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06/10/2022 | FRANCE | N°22BX00129

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 06 octobre 2022, 22BX00129


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2021 par lequel le préfet de police lui a retiré son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2104679 du 14 décembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 11 juillet 2021 et mis à la charge de l'Etat

la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administra...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 11 juillet 2021 par lequel le préfet de police lui a retiré son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2104679 du 14 décembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 11 juillet 2021 et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 janvier 2022, le préfet de police demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 14 décembre 2021.

Il soutient que :

- M. C... représente une réelle menace pour l'ordre public au sens de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il s'est rendu coupable de faits de complicité de conduite d'un aéronef non conforme aux règles de sécurité, de complicité d'usage non autorisé d'appareil photographique au-dessus d'une zone non autorisée et de complicité de survol d'une zone interdite par maladresse ou négligence du télé-pilote d'un aéronef circulant sans personne à bord ;

- si le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris a décidé de ne pas donner suite aux faits qui lui sont reprochés, cette circonstance n'enlève rien au caractère dangereux et dommageable de ces actes qui sont établis, la procédure administrative étant indépendante ;

- le niveau en informatique de l'étudiant exclut qu'il ait pu ignorer le caractère sensible de la zone survolée ;

- enfin M. C... est célibataire et sans enfant à charge en France et a conservé l'ensemble de ses attaches dans son pays d'origine.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2022, M. C..., représenté par Me Noël, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat.

Il soutient que :

- il s'est borné à accompagner un ami qui prenait des photos touristiques avec un drone, et ignorait que le survol de l'Elysée était interdit ;

- l'arrêté en litige a été pris par une autorité incompétente, faute de justification d'un empêchement des premiers délégataires ; il n'est pas justifié non plus de la compétence de l'agent notificateur, dont le nom n'est pas mentionné ;

- l'arrêté est insuffisamment motivé dès lors que l'article 2 prévoit qu'il est obligé de quitter le territoire français " dans les conditions fixées à l'article 2 ", qui ne sont pas autrement explicitées ;

- il est entaché d'une erreur de fait en ce qu'il mentionne qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale, alors qu'il réside au Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) de Bordeaux depuis son arrivée en France ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par une ordonnance du 10 mars 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 25 avril 2022 à 12 heures.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme L... H...,

- et les observations de Me Deyris, représentant M. C... et de M. C..., intimé.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant tunisien, entré en France le 2 mars 2021 sous couvert de son passeport muni d'un visa mention " passeport talent " était titulaire d'un récépissé de demande de titre de séjour valable jusqu'au 28 octobre 2021. Le 9 juillet 2021, il s'est vu délivrer une carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'au 8 mars 2024. Par un arrêté du 11 juillet 2021, le préfet de police lui a retiré son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé son pays de renvoi et lui a interdit de revenir sur le territoire français pour une durée d'un an. Par un jugement n° 2104679, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 11 juillet 2021 et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le préfet de police relève appel de ce jugement.

Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :

2. L'arrêté en litige est fondé sur la circonstance que M. C... s'est rendu complice de faits de conduite d'un aéronef non conforme aux règles de sécurité, d'usage non autorisé d'appareil photographique au-dessus d'une zone non autorisée, de survol d'une zone interdite par maladresse ou négligence du télé-pilote d'un aéronef circulant sans personne à bord, ce qui représente une menace pour l'ordre public. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., après six années d'études en informatique, avait presque terminé la période d'essai de son contrat de doctorant de l'Institut polytechnique de Bordeaux, où il était recruté pour travailler sur le sujet "Résilience de la perception collective et augmentée des véhicules autonomes connectés par les C-ITS". Il a accompagné un ami algérien à Paris le 10 juillet 2021 pour prendre des photographies par drone, et le drone a survolé l'Elysée, à quelques jours de la fête nationale. La circonstance que le procureur de la République n'ait pas donné d'autre suite à l'interpellation du contrevenant qu'un simple rappel à la loi n'est pas de nature, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, à établir que l'intéressé, qui ne peut sérieusement soutenir avoir ignoré la réglementation sur le survol par drone ni la localisation du palais de l'Elysée à proximité immédiate du Petit Palais qu'il a prétendu photographier, ne représenterait pas, comme l'a estimé le préfet de police, une menace pour l'ordre public.

3. Par ailleurs, M. C... est célibataire et sans enfant et se prévaut seulement de sa qualité de chercheur contractuel au Laboratoire bordelais de la recherche en informatique depuis le 1er mars 2021, le contrat ayant été conclu jusqu'au 29 février 2024 et mentionnant une rémunération brute de 1 880 euros. Il produit une attestation d'un professeur de l'Institut national polytechnique de Bordeaux en date du 12 juillet 2021 qui indique qu'il a réalisé un stage à distance en 2020, qu'il a fourni un travail de qualité dans le cadre de ce stage, et que l'obliger à quitter le territoire serait pour lui un échec personnel et professionnel difficile à surmonter. Cependant, il ne résulte pas des pièces du dossier que M. C... serait dans l'impossibilité de réaliser sa thèse en informatique dans des conditions équivalentes en Tunisie. Par ailleurs, il ne dispose pas de liens personnels intenses et stables en France, et ne conteste pas que l'ensemble de ses attaches se situent dans son pays d'origine. Dans ces conditions, c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur la situation personnelle de M. C... pour annuler l'arrêté en litige.

4. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C....

Sur les autres moyens :

5. Par un arrêté du 30 avril 2021, régulièrement affiché aux portes de la préfecture de police de Paris, le préfet de police a donné délégation à M. B... I..., attaché d'administration d'Etat et signataire de l'arrêté en litige, en l'absence ou en cas d'empêchement de M. F... G..., préfet délégué à l'immigration, de M. N... M..., chef du service de l'administration des étrangers, de Mme E... K..., cheffe du département zonal de l'asile et de l'éloignement, de Mme J... D..., cheffe du 8ème bureau, à l'effet de signer tous actes, arrêtés, décisions et pièces comptables dans la limite de ses attributions. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les supérieurs hiérarchiques de M. I... n'auraient pas été absents ou empêchés à la date de l'arrêté. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire doit être écarté. Par ailleurs, l'absence de mention du nom de l'agent qui a notifié l'arrêté est sans incidence sur la légalité de cette décision.

6. L'arrêté vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il mentionne les éléments relatifs à la situation personnelle de l'intéressé. Si l'article 2 prévoit que l'intéressé est obligé de quitter le territoire français " dans les conditions fixées à l'article 2 ", cette mention résulte à l'évidence d'une simple erreur de plume, comme le soulignait le préfet devant le tribunal, alors que le refus de délai de départ volontaire figure à l'article 3. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté doit être écarté.

7. M. C... soutient que l'arrêté est entaché d'une erreur de fait en ce qu'il indique, pour fonder l'absence de délai de départ volontaire, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale. Il ressort du procès-verbal d'audition par les services de police qu'il avait mentionné son adresse au CROUS de Bordeaux et le montant du loyer qu'il versait pour l'occupation de cette chambre. Dans ces conditions, il est fondé à soutenir que c'est à tort que le préfet de police, qui n'a pas remis en cause l'authenticité de ces informations, ultérieurement avérées, a retenu l'absence d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale pour lui refuser un délai de départ volontaire. Par suite, le préfet de police n'est pas fondé à se plaindre que le tribunal a annulé cette partie de la décision.

8. Aux termes de l'article L.612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vigueur depuis le 1er mai 2021 : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. " Dès lors que le refus de délai de départ volontaire est entaché d'une erreur de fait, le préfet de police ne pouvait prononcer l'interdiction de retour qui en est la conséquence. Par suite, le préfet de police n'est pas davantage fondé à se plaindre que le tribunal a annulé l'interdiction de retour.

9. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté en litige en tant qu'il retire le titre de séjour de M. C... et lui fait obligation de quitter le territoire français.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. C... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 14 décembre 2021 est annulé en tant qu'il a annulé le retrait du titre de séjour et l'obligation de quitter le territoire français.

Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Bordeaux à l'encontre du retrait du titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel du préfet de police est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des Outre-mer et à M. A... C.... Copie en sera adressée au préfet de police et à la préfète de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 13 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 octobre 2022.

La présidente-assesseure,

Anne Meyer

La présidente, rapporteure,

Catherine H...

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°22BX00129 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00129
Date de la décision : 06/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : COHEN UZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-06;22bx00129 ?
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