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25/10/2022 | FRANCE | N°22BX00855

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 25 octobre 2022, 22BX00855


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I... H... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 16 juillet 2021 par laquelle la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 2104348 du 13 janvier 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 mars 2022, Mme I... H..., représentée par Me Le Guedard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administr

atif de Bordeaux du 13 janvier 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 16 juillet 2021 de la préfète de la Gi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I... H... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 16 juillet 2021 par laquelle la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour.

Par un jugement n° 2104348 du 13 janvier 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 mars 2022, Mme I... H..., représentée par Me Le Guedard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 13 janvier 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 16 juillet 2021 de la préfète de la Gironde ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois sous astreinte de 80 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve pour son conseil de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- cette décision est insuffisamment motivée en ce qu'elle ne fait pas mention de l'état de santé de son fils cadet, G..., atteint de cardiopathie et ne répond pas aux exigences de motivation posées aux articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la préfète de la Gironde n'a pas procédé à un examen complet de sa situation, en considérant qu'elle n'entrait dans aucun cas d'attribution d'un titre de séjour de plein droit, compte tenu de l'état de santé de santé de son fils, atteint d'une pathologie cardiaque, qui a été hospitalisé à plusieurs reprises pour détresse respiratoire, bénéficie d'un suivi spécialisé régulier par le service de pédiatrie médicale au centre hospitalier de Bordeaux et d'un traitement médicamenteux ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 432-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle remplit l'ensemble des conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur ce fondement ; en effet, le père de son fils A..., de nationalité française, justifie contribuer à l'entretien et à l'éducation de ce dernier en lui versant une pension alimentaire et en lui rendant visite ; elle a saisi le juge aux affaires familiales aux fins qu'il statue sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et la contribution à l'entretien de son fils A... ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 432-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle fait preuve d'une intégration professionnelle réelle et subvient aux besoins de ses enfants ; la cellule familiale ne peut se reconstruire au Cameroun, dès lors que les pères respectifs de ses deux enfants vivent en France, que le père de son fils A... est français et n'a pas vocation à partir vivre au Cameroun ; le père de son fils G..., compatriote ayant le statut de réfugié, dont elle est séparée, participe à son entretien et à son éducation ;

- elle porte atteinte à l'intérêt supérieur de ses deux enfants, tel que protégé par les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision de refus de séjour est entachée d'erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et familiale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2022, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête J..., en s'en remettant expressément à ses écritures de première instance.

Elle fait valoir que les moyens invoqués par Mme H... ne sont pas fondés.

Mme I... H... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 pris pour son application ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... D... a été entendu au cours de l'audience publique :

Considérant ce qui suit :

1. Mme I... H..., ressortissante camerounaise née le 2 mai 1986, a déclaré être entrée irrégulièrement en France le 13 septembre 2016. Titulaire d'un titre de séjour en qualité de parent d'un enfant français valable du 26 octobre 2018 au 25 octobre 2019, elle en a sollicité le renouvellement le 20 août 2019. Par une décision du 16 juillet 2021, la préfète de la Gironde a rejeté sa demande. Par une ordonnance n° 2104349 du 17 septembre 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a suspendu l'exécution de cet arrêté au motif qu'en l'état de l'instruction le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation était de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté du 16 juillet 2021 refusant de renouveler le titre de séjour J..., et a enjoint à la préfète de la Gironde de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler. Mme H... relève appel du jugement du 13 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ". Aux termes de l'article L. 423-8 du même code : " Pour la délivrance de la carte de séjour prévue à l'article L.423-7, lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ou produire une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme H... est la mère de deux enfants, A... et G..., dont l'aîné est français, nés les 30 mars 2017 et 31 octobre 2018, ayant été reconnus par leurs pères respectifs. Pour refuser de renouveler le titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de parent d'enfant français à l'intéressée, la préfète de la Gironde s'est fondée sur l'absence de justification que M. E..., ressortissant français père de son fils A..., contribue à son entretien et à son éducation. Mme H... verse au dossier des attestations émanant de M. E..., qui réside en région parisienne, par lesquelles ce dernier s'est engagé à verser la somme de 50 euros par mois à la mère jusqu'à la majorité de son fils au titre de la contribution à son entretien et à son éducation. Toutefois, en se bornant à produire un unique billet de train pour un aller-retour Paris-Bordeaux en février 2021, et une attestation émanant du père de son fils G..., datée du 4 août 2021, faisant état de versements ponctuels du père à l'occasion de visites épisodiques, Mme H... ne justifie pas que son fils A... entretient des relations régulières avec son père. Au demeurant, la simple justification en appel de quatre virements bancaires de 50 euros effectués par M. E... au profit J... en octobre 2021, décembre 2021, en janvier et mars 2022, soit postérieurement à l'arrêté contesté, ne saurait, en l'absence de tout autre élément justificatif, suffire à établir que M. E... participe effectivement à l'entretien et à l'éducation du fils ainé de la requérante.

4. Dans ces conditions, en application des dispositions précitées de l'article L. 423-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le droit au séjour de Mme I... H... doit s'apprécier au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de ses enfants.

5. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

6. Il ressort des pièces du dossier que la requérante justifie, à la date de la décision contestée, de cinq années de présence en France, où elle a bénéficié d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfants français du 26 octobre 2018 au 25 octobre 2019, enfants qui sont scolarisés en maternelle. Il ressort également des pièces du dossier que G..., fils cadet J..., alors âgé de trois ans à la date du refus de titre de séjour contesté, est né de la relation de la requérante avec un compatriote, M. F... C..., qui a le statut de réfugié politique et titulaire d'une carte de résident à ce titre, produite en appel. Alors même que les parents du jeune G... sont depuis séparés, il a été reconnu par ses deux parents. Par ailleurs, Mme H... verse au dossier un jugement du 12 septembre 2019 par lequel la juge aux affaires familiales a accordé un droit de visite au père, a fixé la résidence habituelle de l'enfant chez sa mère, ainsi que le montant de la pension alimentaire due par le père à 150 euros par mois à compter du 1er octobre 2019 au titre de la contribution à l'entretien et à l'éducation de son enfant. Dès lors, la filiation est établie à l'égard de M. F... C.... Il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté que le jeune G... souffre d'une pathologie cardiaque congénitale complexe, ayant nécessité qu'il soit hospitalisé à plusieurs reprises pour détresse respiratoire en service de réanimation pédiatrique du centre hospitalier universitaire de Bordeaux, pathologie pour laquelle cet enfant bénéficie d'un suivi régulier par le service de pédiatrie médicale et d'un traitement médicamenteux. Ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, Mme H... est fondée à soutenir que sa vie privée et familiale ne peut se poursuivre au Cameroun compte tenu en particulier de l'état de santé de son fils cadet, et du statut de réfugié politique du père de ce dernier. Dans ces conditions, la décision contestée a porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée et méconnu l'intérêt supérieur de ses enfants.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme H... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 juillet 2021 de la préfète de la Gironde portant refus de titre de séjour.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

8. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

9. L'annulation prononcée par le présent arrêt implique nécessairement, eu égard au motif qui la fonde, la délivrance à Mme H... d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer un tel titre dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de la munir d'une autorisation provisoire de séjour, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

10. Mme H... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Le Guedard de la somme de 1 500 euros.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 13 janvier 2022 et la décision de la préfète de la Gironde du 16 juillet 2021 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Gironde de délivrer à Mme H... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de la munir d'une autorisation provisoire de séjour dans cette attente.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à Me Le Guedard une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I... H..., au ministre de l'intérieur et des Outre-mer, et à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

Mme Agnès Bourjol, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 octobre 2022.

La rapporteure,

Agnès D...Le président,

Didier ARTUS

La greffière,

Sylvie HAYET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX00855


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00855
Date de la décision : 25/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Agnès BOURJOL
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : LE GUEDARD

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-25;22bx00855 ?
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