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20/10/2022 | FRANCE | N°20BX01190

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 20 octobre 2022, 20BX01190


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 10 septembre 2019 par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a refusé de l'autoriser à exercer en France la profession de chirurgien-dentiste, sauf à se soumettre à une mesure de compensation consistant en une épreuve d'aptitude ou un stage d'adaptation d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1902589 du 11 février 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure d

evant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 mars 2020 et 18 févri...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 10 septembre 2019 par laquelle la ministre des solidarités et de la santé a refusé de l'autoriser à exercer en France la profession de chirurgien-dentiste, sauf à se soumettre à une mesure de compensation consistant en une épreuve d'aptitude ou un stage d'adaptation d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1902589 du 11 février 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 mars 2020 et 18 février 2022, Mme F..., représentée par le cabinet Ten France, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 11 février 2020 ;

2°) d'annuler la décision ministérielle du 10 septembre 2019 ;

3°) d'enjoindre au ministre de la santé et de la prévention de lui délivrer une autorisation d'exercice à titre individuel de la profession de chirurgien-dentiste ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont méconnu le caractère contradictoire de la procédure en ne lui communiquant pas le mémoire en défense, ce qui a préjudicié à ses droits ;

- la décision est signée par une autorité incompétente ; il n'est pas établi que la décision relèverait des compétences du bureau " exercice, déontologie et développement professionnel continu " ;

- le ministre commet une erreur de droit en se fondant sur des dispositions du II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique non applicable à la date de la décision en litige ; l'injonction de réexamen prononcée par le tribunal administratif de Poitiers

le 21 mai 2019 devant être exécutée au vu de la législation en vigueur à la date de la demande selon les termes du jugement, la condition tendant à l'exercice pendant trois ans de la profession en Espagne ne saurait lui être opposée ;

- le ministre a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en estimant qu'elle n'avait pas d'expérience professionnelle suffisante, alors qu'elle a effectué 1 347 heures de formation pratique dans le cadre de son cursus universitaire, exercé à titre individuel après l'obtention de son diplôme et complété sa formation à plusieurs reprises à compter de 2011 ;

- les mesures de compensation proposées ne sont pas réelles dès lors que les inscriptions à l'épreuve d'aptitude étaient closes lorsqu'elle a reçu la décision en litige et qu'elle n'a pas été en mesure d'obtenir un stage d'adaptation malgré ses nombreuses demandes ; elle a fait part de son choix en octobre 2019 au centre national de gestion.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 janvier 2022, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la non-communication du mémoire en défense de première instance n'a pas préjudicié à ses droits ;

- le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision manque en fait ;

- la décision a été prise postérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2017-50 du 19 janvier 2017 assurant la transposition de la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles ; les conditions d'obtention des autorisations sont celles fixées par les règles en vigueur à la date à laquelle l'administration statue ;

- la décision ne méconnaît pas les dispositions du II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique ; l'attestation académique du ministre espagnol de l'éducation ne précise pas que l'homologation du diplôme aurait été établie conformément à la directive 2005/36/CE ; il n'est pas établi que l'intéressée a exercé la profession pendant trois ans en Espagne ; en outre, les diplômes obtenus en France ne sanctionnent pas des formations conformes aux obligations européennes, permettant l'exercice de la profession, et son activité d'assistante dentaire ne saurait s'apparenter à un exercice autonome de la profession ; l'exercice de la profession au Venezuela lors de stages et au sein de la " zone dental " a été relativement limité et les pièces relatives à un exercice autonome ne sont pas probantes ;

- l'intéressée n'a pas fait connaître, comme elle y était pourtant invitée, la mesure de compensation choisie.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. G... D...,

- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Leeman, représentant Mme F....

Considérant ce qui suit :

1. Mme H... B... épouse F..., qui a acquis la nationalité française

en 2015, a sollicité le 31 janvier 2016 l'autorisation d'exercer la profession

de chirurgien-dentiste au vu d'un diplôme en odontologie obtenu au Venezuela en 2009, et reconnu par les autorités espagnoles en 2011. Par une décision du 29 septembre 2016, la ministre des solidarités et de la santé a rejeté sa demande au motif qu'elle ne démontrait pas d'exercice récent de la profession, tout en prévoyant qu'elle pouvait bénéficier d'une mesure compensatoire consistant soit en un stage d'adaptation, soit en une épreuve d'aptitude. Cette décision a été annulée pour erreur de droit par un jugement du tribunal administratif de Poitiers du 21 mai 2019, devenu définitif, au motif que l'expérience récente de la profession de chirurgien-dentiste n'était pas au nombre des critères pertinents prévus par l'article L. 4111-2 du code de la santé publique. Le tribunal a enjoint à la ministre des solidarités et de la santé de réexaminer la situation de Mme F... " au vu de la législation en vigueur à la date de sa demande ". En exécution de ce jugement, la ministre a pris le 10 septembre 2019 une nouvelle décision de refus, prévoyant à nouveau la possibilité de bénéficier d'une mesure compensatoire. Saisi une seconde fois par l'intéressée, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande par jugement du 11 février 2020. Par la présente requête, Mme F... relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...). / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.

3. Il ressort des visas du jugement attaqué du 11 février 2020 qu'un mémoire en défense, enregistré le 23 janvier 2020, a été déposé au greffe du tribunal, avant la clôture de l'instruction, par la ministre des solidarités et de la santé. Ces écritures, qui constituaient le premier mémoire en défense de la ministre, n'ont pas été communiquées à Mme F...

dont les conclusions ont été rejetées. Cette méconnaissance de l'obligation posée par

l'article R. 611-1 du code de justice administrative ne saurait, eu égard à la motivation retenue par les premiers juges, plus précisément sur l'insuffisance de son expérience professionnelle, être regardée comme n'ayant pu avoir d'influence sur l'issue du litige. Il résulte de ce qui précède que Mme F... est fondée à soutenir que le jugement est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme F... devant le tribunal administratif de Poitiers.

Sur la légalité de la décision ministérielle du 10 septembre 2019 :

5. En premier lieu, M. A... E..., chef du bureau " exercice, déontologie et développement professionnel continu " au sein de la sous-direction des ressources humaines du système de santé, de la direction de l'offre de soins du ministère, a reçu délégation pour signer au nom du ministre tous les actes relevant de ses attributions, à l'exception des décrets, par un arrêté du 2 septembre 2019 régulièrement publié au Journal officiel de la République française le lendemain. Mme F... ne conteste pas sérieusement la compétence du signataire de la décision en se bornant à soutenir qu'il n'est pas établi que la décision en litige relèverait des compétences du bureau chargé des questions d'exercice professionnel. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée doit être écarté.

6. En deuxième lieu, si en principe le droit applicable pour statuer sur une demande d'autorisation à la suite de l'annulation contentieuse d'une première décision est celui en vigueur au moment où l'administration statue à nouveau, il ressort des pièces du dossier que la décision ministérielle attaquée a été prise en exécution du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 21 mai 2019, devenu définitif, qui a enjoint un réexamen de la demande de Mme F... " au vu de la législation en vigueur à la date de la demande ".

7. Aux termes de l'article L. 4111-1 du code de la santé publique : " Nul ne peut exercer la profession de médecin, de chirurgien-dentiste ou de sage-femme s'il n'est : 1° Titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre mentionné aux articles L. 4131-1, L. 4141-3 ou L. 4151-5 ; (...) ". L'article L. 4141-3 du même code, dans sa version applicable, prévoit que : " Les titres de formation exigés en application du 1° de l'article L. 4111-1 sont pour l'exercice de la profession de chirurgien-dentiste : / 1° Soit le diplôme français d'Etat de docteur en chirurgie dentaire ; / 2° Soit le diplôme français d'Etat de chirurgien-dentiste ; / 3° Soit si l'intéressé est ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen : / a) Les titres de formation de praticien de l'art dentaire délivrés par l'un de ces Etats conformément aux obligations communautaires et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé ; / b) Les titres de formation de praticien de l'art dentaire délivrés par un Etat, membre ou partie, conformément aux obligations communautaires, ne figurant pas sur la liste mentionnée au a, s'ils sont accompagnés d'une attestation de cet Etat certifiant qu'ils sanctionnent une formation conforme à ces obligations et qu'ils sont assimilés, par lui, aux diplômes, certificats et titres figurant sur cette liste ; (...) ". Aux termes du II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) L'autorité compétente peut également, après avis d'une commission composée notamment de professionnels, autoriser individuellement à exercer la profession de médecin dans la spécialité concernée, de chirurgien-dentiste, le cas échéant dans la spécialité, ou de sage-femme les ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, titulaires de titres de formation délivrés par un Etat tiers, et reconnus dans un Etat, membre ou partie, autre que la France, permettant d'y exercer légalement la profession. / Dans le cas où l'examen des qualifications professionnelles attestées par l'ensemble des titres de formation et de l'expérience professionnelle pertinente fait apparaître des différences substantielles au regard des qualifications requises pour l'accès à la profession et son exercice en France, l'autorité compétente exige que l'intéressé se soumette à une mesure de compensation qui consiste, au choix du demandeur, en une épreuve d'aptitude ou en un stage d'adaptation dans la spécialité ou le domaine concerné. ".

8. En vertu de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment, en dernier lieu, de son arrêt C-166/20 du 8 juillet 2021, il découle des articles 45 et 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, que, lorsque les autorités d'un Etat membre sont saisies par un ressortissant de l'Union d'une demande d'autorisation d'exercer une profession dont l'accès est, selon la législation nationale, subordonné à la possession d'un diplôme, d'une qualification professionnelle ou encore à des périodes d'expérience pratique, et que, faute pour le demandeur d'avoir obtenu un titre de formation le qualifiant, dans l'Etat membre d'origine, pour y exercer une profession réglementée, sa situation n'entre pas dans le champ d'application de la directive 2005/36 modifiée, elles sont tenues de prendre en considération l'ensemble des diplômes, certificats et autres titres, ainsi que l'expérience pertinente de l'intéressé, en rapport avec cette profession, acquis tant dans l'Etat membre d'origine que dans l'Etat membre d'accueil, en procédant à une comparaison entre d'une part les compétences attestées par ces titres et cette expérience et, d'autre part, les connaissances et qualifications exigées par la législation nationale.

9. En opposant à Mme F... l'absence d'exercice suffisant de la profession de chirurgien-dentiste, la ministre, qui s'est fondée sur l'avis de la commission d'autorisation d'exercice constatant des différences substantielles entre les qualifications professionnelles de l'intéressée et celles requises en France pour l'exercice de l'odontologie, n'a pas fait application d'une condition non prévue par les textes précités. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.

10. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme F... est titulaire depuis décembre 2009 du diplôme vénézuélien d'odontologiste, reconnu en Espagne en juin 2011 comme équivalent au titre universitaire de Licenciée en Odontologie. A compter de son arrivée en France en 2011, elle a suivi plusieurs enseignements en formation continue et obtenu deux certificats d'études supérieures, l'un en odontologie prothétique, mention prothèse adjointe partielle, l'autre en odontologie conservatrice et endodontie. Toutefois, mises à part une activité à temps partiel entre juillet 2010 et mai 2011 au Venezuela au sein d'une " zona dental " et une activité en tant qu'assistante dentaire en France à compter

de 2015 dans différents cabinets, Mme F... n'établit pas, par les pièces produites, une expérience suffisante de la profession de chirurgien-dentiste. A cet égard, les pièces produites pour démontrer une pratique à titre libéral de l'activité de chirurgien-dentiste entre décembre 2009 et mai 2011 ne sont pas suffisamment probantes. Par suite, en refusant de l'autoriser à exercer en France la profession de chirurgien-dentiste, sauf à se soumettre à une mesure de compensation, au motif que les qualifications professionnelles de Mme F... présentaient des différences substantielles avec les qualifications requises pour l'accès à la profession de chirurgien-dentiste en France en raison d'une pratique professionnelle insuffisante, la ministre de la santé et des solidarités n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

11. En dernier lieu, si Mme F... soutient que les mesures compensatoires proposées n'étaient pas effectives dès lors qu'elle n'est pas parvenue à obtenir un stage d'adaptation et qu'il était trop tard pour s'inscrire à l'épreuve d'aptitude à réception de la décision en litige, ces circonstances, à les supposer établies, sont sans incidence sur la légalité de la décision.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme F... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision ministérielle du 10 septembre 2019. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 11 février 2020 est annulé.

Article 2 : La demande de Mme F... et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... F... et au ministre de la santé et de la prévention.

Délibéré après l'audience du 27 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2022.

Le rapporteur,

Olivier D...

La présidente,

Catherine Girault

Le greffier,

Fabrice BenoitLa République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20BX01190


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01190
Date de la décision : 20/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : CABINET TEN FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-20;20bx01190 ?
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