Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 23 juillet 2019 par lequel le ministre de l'éducation, de la jeunesse et des sports lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de dix-huit mois, assortie d'un sursis de douze mois.
Par un jugement n° 1901243 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de La Réunion a annulé l'arrêté du 23 juillet 2019, a enjoint à l'administration de régulariser la situation de M. A... et a mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 8 septembre 2020 et le 17 février 2022, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 9 juillet 2020 ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. A....
Il soutient que :
- l'absence de communication du rapport de saisine du conseil de discipline à M. A... préalablement à la réunion de ce conseil de discipline n'a pas porté atteinte au respect des droits de la défense ;
- la procédure disciplinaire engagée à l'encontre de M. A... respecte le délai de la prescription triennale prévu par l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983, et aucun autre délai de prescription n'est imposable à l'autorité disciplinaire ;
- la sanction était justifiée et proportionnée eu égard aux faits reprochés à M. A....
Par un mémoire en défense enregistré le 29 mars 2021, M. A..., représenté par Me Dugoujon, demande à la cour :
1°) de constater qu'il n'y a plus lieu de statuer ;
2°) de rejeter la requête du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports a procédé au retrait de l'arrêté litigieux par un arrêté du 20 août 2020 ;
- les moyens du ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E... B...,
- et les conclusions de M. Romain Roussel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 23 juillet 2019, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports a infligé à M. A..., professeur certifié de technologie, la sanction de l'exclusion temporaire de fonctions de dix-huit mois, assortie d'un sursis de douze mois. Le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports relève appel du jugement du 9 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a annulé l'arrêté du 23 juillet 2019, a enjoint à l'administration de régulariser la situation de M. A... et a mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur l'exception de non-lieu :
2. Lorsque l'autorité administrative, en exécution d'un jugement d'annulation, prend une nouvelle décision qui n'est motivée que par le souci de se conformer à ce jugement d'annulation, cette décision ne prive pas d'objet l'appel dirigé contre ce jugement. Dès lors, le retrait, par un arrêté du 20 août 2020 du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports de l'arrêté du 23 juillet 2019 pour l'exécution du jugement attaqué ne rend pas sans objet les conclusions d'appel du ministre dirigées contre ce jugement. L'exception de non-lieu à statuer opposée par M. A... ne peut, dès lors, être accueillie.
Sur les moyens retenus par les premiers juges :
3. Le tribunal administratif de La Réunion a annulé l'arrêté du 23 juillet 2019 aux motifs que les droits de la défense avaient été méconnus en l'absence de communication préalable du rapport de saisine de l'instance disciplinaire à M. A..., et que les faits reprochés à ce dernier devaient être regardés comme prescrits.
4. En premier lieu, aux termes du troisième alinéa de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l'assistance de défenseurs de son choix. L'administration doit informer le fonctionnaire de son droit à communication du dossier (...) ". L'article 2 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat dispose que : " L'organisme siégeant en conseil de discipline lorsque sa consultation est nécessaire, en application du second alinéa de l'article 19 de la loi susvisée du 13 juillet 1983, est saisi par un rapport émanant de l'autorité ayant pouvoir disciplinaire ou d'un chef de service déconcentré ayant reçu délégation à cet effet. / Ce rapport doit indiquer clairement les faits reprochés au fonctionnaire et préciser les circonstances dans lesquelles ils se sont produits ". Aux termes du premier alinéa de l'article 3 de ce décret : " Le fonctionnaire poursuivi peut présenter devant le conseil de discipline des observations écrites ou orales, citer des témoins et se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix (...) ". Aux termes de l'article 5 du même décret : " Lorsque le conseil de discipline examine l'affaire au fond, son président porte, en début de séance, à la connaissance des membres du conseil les conditions dans lesquelles le fonctionnaire poursuivi et, le cas échéant, son ou ses défenseurs ont exercé leur droit à recevoir communication intégrale du dossier individuel et des documents annexes. / Le rapport établi par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire ou par un chef de service déconcentré ayant reçu délégation de compétence à cet effet et les observations écrites éventuellement présentées par le fonctionnaire sont lus en séance (...) ". Enfin, en vertu de l'article 8 du même décret, le conseil de discipline, au vu des observations écrites produites devant lui et compte tenu, le cas échéant, des déclarations orales de l'intéressé et des témoins ainsi que des éléments de l'enquête à laquelle il a pu être procédé, émet un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée.
5. En application de ces dispositions, et en vertu du principe général des droits de la défense, le fonctionnaire qui fait l'objet d'une procédure disciplinaire doit être informé des insuffisances qui lui sont reprochées et mis à même de demander la communication de son dossier. Toutefois, aucune disposition ne prévoit que le fonctionnaire poursuivi doive recevoir communication, avant la séance du conseil de discipline, du rapport de l'autorité ayant saisi l'instance disciplinaire.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été informé de l'engagement d'une procédure disciplinaire à son encontre par un courrier du 19 février 2019, lequel indiquait les faits reprochés, la possibilité de présenter des observations écrites ou orales devant le conseil de discipline, de citer des témoins et de se faire assister par un défenseur de son choix, ainsi que celle de consulter son dossier. M. A... a d'ailleurs consulté son dossier le 7 mars 2019, et présenté des observations écrites devant le conseil de discipline du 26 mars 2019, qui visaient avec précision les faits qui lui étaient reprochés. Ainsi, alors que le rapport de l'autorité ayant saisi l'instance disciplinaire lu devant le conseil de discipline, qui ne fait pas partie du dossier du requérant, se bornait à reprendre les griefs reprochés à M. A..., dont l'intéressé avait eu préalablement connaissance, l'arrêté du 23 juillet 2019 n'est pas intervenu en méconnaissance des droits de la défense.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " (...) Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction (...) ".
8. Il résulte de ces dispositions que le délai de prescription de trois ans ne court qu'à compter de la date à laquelle l'administration a connaissance effective de la réalité, de la nature, et de l'ampleur des faits passibles de sanction, et non à compter de la date à laquelle ces faits ont été commis, contrairement à ce que soutient M. A.... Il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a été condamné pour les faits ayant donné lieu à la sanction disciplinaire en litige par un jugement du tribunal correctionnel de Saint-Denis du 6 novembre 2007. Le seul article de presse du " Quotidien de La Réunion " versé au dossier paru le lendemain de cette condamnation, s'il comporte des indications précises sur l'identité, la profession et les faits qui ont conduit à cette condamnation, ne permet pas de tenir pour établi que l'administration aurait eu connaissance de ces faits dès cette date, et ce alors même que ledit jugement aurait été relayé par d'autres articles de presse. En l'absence d'autre élément permettant de considérer que le rectorat avait effectivement connaissance de cette condamnation, il doit être regardé comme n'en ayant été informé qu'à la suite de la demande de communication du 16 mai 2017 formulée auprès du procureur de la République du tribunal de grande instance de Saint-Denis et la consultation du fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes par les services du ministre. Par suite, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la procédure disciplinaire engagée le 19 février 2019 à l'encontre de M. A... a été mise en œuvre dans le délai de trois ans à compter de la connaissance des faits ayant motivé la sanction.
9. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur la méconnaissance des droits de la défense et sur la prescription de l'action disciplinaire pour annuler l'arrêté du 23 juillet 2019.
10. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de La Réunion et devant la cour.
Sur les autres moyens invoqués par M. A... :
11. En premier lieu, aux termes de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 : " (...) L'avis de cet organisme de même que la décision prononçant une sanction disciplinaire doivent être motivés ".
12. L'arrêté en litige, après avoir cité les textes applicables, indique que M. A... a été reconnu coupable d'avoir, entre les mois d'octobre 2006 et de janvier 2007, commis avec violence, contrainte et surprise, une agression sexuelle par personne abusant de l'autorité que lui conférait ses fonctions, reprenant ainsi la qualification juridique du délit pour lequel l'intéressé a été condamné, en apportant quelques précisions sur la nature de l'agression et l'autorité exercée sur les victimes, et précise que ces faits constituent un manquement de M. A... à ses obligations déontologiques, notamment son devoir d'exemplarité et d'intégrité, ainsi qu'une atteinte à la réputation de l'institution. Ainsi, le requérant a été mis à même de comprendre les motifs de la sanction qui lui a été infligée et de les contester utilement, alors même que les circonstances des faits qui lui étaient reprochés, dont il avait au demeurant nécessairement connaissance, n'étaient pas précisées et qu'il n'était pas mentionné qu'ils n'avaient pas eu lieu dans l'exercice de ses fonctions de professeur. En outre, la circonstance que ni la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, ni les observations écrites présentées devant la commission de discipline, dont aucun texte ne prévoit qu'elles sont mentionnées dans la sanction infligée au fonctionnaire, n'aient été citées, n'entache pas d'irrégularité la motivation de l'arrêté en litige.
13. En second lieu, aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique d'État : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : - l'avertissement ; - le blâme ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours. / Deuxième groupe : - la radiation du tableau d'avancement ; - l'abaissement d'échelon à l'échelon immédiatement inférieur à celui détenu par l'agent ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours ; - le déplacement d'office. / Troisième groupe : - la rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à l'échelon correspondant à un indice égal ou, à défaut, immédiatement inférieur à celui afférent à l'échelon détenu par l'agent ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans. / Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation ".
14. Le juge de l'excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur les questions de savoir si les faits reprochés à un agent public constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
15. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été condamné par un jugement du tribunal correctionnel de Saint-Denis du 6 novembre 2007 pour agression sexuelle par personne abusant de l'autorité que lui conférait ses fonctions pour des faits d'attouchements à caractère sexuel commis entre les mois d'octobre 2006 et de janvier 2007 sur deux hôtesses, âgées de dix-huit et dix-neuf ans, du salon de massage dirigé par l'épouse de l'intéressé. Ces faits, alors même qu'ils ont été commis douze ans auparavant, sans récidive, et en dehors du service, sont constitutifs d'une faute eu égard à l'exigence d'exemplarité et d'irréprochabilité qui incombe aux enseignants, lesquels sont en relation avec des mineurs. Par ailleurs, au regard de cette même exigence et compte tenu de l'atteinte portée, en raison de la nature de la faute commise par l'intéressé, à la réputation du service public de l'éducation nationale, la sanction de troisième groupe de dix-huit mois d'exclusion temporaire, dont douze mois avec sursis doit être regardée comme proportionnée à la gravité de cette faute. A cet égard, la procédure disciplinaire étant indépendante des poursuites pénales, la circonstance que la condamnation prononcée par le tribunal correctionnel de Saint-Denis ait présenté une durée moins importante que celle de sa suspension est sans incidence sur la légalité de la sanction prise à l'encontre de M. A.... Par ailleurs, le requérant ne saurait se prévaloir d'un " droit à l'oubli ", dès lors que l'arrêté litigieux n'a ni pour objet, ni pour effet de porter à la connaissance du public des informations sur les faits reprochés à l'intéressé.
16. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a annulé l'arrêté du 23 juillet 2019, a enjoint à l'administration de régulariser la situation de M. A... et a mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les frais d'instance :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de La Réunion du 9 juillet 2020 est annulé.
Article 2 : La demande de première instance de M. A... et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Délibéré après l'audience du 9 juin 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Fabienne Zuccarello, présidente,
Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2022.
La rapporteure,
Charlotte B...La présidente,
Fabienne Zuccarello
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX03019 2