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25/10/2022 | FRANCE | N°22BX01535

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 25 octobre 2022, 22BX01535


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 21 juin 2021 par lequel le préfet de la Guadeloupe a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2101054 du 12 avril 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a, d'une part, annulé l'arrêté du 21 juin 2021, d'autre part, enjoint au préfet de la G

uadeloupe de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 21 juin 2021 par lequel le préfet de la Guadeloupe a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2101054 du 12 avril 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a, d'une part, annulé l'arrêté du 21 juin 2021, d'autre part, enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ".

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 juin 2022, le préfet de la Guadeloupe demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 12 avril 2022 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de Mme A....

Il soutient que :

- l'arrêté du 21 juin 2021 est fondé sur les dispositions de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et non sur son article L. 423-23 ;

- l'arrêté attaqué ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que Mme A... ne remplit pas les conditions légales posées par celui-ci ;

- il ne méconnaît pas davantage les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que Mme A... ne justifie pas ne pas pouvoir mener une vie personnelle et familiale normale dans son pays d'origine ni être dépourvue de toutes attaches familiales dans ce dernier.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 août 2022 et des pièces enregistrées le 23 août 2022, Mme A..., représentée par Me Rodes, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Guadeloupe de lui délivrer un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans les quinze jours de la notification de l'arrêt de la cour et à la condamnation de l'Etat au versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Guadeloupe ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 15 juillet 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 19 septembre 2022 à 12h00.

Par un courrier du 27 septembre 2022, les parties ont été informées, en application de dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité du moyen invoqué devant le tribunal administratif par la requérante de première instance tenant au vice de forme qui affecterait la procédure de demande de titre de séjour de la préfecture de la Guadeloupe.

Un courrier en réponse au moyen d'ordre public, présenté pour Mme A..., a été enregistré le 1er octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C... B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante haïtienne née le 20 avril 1998, est entrée sur le territoire national le 26 juillet 2016 et a sollicité un titre de séjour. Par un arrêté du 21 juin 2021, le préfet de la Guadeloupe a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 12 avril 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de la Guadeloupe de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par la présente requête, le préfet de la Guadeloupe relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / ... ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Pour l'application de ces stipulations et dispositions, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

3. En premier lieu, lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code, même s'il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux notamment en vue de régulariser la situation de l'intéressé. Toutefois, lorsque le préfet recherche d'office si l'étranger peut bénéficier d'un titre de séjour sur un ou plusieurs autres fondements possibles, l'intéressé peut alors se prévaloir à l'encontre de la décision de rejet de sa demande de titre de séjour de la méconnaissance des dispositions au regard desquelles le préfet a également fait porter son examen.

4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que Mme A... a demandé son admission au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cependant, le préfet de la Guadeloupe énonce explicitement dans l'arrêté contesté que Mme A... " ne remplit aucune des conditions prévues par l'article L. 423-23 [du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile] ", dans la mesure où, notamment, elle ne démontre pas " être isolée dans son pays d'origine " et " ne pas pouvoir mener une vie normale dans un autre pays que la France ". Il doit ainsi être regardé comme ayant examiné la situation de Mme A... également au titre de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Contrairement à ce qu'il soutient, Mme A... pouvait donc utilement invoquer le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions. En tout état de cause, pour annuler l'arrêté du 21 juin 2021, le tribunal s'est également fondé sur les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. En second lieu, pour annuler l'arrêté en litige du 21 juin 2021, le tribunal a estimé que le préfet de la Guadeloupe avait porté une atteinte disproportionnée au droit de Mme A... au respect de sa vie privée et familiale et méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, compte tenu de l'intégration de Mme A... en France, où résident régulièrement sa mère et sa fratrie, et de l'absence de lien avec son pays d'origine.

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée sur le territoire français en juillet 2016, à l'âge de 18 ans en dehors du cadre du regroupement familial, pour y rejoindre d'abord sa tante en Guyane, puis en 2020 sa mère en Guadeloupe, cette dernière étant titulaire d'une carte de résidente. Elle a entamé une scolarité en lycée, à l'issue de laquelle elle a obtenu en 2020 un baccalauréat professionnel. Elle a ensuite poursuivi des études supérieures et obtenu un BTS " Etudes et économie de la construction ". Cependant, ces études n'ouvrent pas, en elles-mêmes, à Mme A... un droit à demeurer sur le territoire français. De plus, Mme A... est célibataire et sans charge de famille en France. Enfin, si elle soutient ne plus avoir d'attaches en Haïti depuis 2011 date du décès de sa grand-mère maternelle, elle ne justifie pas qu'elle serait dépourvue de toute attache familiale dans son pays d'origine, dans lequel elle a vécu jusqu'à sa majorité en 2016. Par suite, eu égard à la durée de sa présence en France et malgré la présence de sa mère, de son demi-frère et de sa demi-sœur sur le territoire national, l'arrêté contesté n'a pas porté au droit de l'intéressée à mener une vie privée et familiale normale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Le préfet de la Guadeloupe est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Guadeloupe a jugé que l'arrêté en litige était entaché d'une méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Il y a lieu pour la cour, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé en première instance par Mme A....

8. Après l'expiration du délai de recours contre un acte administratif, sont irrecevables, sauf s'ils sont d'ordre public, les moyens soulevés par le demandeur qui relèvent d'une cause juridique différente de celle à laquelle se rattachent les moyens invoqués dans sa demande avant l'expiration de ce délai.

9. Par son mémoire enregistré le 11 février 2022 au tribunal administratif de la Guadeloupe, Mme A... soulève pour la première fois le moyen tiré d'un vice de forme en raison de l'impossibilité de cocher une case " vie privée et familiale " sur le formulaire de demande de titre de séjour de la préfecture de la Guadeloupe. La requête de Mme A... enregistrée le 10 septembre 2021 n'exposait que deux moyens de légalité interne tirés de la méconnaissance des articles L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration est irrecevable et ne peut qu'être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Guadeloupe est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué du 12 avril 2022.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu de rejeter les conclusions de Mme A..., partie perdante, présentées sur le fondement de ces dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2101054 du 12 avril 2022 du tribunal administratif de la Guadeloupe est annulé.

Article 2 : La demande de première instance et les conclusions d'appel de Mme A... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme D....

Copie en sera adressée au préfet de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 octobre 2022.

La présidente-assesseure,

Bénédicte MartinLa présidente-rapporteure,

Evelyne B... Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX01535


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01535
Date de la décision : 25/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Evelyne BALZAMO
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : RODES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-25;22bx01535 ?
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