 20 000 euros.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'indemnisation, ainsi qu'à demander la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation de ses préjudices.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 19000127 du 13 octobre 2020 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser une somme de 20 000 euros à M. C....

Article 3 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et à la rectrice de l'académie de Poitiers.

Délibéré après l'audience du 18 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

Mme Agnès Bourjol, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 novembre 2022.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve B...

Le président,

Didier Artus

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX03997


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03997
Date de la décision : 15/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : SCP PIELBERG KOLENC

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-11-15;20bx03997 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award