Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... A... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 22 juillet 2021 par lequel la préfète de la Creuse a refusé de lui accorder un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours, lui a fait obligation de se présenter au commissariat deux fois par semaine et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2101569 du 9 décembre 2021, le tribunal administratif de Limoges a annulé l'arrêté du 22 juillet 2021 et a enjoint à la préfète de la Creuse de délivrer à Mme A... un titre de séjour.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 7 janvier 2022 sous le n°22BX00146, et un mémoire enregistré le 26 avril 2022, la préfète de la Creuse demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 9 décembre 2021 ;
2°) de rejeter la demande de Mme A....
Elle soutient que :
- les violences psychologiques ne sont pas établies dès lors que les attestations ne sont pas circonstanciées et ne font que relater les dires de Mme A... ;
- les autres moyens de première instance ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 avril 2022 et 9 mai 2022, Mme A..., représentée par Me Pion, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens n'est fondé.
II. Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n°22BX00148, les 7 janvier 2022, 4 mars 2022 et 15 avril 2022, la préfète de la Creuse demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 9 décembre 2021.
Elle soutient qu'il existe des moyens sérieux de nature à justifier l'annulation de ce jugement.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 février 2022, 11 avril 2022 et 9 mai 2022, Mme A..., représentée par Me Pion, conclut au rejet de la requête, au non-lieu à statuer et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens n'est fondé et que la préfète a pris une nouvelle décision de refus le 30 mars 2022.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 mars 2022.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... épouse C..., ressortissante congolaise née en 1981, est entrée en France le 5 décembre 2018 munie d'un visa C Schengen de court séjour et a fait la connaissance de M. C..., né en 1936 et de nationalité française, avec lequel elle s'est mariée le 28 janvier 2020. Elle a déposé, le 9 octobre 2021, une demande de titre de séjour " vie privée et familiale " en qualité de conjoint de français. La préfète de la Creuse a pris à son encontre une décision du 22 juillet 2021 portant refus de séjour assortie d'une obligation de quitter le territoire français, lui faisant obligation de se présenter au commissariat deux fois par semaine et fixant le pays de destination. Saisi par Mme A..., le tribunal administratif de Limoges a annulé cet arrêté et a enjoint à la préfète de lui délivrer un titre de séjour par un jugement du 9 décembre 2021. Par deux requêtes enregistrées sous les numéros 22BX00146 et 22BX00148, qu'il y a lieu de joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt, la préfète de la Creuse relève appel du jugement du tribunal administratif de Limoges du 9 décembre 2021 et demande qu'il soit sursis à son exécution.
Sur la requête 22BX00146:
2. Aux termes de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La rupture de la vie commune n'est pas opposable lorsqu'elle est imputable à des violences familiales ou conjugales (...) En cas de rupture de la vie commune imputable à des violences familiales ou conjugales subies après l'arrivée en France du conjoint étranger, mais avant la première délivrance de la carte de séjour temporaire, le conjoint étranger se voit délivrer la carte de séjour prévue à l'article L. 423-1 sous réserve que les autres conditions de cet article soient remplies ". Il résulte de ces dispositions qu'elles ouvrent droit à la possibilité pour un étranger d'obtenir un titre de séjour sur ce fondement dès lors que les violences familiales ou conjugales ont eu lieu durant la vie commune et qu'elles sont la cause de la rupture de la vie commune.
3. Il est constant que les services de la préfecture de la Creuse ont été informés par l'époux de Mme A..., le 18 janvier 2021, de ce qu'elle avait quitté le domicile conjugal depuis le 20 décembre 2020 et de ce qu'elle ne répondait plus à ses messages. Il ressort également des pièces du dossier que la plainte que Mme A... avait déposée contre son conjoint, désigné comme l'auteur des violences psychologiques qu'elle estimait subir, a été classée sans suite le 16 août 2021 en l'absence d'infraction caractérisée. Mme A... ne produit aucun document permettant de corroborer ses déclarations quant à la réalité des violences qu'elle aurait, selon elle, subies pendant la vie commune. Il ressort au contraire des pièces du dossier que les faits qui, selon la requérante, caractériseraient ces violences, à savoir la clôture, par son époux, d'un compte joint et la résiliation de son abonnement téléphonique, se sont produits quatre mois après qu'elle ait quitté le domicile conjugal. Dans ces conditions, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, ces faits, à supposer qu'ils puissent être regardés comme caractérisant des violences psychologiques, ne sont pas à l'origine de la rupture de la vie commune. Par suite, la préfète de la Creuse est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Limoges a retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour annuler son arrêté du 22 juillet 2021 refusant de délivrer un titre de séjour à Mme A....
4. Il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de se prononcer sur les autres moyens développés par Mme A... devant la juridiction administrative.
5. En premier lieu, M. Renaud Nury, secrétaire général de la préfecture de la Creuse, signataire de la décision en litige, bénéficiait d'une délégation de signature de la préfète de la Creuse du 24 août 2020, régulièrement publiée le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture n°23-2020-08-24-001, " à l'effet de signer tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents (...) ", à l'exclusion de certains actes au nombre desquels ne figure pas la décision en cause. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté.
6. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 3 il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment pas des attestations produites par Mme A... qui portent sur la période postérieure à la rupture de la vie commune, que celle-ci aurait été victime de violences familiales ou conjugales durant la vie commune. Par suite, la préfète de la Creuse n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 423-5 citées au point 3 en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur ce fondement.
7. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".
8. En se bornant à soutenir qu'elle est parfaitement intégrée et qu'elle se retrouve dans une situation économique difficile, Mme A... ne peut être regardée comme répondant à des considérations humanitaires. Par la suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
9. En quatrième lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français contient les éléments de fait et de droit relatifs à la situation de Mme A... et ne révèle pas un défaut d'examen sérieux de sa demande. Par suite, ces moyens doivent être écartés.
10. En cinquième lieu, eu égard au caractère récent de la présence en France de Mme A..., de la rupture de la vie commune avec son époux, de la circonstance qu'elle a conservé des liens familiaux dans son pays d'origine et en l'absence de démonstration de liens particuliers qu'elle aurait tissés sur le territoire français, la préfète de la Creuse n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Enfin, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas entachée des illégalités invoquées, le moyen selon lequel la décision obligeant Mme A... à se présenter au commissariat deux fois par semaine et la décision fixant le pays de renvoi seraient illégales par voie de conséquence de la prétendue illégalité de la mesure d'éloignement doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Creuse est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a annulé son arrêté du 22 juillet 2021 et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à Mme A....
Sur la requête n° 22BX00148 :
13. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation du jugement du 9 décembre 2021 du tribunal administratif de Limoges, les conclusions de la requête n° 22BX00148 tendant au sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet.
Sur les frais liés à l'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges n°2101569 du 9 décembre 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Limoges et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 22BX00148 de la préfète de la Creuse.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Me Pion et à Mme E....
Copie en sera délivrée à la préfète de la Creuse.
Délibéré après l'audience du 12 mai 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,
Mme Charlotte Isoard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juin 2022.
La rapporteure,
Fabienne D... La présidente,
Marianne HardyLa greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX00146, 22BX00148