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25/10/2022 | FRANCE | N°20BX03889

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre, 25 octobre 2022, 20BX03889


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser une somme de 55 000 euros en réparation des préjudices subis à raison du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime.

Par un jugement n° 1802810 du 29 septembre 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 novembre 2020, Mme A..., représentée par Me Gomez, demande à la cour :

1°) d'an

nuler le jugement du 29 septembre 2020 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de condamner l'Etat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser une somme de 55 000 euros en réparation des préjudices subis à raison du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime.

Par un jugement n° 1802810 du 29 septembre 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 novembre 2020, Mme A..., représentée par Me Gomez, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 29 septembre 2020 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 55 000 euros, avec intérêts et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il ne résulte d'aucune des attestations qu'elle a produites qu'elle aurait eu des relations dégradées avec d'autres personnes que la directrice au sein de l'école ; ces attestations, concordantes, établissent qu'elle a subi des brimades, parfois publiques ; la circonstance que ces attestations révèlent un sentiment général de défiance à l'égard de la directrice de l'école ne leur ôte pas leur caractère probant ;

- elle établit avoir fait l'objet d'agissements de la directrice de l'école caractérisant un harcèlement moral : la directrice a adopté à son égard une attitude défiante et agressive et a admis avoir pour objectif de l'isoler en vue d'obtenir son départ de l'école ; la directrice a en outre considérablement réduit le périmètre de ses tâches ; les faits dénoncés ne sauraient être réduits à une relation houleuse entre deux agents ; le rectorat, informé par la commune d'Angoulême, n'a mené aucune enquête interne ; elle a déposé une main courante le 30 mars 2016 puis une plainte pénale le 20 février 2018 ;

- elle a enduré, du fait du harcèlement moral, des souffrances pendant une période de dix ans, jusqu'à commettre une tentative de suicide le 8 mai 2016 ; elle a été prise en charge par des psychiatres, hospitalisée à plusieurs reprises, et la dégradation de son état de santé a été reconnu imputable au service ; elle présente un effondrement thymique avec asthénie, troubles du sommeil et ruminations anxieuses ; au regard de la durée et de l'intensité de ses souffrances, une somme de 50 000 euros doit lui être allouée en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence ;

- son évaluation professionnelle ayant été systématiquement biaisée par la directrice de l'école, elle a subi un préjudice professionnel en réparation duquel une somme de 5 000 euros doit lui être allouée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2021, la rectrice de l'académie de Poitiers conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- Mme A... reprend pour l'essentiel ses arguments de première instance ;

- la requérante a eu des difficultés relationnelles qui ont engendré une réponse hiérarchique normale ; elle ne précise d'ailleurs pas quelles suites ont été données à sa plainte pénale du 20 février 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E... B...,

- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gomez, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... A..., agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM) depuis 1996, a été affectée à compter de 1999 au sein de l'école maternelle Auguste Renoir, à Limoges, et titularisée dans ses fonctions le 1er juillet 2002. Par un courrier du 23 mai 2018, elle a sollicité auprès du recteur de l'académie de Poitiers l'indemnisation des préjudices qu'elle impute à des agissements de harcèlement moral commis par la directrice de cette école de 2004 à 2016. Cette réclamation a été rejetée par décision du 22 juin suivant. Mme A... relève appel du jugement du 29 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 55 000 euros en réparation de ses préjudices.

Sur la responsabilité de l'Etat à raison d'un harcèlement moral :

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés (...) ". Aux termes de l'article 11 de la même loi : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

3. Lorsqu'un agent est victime, dans l'exercice de ses fonctions, d'agissements répétés de harcèlement moral visés à l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 précité, il peut demander à être indemnisé par l'administration de la totalité du préjudice subi, alors même que ces agissements ne résulteraient pas d'une faute qui serait imputable à celle-ci. Dans ce cas, si ces agissements sont imputables en tout ou partie à une faute personnelle d'un autre ou d'autres agents publics, le juge administratif, saisi en ce sens par l'administration, détermine la contribution de cet agent ou de ces agents à la charge de la réparation.

4. Mme A... soutient avoir été victime de harcèlement moral du fait des agissements de Mme D..., directrice de l'école maternelle Auguste Renoir depuis 2004.

5. S'agissant, tout d'abord, de la mise à l'écart dont elle soutient avoir été victime, il résulte des attestations concordantes de trois ATSEM ayant exercé au sein de la même école que la directrice leur interdisait de discuter avec Mme A..., surveillait leurs échanges avec cette dernière et leur reprochait, le cas échéant, de sympathiser avec elle. Il résulte de ces mêmes attestations que la requérante était affectée à des tâches qui l'isolaient, sans qu'aucun atelier ne lui soit confié, et était l'unique membre de l'équipe des ATSEM à n'être jamais invitée à la fête de fin d'année de l'école.

6. Mme A... fait également valoir que Mme D... a adopté à son égard un comportement particulièrement désobligeant dans le but de lui faire quitter l'école. Il résulte des attestations précitées qu'elle refusait de saluer ou d'adresser la parole à la requérante, s'abstenant même de la recevoir en entretien dans son bureau dans le cadre de ses évaluations professionnelles. Il résulte également d'un rapport de situation établi le 25 novembre 2016 par la directrice " petite enfance et éducation " de la commune d'Angoulême que la directrice de l'école, après avoir sollicité en vain le départ de Mme A... de l'école Auguste Renoir, a indiqué à la responsable du personnel scolaire de la commune : " si c'est ça je la prends dans ma classe l'année prochaine, je ne lui adresserai pas la parole de l'année et on verra si elle ne part pas ! ".

7. Il résulte enfin des attestations et rapport ci-dessus mentionnés et des éléments médicaux versés au dossier que Mme A... a présenté, consécutivement à une souffrance morale au travail, un syndrome anxiodépressif majeur associé à des troubles anxieux sévères et des idées suicidaires ayant nécessité plusieurs hospitalisations, qui ont justifié son placement en congé maladie à compter du 29 avril 2016.

8. Les faits exposés par Mme A... sont de nature à établir une présomption de harcèlement moral à son encontre de la part de la directrice de l'école maternelle Auguste Renoir. Contrairement à ce que fait valoir l'administration, qui n'a au demeurant pas diligenté d'enquête administrative alors qu'elle était alertée par la commune d'Angoulême des difficultés rencontrées par Mme A..., les agissements ci-dessus décrits ne correspondent pas à un exercice normal du pouvoir hiérarchique. Par ailleurs, si l'évaluation professionnelle de Mme A... au titre de l'année 2014, qui a au demeurant été rédigée par Mme D..., fait état de difficultés relationnelles de l'intéressée avec ses collègues, les évaluations établies au titre des années 2009 à 2013 et 2015, toutes élogieuses, ne comportent nullement une telle réserve, et il ne résulte d'aucun autre élément de l'instruction que la requérante aurait eu un comportement inadapté à l'égard du personnel du l'école.

9. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les agissements de Mme D... à l'égard de Mme A... sont constitutifs d'un harcèlement moral au sens des dispositions précitées. La responsabilité de l'Etat est engagée du fait de ces agissements. La requérante est ainsi fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser.

10. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les conclusions indemnitaires présentées par Mme A....

Sur la réparation des préjudices de Mme A... :

11. En premier lieu, Mme A... soutient avoir subi un préjudice professionnel à raison du caractère erroné des appréciations portées par la directrice de l'école Auguste Renoir sur ses évaluations professionnelles. Il résulte cependant de l'instruction qu'hormis celle établie en 2014, laquelle comporte des réserves sur sa manière de servir, ses évaluations professionnelles sont toutes favorables. Dans ces conditions, le préjudice professionnel invoqué n'est pas établi.

12. En second lieu, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par Mme A... du fait du harcèlement moral dont elle a été victime durant plusieurs années, qui a conduit à une grave altération de son état de santé, en condamnant l'Etat à lui verser une somme de 20 000 euros tous intérêts confondus.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1802810 du 29 septembre 2020 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme A... une somme de 20 000 euros tous intérêts confondus.

Article 3 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et à la rectrice de l'académie de Poitiers.

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

M. Didier Artus, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

Mme Agnès Bourjol, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 octobre 2022.

La rapporteure,

Marie-Pierre Beuve B...

Le président,

Didier Artus

La greffière,

Sylvie Hayet

La République mande et ordonne au ministre de l'économie en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX03889


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03889
Date de la décision : 25/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. ARTUS
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : LAVALETTE AVOCATS CONSEILS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-25;20bx03889 ?
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