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22/09/2022 | FRANCE | N°20BX01622

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 22 septembre 2022, 20BX01622


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 30 janvier 2020 par laquelle la directrice du centre hospitalier de Lannemezan l'a placé à l'isolement.

Par une ordonnance n° 2000440 du 27 avril 2020, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 mai 2020, M. B..., représenté par Me Oudin, demande à

la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Pau du 27 av...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 30 janvier 2020 par laquelle la directrice du centre hospitalier de Lannemezan l'a placé à l'isolement.

Par une ordonnance n° 2000440 du 27 avril 2020, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 mai 2020, M. B..., représenté par Me Oudin, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Pau du 27 avril 2020 ;

2°) d'annuler la décision de la directrice du centre hospitalier de Lannemezan du 30 janvier 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat (ministère de l'intérieur) la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il ne se prononce pas seulement sur la décision de mise à l'isolement ;

- c'est à tort que la présidente du tribunal administratif a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente, alors que la décision de placement à l'isolement ne relève pas de la compétence du juge judiciaire prévue par l'article L. 3216-1 du code de la santé publique ;

- sa demande était recevable alors même que la mesure ne produisait plus d'effet ;

- la décision contestée méconnaît l'article 5 paragraphe 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sur son droit à l'information ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne précitée ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la même convention faute de base légale suffisamment précise et de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 mai 2021, le centre hospitalier de Lannemezan, représenté par la Selarl Interbarreaux Racine, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. B... n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... A...,

- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Dupeyron, représentant le centre hospitalier de Lannemezan.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a été admis le 30 janvier 2020 au centre hospitalier de Lannemezan dans le cadre d'une hospitalisation sans consentement à la demande d'un tiers. Par décision du même jour de la directrice du centre hospitalier, il a été placé à l'isolement, où il est resté quatre jours. Il a saisi le tribunal administratif de Pau d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Par l'ordonnance attaquée du 27 avril 2020, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Sur la régularité de l'ordonnance :

2. Il ressort des visas de l'ordonnance attaquée que la demande de M. B... a été analysée par la première juge comme portant sur la décision du 30 janvier 2020 par laquelle la directrice du centre hospitalier de Lannemezan l'a placé à l'isolement. Il ressort ensuite des énonciations de l'ordonnance que les décisions d'admission, de maintien en soins psychiatriques ou de placement ou maintien à l'isolement prises en application des articles L. 3213-1 et suivants et des articles L. 3222-5-1 et suivants du code de la santé publique ne peuvent être contestées que devant le juge des libertés et de la détention. Ainsi, quand bien même l'ordonnance évoque également la décision d'admission de M. B... en soins psychiatriques, elle se prononce sur l'ordre juridictionnel compétent pour connaître de la légalité de la décision de placement à l'isolement. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'ordonnance serait irrégulière en ce qu'elle ce qu'elle se serait méprise sur la portée de sa demande.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

3. Aux termes de l'article L. 3216-1 du code de la santé publique : " La régularité des décisions administratives prises en application des chapitres II à IV du présent titre ne peut être contestée que devant le juge judiciaire. / Le juge des libertés et de la détention connaît des contestations mentionnées au premier alinéa du présent article dans le cadre des instances introduites en application des articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1. Dans ce cas, l'irrégularité affectant une décision administrative mentionnée au premier alinéa du présent article n'entraîne la mainlevée de la mesure que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l'objet. / Lorsque le tribunal judiciaire statue sur les demandes en réparation des conséquences dommageables résultant pour l'intéressé des décisions administratives mentionnées au premier alinéa, il peut, à cette fin, connaître des irrégularités dont ces dernières seraient entachées. ". L'article L. 3211-12-2 du même code précise la procédure applicable lorsque le juge des libertés et de la détention est saisi en application des articles L. 3211-12 ou L. 3211-12-1, soit à tout moment aux fins d'ordonner la mainlevée d'une mesure de soins psychiatriques, soit avant l'expiration de certains délais, pour statuer sur la poursuite de l'hospitalisation complète d'un patient. Aux termes de l'article L. 3222-5-1 de ce code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé : " L'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin. (...) ".

4. Depuis l'entrée en vigueur des articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3216-1 du code de la santé publique issus de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, la juridiction judiciaire est seule compétente pour apprécier non seulement le bien-fondé mais également la régularité d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement et les conséquences qui peuvent en résulter. Dès lors, toute action relative à telle mesure doit être portée devant cette juridiction à laquelle il appartient, le cas échéant, d'en prononcer l'annulation.

5. M. B... conteste la régularité et le bien-fondé d'une mesure de placement à l'isolement prise sur le fondement de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, qui est une mesure d'organisation des soins, conséquence de son admission en hospitalisation sans consentement à la demande d'un tiers. Si une telle mesure n'était pas, à la date de la décision contestée, expressément mentionnée par les dispositions applicables au contentieux des hospitalisations sans consentement attribuant compétence à la juridiction judiciaire, elle constitue une modalité de cette prise en charge, qui porte une atteinte supplémentaire aux droits et libertés de la personne qui en est l'objet. Dans ces conditions, la contestation d'une telle décision apparaît ne pouvoir être portée que devant le juge des libertés et de la détention.

Sur le renvoi au Tribunal des Conflits :

6. Aux termes de l'article 32 du décret du 27 février 2015 relative au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles : " (...) Lorsqu'une juridiction de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif a, par une décision qui n'est plus susceptible de recours, décliné la compétence de l'ordre de juridiction auquel elle appartient au motif que le litige ne ressortit pas à cet ordre, toute juridiction de l'autre ordre, saisie du même litige, si elle estime que le litige ressortit à l'ordre de juridiction primitivement saisi, doit, par une décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours même en cassation, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée et surseoir à toute procédure jusqu'à la décision du tribunal. "

7. L'ordonnance du 10 février 2020 du tribunal judiciaire de Tarbes statuant, à la demande de la directrice du centre hospitalier, sur la prolongation de l'hospitalisation complète a écarté la contestation du placement à l'isolement du requérant en relevant que "s'agissant de l'éventuel recours à des moyens de contention et à la chambre de sérénité, au cours de l'hospitalisation de M. D... B..., force est de constater que le contrôle du juge tel que défini par le législateur porte sur le principe du maintien de l'hospitalisation sous contrainte et non sur les modalités des soins dispensés au patient ; en conséquence, et sans qu'il soit besoin de déterminer si ces moyens ont effectivement été mis en œuvre en l'espèce, aucune irrégularité ne peut être constatée de ce chef. " Il ne ressort pas de l'ordonnance de la chambre spéciale de la cour d'appel du 21 février 2020 que l'appel de M. B..., dont la conseillère a relevé qu'il s'était présenté à l'audience et n'avait invoqué aucune irrégularité quant à la procédure, aurait porté sur le refus de la première juge de se prononcer sur le bien-fondé de la mesure d'isolement, alors au demeurant que l'intéressé a saisi le tribunal administratif dès le 24 février 2020. Ainsi, la décision du 10 février 2020 du juge des libertés et de la détention n'est plus susceptible de recours en tant qu'elle dénie sa compétence pour se prononcer sur le placement à l'isolement. Dans ces conditions, il y a lieu de renvoyer la question de compétence au Tribunal des Conflits en application des dispositions précitées et de surseoir à statuer sur toutes autres conclusions.

DECIDE :

Article 1er : L'affaire est renvoyée au Tribunal des conflits.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de M. B... jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour statuer sur ce litige.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au centre hospitalier de Lannemezan.

Délibéré après l'audience du 30 août 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 septembre 2022.

Le rapporteur,

Olivier A...

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20BX01622


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01622
Date de la décision : 22/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SELARL INTERBARREAUX RACINE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-09-22;20bx01622 ?
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