La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/09/2022 | FRANCE | N°19BX04886

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 27 septembre 2022, 19BX04886


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Groupe Victoria a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner la commune de Gavarnie-Gèdre à lui verser la somme de 9 967 898,06 euros en réparation du préjudice subi du fait de la délivrance de renseignements erronés et de l'illégalité de l'arrêté du 13 mars 2015 portant refus de prorogation d'un permis de construire délivré le 16 septembre 2008.

Par un jugement n° 1700297 du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa deman

de.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 décem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Groupe Victoria a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner la commune de Gavarnie-Gèdre à lui verser la somme de 9 967 898,06 euros en réparation du préjudice subi du fait de la délivrance de renseignements erronés et de l'illégalité de l'arrêté du 13 mars 2015 portant refus de prorogation d'un permis de construire délivré le 16 septembre 2008.

Par un jugement n° 1700297 du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 décembre 2019 et 3 février 2021, la SARL Groupe Victoria, représentée par Me Achou-Lepage, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 15 octobre 2019 ;

2°) d'annuler la décision du 4 janvier 2016 par laquelle le maire de la commune de Gavarnie-Gèdre a rejeté sa demande indemnitaire préalable ;

3°) de condamner la commune de Gavarnie-Gèdre à lui verser la somme de 9 967 898,06 euros en réparation des préjudices subis augmentée des intérêts légaux et des intérêts capitalisés ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Gavarnie-Gèdre le versement à son conseil de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la fin de non-recevoir de sa requête doit être écartée dans la mesure où elle a adressé sa demande indemnitaire préalable à la mairie déléguée de Gavarnie, et qu'en cas d'erreur, il appartient à l'administration saisie de transmettre la demande à l'administration compétente en application de l'article L. 114-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que les premiers juges ont dénaturé la requête et n'ont pas répondu, en raison d'une analyse erronée, au moyen tiré de la responsabilité pour faute du fait de la délivrance d'une information d'urbanisme erronée ;

- les premiers juges ont irrégulièrement procédé d'office à une substitution de motifs qui n'est pas d'ordre public en combinant les dispositions des articles R. 424-21, L. 145-3 et L. 145-10 du code de l'urbanisme alors que l'arrêté de refus de prorogation du permis de construire n'est pas fondé sur la combinaison de ces dispositions ;

- ils ont entaché leur jugement d'une erreur de droit dès lors que la caducité d'une unité touristique nouvelle ne peut être regardée comme une prescription d'urbanisme défavorable au sens de l'article R. 424-21 du code de l'urbanisme ;

- la commune engage sa responsabilité pour faute dès lors qu'elle a délivré une information erronée en matière d'urbanisme dans la mesure où elle a porté à sa connaissance le fait que le permis de construire accordé bénéficiait d'une prorogation de droit jusqu'au 13 avril 2016 alors que sa validité expirait en réalité le 13 avril 2015 ; l'information divulguée par la communication du courrier du 5 mars 2015 du conseil de la commune est une information garantie ; il ne peut lui être reproché de n'avoir pas mis en œuvre le permis de construire compte tenu du montage financier rendu complexe du fait du gel procédural du dossier ;

- elle engage également sa responsabilité pour faute compte tenu de l'illégalité de l'arrêté du 13 mars 2015 refusant la prorogation du permis de construire fondé à tort sur la caducité de l'autorisation de l'unité touristique nouvelle ; cette caducité n'est pas " une prescription d'urbanisme ou une servitude d'urbanisme " et n'avait pas d'incidence sur la prorogation du permis de construire ;

- les préjudices qu'elle a subis sont la conséquence directe et certaine des fautes commises par la commune ;

- le préjudice financier et matériel s'élève à 8 967 898,06 euros prenant en compte les dépenses pour l'instruction du programme immobilier et le manque à gagner ;

- le préjudice moral s'élève à 500 000 euros ;

- le préjudice relatif à l'atteinte à l'image de la marque s'élève à 500 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2020 et des pièces nouvelles enregistrées le 2 janvier 2021, la commune de Gavarnie-Gèdre, représentée par Me de Gerando, conclut au rejet de la requête et à ce que la société Groupe Victoria soit condamnée à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la demande indemnitaire préalable du 7 novembre 2016 est irrecevable en ce qu'elle a été adressée au maire de la Commune de Gavarnie alors que la commune de Gavarnie n'existait plus et qu'elle a fusionné avec la commune de Gèdre, ce qui a entraîné la disparition de la personnalité morale des communes concernées et la naissance d'une nouvelle personne morale ;

- les moyens ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 17 décembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 4 février 2021 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... A...,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteure publique,

- et les observations de Me Achou-Lepage, représentant la SARL Groupe Victoria et les observations de Me De Gérando, représentant la commune de de Gavarnie-Gèdre.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 14 mai 2007, le préfet des Hautes-Pyrénées a autorisé l'implantation d'une unité touristique nouvelle (UTN) en vue notamment de la réalisation d'une résidence de tourisme au lieu-dit Barètge sur le territoire de la commune de Gavarnie. Par un arrêté du 16 septembre 2008, le maire de Gavarnie a délivré à la société Groupe Victoria un permis de construire pour la réalisation de cette résidence de tourisme. L'association Union Midi-Pyrénées nature environnement a formé des recours contre ces décisions qui ont été rejetés par le tribunal administratif de Pau et la cour administrative d'appel de Bordeaux et en dernier lieu, s'agissant du permis de construire, par une ordonnance de non-admission du pourvoi en cassation du 13 juin 2012 du conseil d'Etat. La société Groupe Victoria a déposé le 18 décembre 2014 une demande de prorogation du délai de validité de ce permis de construire que le maire de Gavarnie a rejetée par un arrêté du 13 mars 2015, au motif de la caducité le 9 décembre 2013 de l'autorisation d'implantation d'une unité touristique nouvelle. La société a alors demandé à la commune la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la délivrance de renseignements d'urbanisme erronés et de l'illégalité de l'arrêté du 13 mars 2015. Cette demande a été rejetée par une décision du 15 avril 2016 du maire de Gavarnie-Gèdre. Par la présente requête, la société Groupe Victoria relève appel du jugement du 15 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande de condamnation de la commune à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, la SARL Groupe Victoria soutient que les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de la responsabilité pour faute du fait de la délivrance d'une information erronée. Toutefois, le jugement attaqué répond précisément en son point 2 que les courriers d'informations invoqués par la société, adressés par la commune à son conseil, ne lui étaient pas destinés et qu'elle n'établissait pas les conditions dans lesquelles elle avait obtenu ces courriers et qu'ainsi elle n'était pas fondée à soutenir que la commune de Gavarnie-Gèdre aurait commis une faute en lui délivrant des renseignements erronés. Par suite, les premiers juges n'ont pas omis de répondre à ce moyen.

3. En deuxième lieu, il ressort de ses termes mêmes que l'arrêté du 13 mars 2015 du maire de Gavarnie refusant la prorogation du permis de construire de la société Groupe Victoria est motivé, au visa de l'article R. 424-21 du code de l'urbanisme, par l'évolution défavorable des prescriptions d'urbanisme en raison de la caducité de l'autorisation d'implantation d'une unité touristique nouvelle intervenue le 9 décembre 2013. En réponse au moyen tiré de ce que la caducité de cette UTN ne constituait pas une évolution défavorable des dispositions d'urbanisme à l'égard du permis de construire, le tribunal, après avoir rappelé les dispositions des articles R. 424-21, L. 145-3 et L. 145-10 du code de l'urbanisme applicables aux zones de montagne, a énoncé que la caducité de l'autorisation d'implantation d'une UTN mettant fin à la possibilité de déroger à la règle de l'urbanisation en continuité des zones déjà construites prévue par l'article L. 145-3, constituait donc une évolution défavorable des prescriptions d'urbanisme au sens de l'article R. 424-21 du code de l'urbanisme. Ce faisant, les premiers juges n'ont fait que répondre au moyen soulevé par la société Groupe Victoria et n'ont pas procédé d'office à une substitution des motifs de la décision.

4. Les moyens tirés de l'irrégularité du jugement doivent donc être écartés.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. En premier lieu, la SARL Groupe Victoria soutient que la commune de Gavarnie-Gèdre lui a délivré, de manière fautive, un renseignement erroné en lui affirmant que le permis de construire qui lui avait été accordé le 16 septembre 2008 bénéficiait d'une prorogation de droit jusqu'au 13 avril 2016. Il résulte toutefois de l'instruction que les renseignements relatifs au délai de validité de ce permis de construire figurent dans un courrier du 5 mars 2015 adressé à la commune par son conseil et dans un courriel du 25 janvier 2016 de ce même conseil à la société. Ainsi, l'un de ces courriers n'était pas destiné à la société requérante, cette dernière n'établissant d'ailleurs pas les conditions dans lesquelles elle en a obtenu communication, et l'autre courrier n'émanait pas des services de la commune mais du conseil de celle-ci qui s'exprimait en sa qualité et non pour le compte de la collectivité. Au demeurant, dans un autre courrier du 18 février 2015 adressé à la commune et produit par la requérante elle-même, le conseil de la commune faisait état de l'interprétation différente du délai de validité du permis de construire du 16 septembre 2008 donnée par le propre conseil de la société Groupe Victoria. Il résulte de ces éléments que l'information contenue dans les courriers invoqués par la société requérante, qui n'émanent pas de la commune de Gavarnie-Gèdre et font état des difficultés d'interprétation du délai de validité du permis de construire de 2008, ne constitue pas une prise de position de la collectivité adressée à la société et ne constitue donc pas une information garantie comme le soutient la requérante. Celle-ci n'est donc pas fondée à s'en prévaloir pour soutenir que la commune a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à son encontre.

6. En second lieu, aux termes de l'article R. 424-21 du code de l'urbanisme applicable au présent litige : " Le permis de construire, d'aménager ou de démolir ou la décision de non-opposition à une déclaration préalable peut être prorogé pour une année, sur demande de son bénéficiaire si les prescriptions d'urbanisme et les servitudes administratives de tous ordres auxquelles est soumis le projet n'ont pas évolué de façon défavorable à son égard (...) ". Aux termes de l'article L. 145-3 du même code applicable au présent litige : " (...) III- Sous réserve de l'adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l'extension limitée des constructions existantes et de la réalisation d'installations ou d'équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées, l'urbanisation doit se réaliser en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants ". Aux termes de l'article L. 145-10 du même code applicable au présent litige : " A l'exception du III de l'article L. 145-3, les dispositions de la section première du présent chapitre et les dispositions du chapitre II du titre IV du livre III du code du tourisme sont applicables aux unités touristiques nouvelles ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la caducité le 9 décembre 2013, postérieurement à la délivrance le 16 septembre 2008 du permis de construire une résidence de tourisme, de l'autorisation du 14 mai 2007 d'implantation d'une unité touristique nouvelle à Gavarnie en vue de la réalisation de ce projet, a eu pour effet de mettre fin à l'inapplicabilité, au secteur concerné, des dispositions du III de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme, relatives au principe de continuité de l'urbanisation. Les prescriptions d'urbanisme applicables au projet de la société Groupe Victoria ont donc bien connu une évolution défavorable au sens de l'article R. 424-21 précité, contrairement à ce qui est soutenu par la requérante qui ne conteste d'ailleurs pas l'impossibilité de réaliser son projet au regard des dispositions du III de l'article L. 145-3 précitées. La commune était ainsi fondée à invoquer ce motif dans l'arrêté de refus de prorogation du permis de construire, en date du 13 mars 2015.

7. Il résulte de ce qui précède que la commune de Gavarnie n'ayant pas commis les fautes invoquées par la société Groupe Victoria, celle-ci, qui au demeurant n'apporte aucun élément de nature à démontrer les préjudices invoqués ni leur lien avec les fautes alléguées, n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de cette collectivité est engagée à son encontre.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la commune de Gavarnie-Gèdre, que la SARL Groupe Victoria n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande d'indemnisation.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Gavarnie-Gèdre, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont la SARL Groupe Victoria demande le versement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Gavarnie-Gèdre et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SARL Groupe Victoria est rejetée.

Article 2 : La SARL Groupe Victoria versera à la commune de Gavarnie-Gèdre une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Groupe Victoria et à la commune de Gavarnie-Gèdre.

Délibéré après l'audience du 6 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

M. Nicolas Normand, premier conseiller,

M. Michael Kauffmann premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 septembre 2022.

L'assesseur le plus ancien,

Nicolas NormandLa présidente-rapporteure,

Evelyne A...

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au préfet des Hautes-Pyrénées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 19BX04886 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19BX04886
Date de la décision : 27/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Evelyne BALZAMO
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : CABINET GERANDO AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-09-27;19bx04886 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award